Un magistrat marocain a décidé d’ester en justice le Chef du gouvernement. Mohamed El Bakkache, très connu dans les médias comme «le juge de Tanger», a déposé, vendredi 29 novembre, devant le procureur général près la cour de cassation de Rabat, une plainte contre Abdelilah Benkirane. A l’origine de cette initiative des déclarations du chef de l’Exécutif que le juge a estimées préjudiciables à son encontre dans une affaire, actuellement en examen, dans laquelle il est mis en cause pour corruption.
Le 26 juin dernier devant la Chambre des représentants, le Chef du gouvernement s’est dit surpris de l’accueil que des juges avaient réservé, le 8 mai 2012, à Mohamed El Bakkache, mais sans le citer nommément : «nous avions, lors du début de notre mandat, interpelé un individu en flagrant délit de corruption et en possession de sommes d’argent dans une voiture. La cour lui avait accordé la liberté provisoire. Mais ce qui m’avait le plus blessé c’est l’accueil en héros que ses collègues lui avaient réservé».
Une arrestation supervisée par Ramid
Pour mémoire l’arrestation du magistrat et son incarcération à la prison de Salé avaient été supervisées, le 19 janvier 2012, par Mustapha Ramid en personne, quelques jours après sa nomination à la tête du département de la Justice, à la suite d’une plainte d’un investisseur tunisien. Trois supports de presse écrite arabophones avaient été appelés en renfort pour assurer une médiatisation à toute l’opération.
Cette interpellation avait suscité une vive polémique entre les juges et le ministre. Les premiers, soutenus par un collectif de 80 avocats, menaient durant presque cinq mois une campagne pour la libération de leur collègue. Le 8 mai 2012, la liberté provisoire avait été accordée à Mohamed El Bakkache. Un comité d’accueil, avec des fleurs, attendait le juge à la porte du centre de détention de Salé.
La plainte du juge s’appuie sur le code pénal
En déposant une plainte devant le procureur près la cour de cassation, la défense du magistrat El Bakkache s’appuie sur les articles 263 et 266 du code pénal. Le premier stipule qu’ «est puni d'emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 250 à 5 000 dirhams, quiconque, dans l'intention de porter atteinte à leur honneur leur délicatesse ou au respect dû à leur autorité, outrage dans l'exercice de leurs fonctions ou à l'occasion de cet exercice, un magistrat, un fonctionnaire public, un commandant ou agent de la force publique». La même sanction est prévue contre «les actes, paroles ou écrits publics qui, tant qu'une affaire n'est pas irrévocablement jugée, ont pour objet de faire pression sur les décisions des magistrats», souligne l’article 266.