Du nouveau dans l’affaire Ali Aarrass. Le Comité contre la torture «invite instamment le Maroc à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de transmission de la présente décision, […] de l’ouverture d’une enquête impartiale et approfondie sur les allégations de torture d’Ali Aarrass», indique l’instance dans sa décision rendue le 19 mai dernier, après examen de la requête du détenu belgo-marocain.
Pour rappel, M. Aarrass avait saisi le Comité le 3 octobre 2011, dénonçant sa condamnation à 12 ans de prison pour terrorisme, décidée - selon lui - sur la base d’aveux obtenus sous la torture. Et depuis, il a multiplié les recours auprès de l’instance pour signaler les violations au Maroc de la Convention des Nations unies contre la torture. Le dernier recours date du 31 mars 2014 où il réitérait ses allégations, signalant qu’il «continuait à recevoir des pressions de la part des autorités» chérifiennes.
Violations de plusieurs articles de la Convention des Nations unies contre la torture
Le constat du Comité est sans détour. Il y a eu de la part du royaume «un défaut d’enquête incompatible avec l’obligation qui incombe à l’Etat, au titre de l’article 12 de la Convention, de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis», estime l’instance. «N’ayant pas rempli cette obligation, le Maroc a également manqué à la responsabilité qui lui revenait au titre de l’article 13 de la convention, de garantir au requérant le droit de porter plainte, qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate à une telle plainte par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale», ajoute le Comité.
Par ailleurs, l’instance onusienne a constaté, après lecture des jugements de la Cour d’appel, que les aveux du Belgo-Marocain «ont pesé de manière décisive sur la décision condamnatoire». Pourtant, l’homme avait toujours défendu qu’il s’était prononcée sous la pression de la torture. D'après le comité, plusieurs faits auraient dû attirer l’attention des autorités sur la nature de ces aveux. Il cite notamment les conclusions du médecin qui accompagnait le Rapporteur de l’ONU en septembre 2012, attestant que «la plupart des traces observées sur le corps d’Ali Aarrass et les symptômes ressentis étaient compatibles avec ses allégations». Pour l’instance, le Maroc « a manqué à ses obligations sous l’article 15 de la Convention».
Au passage, le Comité se dit préoccupé par le système d’investigation en vigueur au Maroc dans lequel il est extrêmement courant que l’aveu constitue une preuve permettant de poursuivre ou de condamner une personne, alors qu'il ne devrait normalement pas en être ainsi.
«Reste à savoir si les auteurs de la torture seront effectivement démasqués»
Pour les avocats d’Ali Aarrass qui se battent depuis longtemps pour sa libération, la décision du Comité contre la torture «est très positive». «Le Maroc n’a jamais donné des explications concernant les marques trouvées sur le corps de M. Aarrass. Il est temps qu’il le fasse», déclare à Yabiladi Me Dounia Alamat. « Ce qui serait juste de la part des autorités, c’est prendre acte de cette décision et ouvrir une enquête en bonne et due forme», estime-t-elle.
Il y a moins de deux semaines, le ministère de la Justice a ouvert une enquête suite aux rapports d’Amnesty International et du rapporteur de l’ONU concernant le cas d’Ali Aarrass. Le royaume qui a toujours nié les actes de torture infligés au Belgo-Marocain semble être désormais au pied du mur. «La question qui se pose actuellement est de savoir si les auteurs de la torture seront effectivement démasqués», s’interroge Me Alamat, estimant toutefois que cela devrait «normalement» être possible. Et d’ajouter : «s’il s’avère au bout de l’enquête qu’il n’y a pas de preuve contre lui, et bien qu’on le libère».