En matière de lutte contre la corruption, le Maroc tarde à adopter la bonne méthode. Après que Transparency International a livré son verdict loin d’être reluisant, c’est au tour du Conseil de l’Europe (CE) d’enfoncer le clou. Dans le cadre du programme intitulé «Renforcer la réforme démocratique dans les pays du voisinage méridional», l’institution a dressé un rapport anti-corruption pour le royaume. Et le constat sonne comme une nouvelle gifle. La méthode employée par le Maroc pour vaincre la corruption bute sur plusieurs anomalies : absence d’une stratégie à moyen et long terme, insuffisance des instruments du contrôle préventif, manque de coopération entre les différentes autorités chargées de la question…
Selon les rédacteurs du rapport, «en dehors de quelques initiatives internes dans certaines institutions publiques, il n’y a pas à ce jour une politique nationale de lutte contre la corruption, basée sur une stratégie à moyen et long termes avec des objectifs et des moyens humains, financiers et logistiques clairement définis». Pire, le niveau de corruption au Maroc est difficilement mesurable, selon les experts du CE. «A part quelques secteurs, il n’y a pas assez de mesures et d’instruments capables d’effectuer des contrôles préventifs et une analyse périodiques des risques de corruption, au moins pour les secteurs les plus vulnérables», fustigent-t-ils.
Faibles condamnation pour corruption
Certes, la loi marocaine criminalise plusieurs formes de corruption, mais la réalité est que le droit ne réglemente pas la responsabilité des personnes morales dans cette pratique. Un état de fait qui a logiquement ses conséquences. Le nombre de condamnation pour corruption est très faible au Maroc. Cette situation s’explique, selon toujours ces mêmes experts, par «la coopération et la coordination très limitées des différentes autorités chargées de la détection, des enquêtes et des poursuites des infractions de corruption», mais aussi par «l’absence d’une approche proactive dans les enquêtes sur les infractions…»
Pour rappel, le ministre de la Justice a mis en place un numéro vert pour contrer le fléau, mais cette initiative ne semble pas produire l’effet escompté. De son côté, le ministère des Finances s’est attaqué au dossier en mettant en place une circulaire pour que les établissements publics publient leur compte dans un délai plus court. Mais la tache s’annonce très compliquée. Tout récemment, le chef du gouvernement, dans un aveu d’impuissance, avait indiqué devant des experts de Transparency International que la lutte contre la corruption incombe aussi aux citoyens.
Recommandations
Le Conseil a livré une panoplie de recommandations pour permettre au Maroc de mieux lutter contre la corruption. Ainsi, le CE demande à ce que la justice soit beaucoup plus indépendante avec la mise en place des objectifs de la Charte de l’indépendance du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ). Il demande aussi une législation pour prévenir les conflits d’intérêts. En outre, le CE estime que le système de déclaration de patrimoine reste encore inefficace à cause du nombre important de personnes épargnées par cette mesure.
Dans le domaine de la police et de la gendarmerie, le CE demande la réglementation des nombreux avantages dont bénéficient les deux directions. Ces avantages doivent être valorisés et publiés, estime le CE, qui s’est également prononcé sur la nécessité de mettre en place un code éthique pour les forces de l’ordre pour mieux renforcer les règles déontologiques. Le Conseil a en outre demandé à ce que le signalement des infractions de corruption soit facilité. Bien que l’article 42 du Code de procédure pénale demande à ce que le signalement soit directement effectué au ministère public, le CE estime que son application peut se faire sans passer par la voie hiérarchique.
Pour l’administration, les experts pensent qu’une évaluation des politiques est nécessaire. Selon eux, la notion de secret professionnel doit être repensée dans l’article 18 du Statut général de la fonction publique et l’accès à l’information doit être garanti à travers un projet de loi. Les experts demandent aussi une réforme de l’Inspection générale car ses pouvoirs et ses moyens ne sont pas adéquats pour mener un contrôle efficace. Enfin, les partis politiques sont appelés à faire preuve de plus de coopération durant les évaluations. Les experts regrettent que ces partis ne se conforment pas aux standards du Conseil de l’Europe. Ils demandent donc de durcir le contrôle du financement de ces formations politiques et exhortent à ce que le rôle de l’expert-comptable soit mieux défini. Dans leurs recommandations, ils exigent que ces partis livrent la situation de leurs finances.