Omar Mounir est un juriste de formation. Il a été pendant 8 années professeur enseignant à la Faculté des sciences juridiques de Casablanca, avant de se consacrer, finalement, au métier de journaliste à Radio-Prague, en République Tchèque. Il a été, parallèlement, l’auteur de plusieurs essais et romans dont notamment la «Nécrologie d'un siècle perdu» et «La partition de la Tchécoslovaquie». Son dernier roman, du genre historique, parle de Bou Hmara.
La page de l’histoire de Bou Hmara, a été rapidement tournée au fil des années. Ce dernier est un natif de la ville d’Oujda, entre le milieu et la fin du XIXe siècle. Il a été, pendant un moment très bref, au devant de la scène marocaine. Et cette entrée aussi brusque que réussie s’est effectuée dés la fin des études de Bou Hmara à l’Université Quaraouiyine de Fès. En effet, celui-ci réussira à intégrer, par on ne sait quel moyen, la cour du sultan alaouite Hassan Ier. Aux côtés des serviteurs de Hassan Ier, il effectua «un stage d’officier de l’armée et de cartographe qui était assuré à l’époque par la France», rappelle Omar Mounir. Vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe, le souverain meurt et laisse un trône, que va s’empresser d’occuper Moulay Abdelaziz. Ce dernier n’était pourtant pas l'héritier légitime du sultanat.
Au lendemain de cette succession, un homme sur le dos d’une ânesse, surgit de nulle part. «Apparemment Bou Hmara n’a pas été content» de la façon dans laquelle la succession du sultan Hassan Ier s’est déroulée. «On ne sait pas s’il va agir par opportunisme parce que, dans le cafouillage qui se présentait, il pouvait se faire une place et devenir sultan lui-même, ou alors si c’est pour défendre la mémoire du sultan qui a désigné un successeur et dont la volonté n’a pas été respectée», précise l’auteur.
Se cherchant «une base populaire», Bou Hmara se voulait proche des paysans et autres classes moyennes et inférieures du pays. C’est ce qui explique d’ailleurs son choix, d’après l’écrivain, pour une monture aussi modeste que l’ânesse, en lieu et place des purs sangs royaux. «Ce qui lui a valu la sympathie des classes campagnardes et autres… Cette base populaire lui servirait en même temps pour le recrutement de combattants». La révolte se précise petit à petit.
Après quelques années de règne, Moulay Abdelhafid prit alors le trône en remplacement de son frère, Moulay Abdelaziz. Le premier «reprochait précisément à son frère de ne pas avoir pu neutraliser Bou Hmara. Donc Bou Hmara a servi de prétexte à Moulay Abdelhafid pour détrôner Abdelaziz, son frère». Une autre version des faits est aussi rapportée par Mounir dans son ouvrage. «Le second aspect, c’est que Moulay Abdelhafid a consolidé la position de Bou Hmara. Ce dernier combattait Moulay Abdelaziz qui n’avait pas de légitimité parce qu’il n’était pas l’héritier du trône et il s’est retrouvé avec quelqu’un qui avait encore moins de légitimité que Moulay Abdelaziz puisque tout simplement il a raflé, il a volé le trône à son frère. Et donc Bou Hmara, dans ces conditions-là, s’est dégagé de tout complexe». En revanche», ajoute l’auteur, «il y a des indices qui laissent penser que Bou Hmara voulait récupérer le trône pour le restituer à l’héritier légitime désigné par le sultan Moulay Hassan. Il le ferait tout simplement par reconnaissance parce que tout ce qu’il est devenu, tout ce qu’il avait, toute sa formation, il le devait à Hassan Ier. Alors on ne sait pas laquelle des deux versions est la vraie.»
Les puissances coloniales dans tout cela ? «Bou Hmara évoluait sur un terrain très marécageux, politiquement et militairement. Pourquoi? C’était quelqu’un qui revendiquait le Maroc et il avait affaire à deux puissances», lança Mounir. Ces deux puissances, c’était la France et l’Espagne. La première avait fait sienne de l’Algérie voisine, et lorgnait le Maroc. «Bou Hmara pouvait jouer pour la France, il pouvait jouer contre elle et selon les situations il se laissait manipuler par la France». La seconde puissance, elle, était déjà au Nord du Maroc et comptait bien y rester. Bou Hmara essayait de ménager l’Espagne et d’en tirer le maximum parce qu’il avait besoin d’argent et d’armement», expliqua l’auteur, avant de s’étonner : «ce qui est génial de sa part, c’est que pendant neuf ans il a évolué dans cette situation extrêmement complexe entre la France et l’Espagne sans jamais combattre ni l’une ni l’autre !».
Interrogé sur la place occupée actuellement par ce personnage dans l’histoire de la monarchie marocaine, Mounir déclare : «C’est une place assez exiguë, assez étriquée. Bou Hmara se présente dans l’histoire, qui est enseignée dans les collèges comme un mauvais rêve dont on ne veut pas se souvenir. Mais étant donné son importance, on ne peut pas ne pas le citer. Alors on l'évoque brièvement, comme quelqu’un qui a trahi».
Et c’est un peu pour s’attarder sur l’homme à l’ânesse et combler ce vide de repères, qu’Omar Mounir s’était lancé dans la reconstitution de son histoire. Un voyage dans le temps des sultans, à travers les ruelles des médinas de Fès et des grandes cours royales, en compagnie de Bou Hmara... L’homme à l’ânesse.