Outre les touristes traditionnels, certains débarquent à Marrakech pour s’offrir du bon temps aux frais de leurs partenaires ou futurs partenaires. C’est le cas de plusieurs fonctionnaires libyens du régime de Kadhafi, révèle le Wall Street Journal. En 2009 et 2010, la filiale suisse de la multinationale Tradition Financial Services - spécialisée dans le courtage financier - leur offrait des voyages de luxe dans la ville ocre.
Cependant, ce qui pourrait être considéré comme un simple cadeau d’entreprise est actuellement jugé être porteur «d’intentions frauduleuses», car l’objectif pour les courtiers de Tradition était de gagner en retour des marchés pétroliers en Libye, d’après les résultats de l’enquête criminelle dirigée par la City of London Police (Police de Londres), le ministère britannique de la Justice et la Securities and Exchange Commission des Etats-Unis (SEC - l'organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers).
Des conversations qui trahissent la nature des séjours
L’homme à la base de cette opération séduction est un Américain, Robert Bailey, expérimenté dans le domaine du courtage financier et recruté par Tradition en 2004 pour renforcer la politique d’expansion de la multinationale actuellement présente dans 28 pays. Il devait particulièrement jouer un rôle dans la consolidation des relations entre la Libye et la firme de courtage financier, afin de garantir ses affaires pétrolières.
Son procédé ? Il louait une villa haut standing à Marrakech où il invitait des employés de l’Arab Banking Corporation (une société gérée par le gouvernement libyen) et quelques-uns de la Libyan Arab Foreign Investment Co, un fonds souverain libyen en charge des investissements internationaux avant l'établissement il y'a quelques années de la Libyan Investment Authority (LIA).
Des conversations électroniques retrouvées par les enquêteurs britanniques et américains révèlent l’organisation de soirées très mondaines. Dans un email datant de 2009 adressé à Robert Bailey, un gestionnaire de portefeuille de l’Arab Banking Corp, Mahmoud Zewam, qualifiait les vacances à Marrakech d’ «une semaine de joie dans la zone NSL [no sperm left, ndlr]». Un message d'un employé de Tradition visait à procurer du «viagra organique». Et son interlocuteur d’assurer qu’il détenait une «huile qui peut aider», achetée chez «un sorcier au Maroc». De plus, les échanges font ironiquement mention de la présence d’une «fille face à 11 hommes dans la villa» qui serait payée à «100 dirhams».
Marrakech, prisée pour «acheter» les partenaires ?
Selon le Wall Street Journal, la compagnie de courtage financier aurait organisé plusieurs voyages de ce genre au royaume chérifien, si bien que les employés de l’époque avaient baptisé les clients libyens de «Team M», M comme Maroc. Les documents trouvés par les enquêteurs révèlent que deux traders de la filiale londonienne de Bank of America ont pris part à ces séjours marrakchis. Après révélation des faits, ils ont été licenciés par leur employeur.
Les témoignages de plusieurs anciens et actuels employés ont confirmé la tenue de ces voyages au Maroc. Les dépenses faites à ces occasions n’ont pas été révélées, mais pour les séjours organisés à Londres et Dubaï, la presse parle d’environ 100 000 dollars US dépensés entre 2007 et 2010.
Actuellement, Tradition Financial Services se fait discrète. Un porte-parole de la société s’est contenté d’affirmer que celle-ci coopère avec les enquêteurs britanniques, afin de tirer au clair cette affaire. Il faut dire que le nouveau régime de Tripoli semble décidé à poursuivre tous ceux qui ont tenté d’acheter ses anciens hauts responsables dans le cadre des contrats pétroliers. Les voyages de luxe au Maroc étaient devenus une pratique courante dans ces milieux. En janvier dernier, deux ex-dirigeants marocains de Goldmann Sachs étaient dans le collimateur de la justice londonienne pour les mêmes raisons.