Il y a quelques temps, peu d'immigrés arrivaient à l'âge de la retraite en France, d'abord parce que l'usure au travail avait souvent raison d'eux avant qu'ils ne puissent atteindre celle-ci ou en d'autres occasions parce que les durées du séjour en France étaient courtes. Les retours dans les pays d'origine étaient réguliers et soumis à une périodicité sociale et même saisonnière.
L'histoire de notre immigration et de toute l'immigration de travail en France consacre et donne surtout raison à ce que disait Alain GIRARD (1977) il y a longtemps déjà : "La perspective du retour est sans doute ancrée dans l'esprit de tous. Mais des familles se regroupent ou se constituent en nombre croissant. Des enfants naissent et grandissent. Combien parmi eux seront tentés de rester plus tard, et combien fixeront ainsi leurs parents loin du pays natal ? Il serait imprudent de se hasarder à la moindre évaluation, mais il est hautement probable qu'une proportion non négligeable restera".
Une sorte d'alerte sociologique prédictive dont on faisait peu de cas. Durant toute une époque, seuls les tableaux cliniques d'une psychopathologie liée au travail et forcément au travail donnaient les signes de l'épuisement de ces " machines humaines " comme de toutes les autres d'ailleurs. De gérontologie, de vie de retraités ou de vieillesse et tout le cortège des problématiques subsidiaires de la vie de ces gens-là, il n'en a jamais été question.
La vieillesse et l'arrivée à l'âge de la retraite en France des immigrés marocains révèlent les changements qui ont atteint la perspective même de l'immigration et qui ont aussi affecté les comportements et les conduites des individus. La durée dans l'immigration a pénétré subtilement, doucement et irréversiblement les gens et tout ceci met en relief des comportements nouveaux vis-à-vis du séjour en France, éclaire sous un angle différent les attitudes et les relations vis-à-vis de la retraite, de la vieillesse ou leurs modèles et représentations dans les pays d'origine.
A partir de cette situation singulière ou ce statut de retraité ou de personne âgée, Il faut convenir qu'à bien des égards cette immigration a été dépouillée de son sens, de sa légitimité première et de ses motivations initiales, pour ne plus reposer en bout de course et en définitive, que sur une identité sociale controversée faite d'incertitudes, de frustrations, de regrets, en somme d'un malaise certain.
Sévère est déjà la situation de certains de ces "hôtes" des pays de la migration, dont l'encombrement commence à se faire sentir ; ces gens mobiles ou voyageurs qui se fixent et se sédentarisent sur place, et enfin tous ces immigrés sans vieillesse, ou du moins à la vieillesse incertaine. Une incertitude contenue dans ces équations sociales, affectives, psychologiques et culturelles constamment présentes et à résoudre à tout moment : les gens sont encore trop proches de leur culture, de leur façon de vivre et d'élever leurs enfants pour être totalement absorbés par d'autres modèles ou façons d'être et en même temps, déjà trop pénétrés par l'immigration et par la vie tout court là où ils vivent ou résident.
Aussi, il nous semble que les grilles de lecture de notre immigration, gagnent à rompre et en urgence avec une conceptualisation et autant de méthodologies devenues obsolètes parce que de moins en moins pertinentes pour rendre compte de ses réalités : Tracer la mobilité géographique ou résidentielle, estimer les flux et reflex de cette immigration ne sont plus que des indices insuffisamment parlants sur celle-ci et sur la vie des immigrés. Il faut accompagner les tentatives de compréhension par une déclinaison des influences et des adaptations que vivent et transfèrent les immigrés autant en pays d'accueil qu'au Maroc. C'est une aberration intellectuelle de continuer à ne rien renvoyer d'autre à l'immigré marocain et le plus âgé plus que les autres encore sur sa propre condition que son assignation à la production de richesse ou au transfert de devises étrangères.
Aujourd'hui ce sont plusieurs pays européens et certains plus que d'autres comme la France, la Belgique, les Pays Bas, qui ont à répondre à ces nouveaux enjeux gérontologiques qui se dessinent où se mêlent la liberté du choix d'établissement, de résidence et du mouvement, les restrictions sociales et administratives auxquelles sont confrontés en permanence les retraités immigrés, en résidence en Europe ou au retour au pays. Ceci encore, même si les histoires sociales de ces migrations marocaines, leur installation ou leur établissement dans les pays d'Europe n'a rien d'identique. Mais à elle seule cette problématique est un champ social éclairant sur les multiples et différentes politiques migratoires en Europe parfois contraires les unes des autres ou aux effets incompatibles les unes avec les autres.
Qui sont donc ces immigrés marocains âgés ? Comment se présente leur situation démographique à travers les recensements de la population en France et ailleurs en Europe ? Quelle a été leur évolution à travers l'histoire de l'immigration ? Quels sont les problèmes sociaux et médico-sociaux que soulève ce maintien leur maintien dans les pays d'accueil ? Quels sont les liens maintenus ou réinventés avec le Maroc à la lumière de ces situations d'inactivité légale : Être retraité ? Quelles sont les aspirations de ces hommes et femmes et comment peut-on ou non y répondre en France, dans d'autres pays d'accueil et au Maroc?