Des hommes, et de jeunes gens, le sont aussi… Des jeunes, donc, filles et garçons. Des enfants. De la ville, de la campagne, des jeunes de plus de quinze ans, mais aussi des adultes. Et la particularité, d’ailleurs, pour beaucoup d’entre eux, c’est qu’ils travaillent… Oui, en ce pays, l’analphabétisme s’il a reculé, il faut le dire, n’en continue pas moins de toucher près de 40% de nos actifs ! Des agriculteurs, des maçons, de petits commerçants, des marins, pêcheurs, des artisans…
Alors, de même qu’on ne naît pas homme, mais qu’on le devient… On devient aussi analphabète. On devient le porteur de ce nom qui signifie qu’on ne connaît pas l’Alphabet – pas même Alpha et Beta, qui en sont, en grec, ses deux premières lettres… Ainsi l’analphabète est-il privé du commencement de tout ce qui fait le savoir… Des lettres, qui en sont le génome.
Alors, comment devient-on cet individu, cet humain, privé des clés premières et essentielles, que dans une société juste, et décente, chacun de nous devrait posséder ? Probablement à cause d’une série d’évènements, formant, à terme, une forme de déterminisme. Comme une sorte de chemin continue vers une impasse toujours plus grande. L’analphabétisme. Presqu’une loi. La plus implacable. La plus dure.
Une honte toxique
On sait, aujourd’hui, que pour une personne qui naît en milieu défavorisé, de parents faiblement ou pas du tout scolarisés, le risque d’être analphabète ou de connaître de grandes difficultés d’apprentissage sera plus élevé. Cela porte un nom : transmission intergénérationnelle de l’analphabétisme. On sait de quoi le mal est fait, la part essentielle, pour ne pas dire totale, qu’y prennent des conditions de vie difficiles. C’est-à-dire dire la pauvreté. La pauvreté qui est cette violence perpétuelle qui engendre la mésestime de soi. Cet empoisonnement quotidien et ordinaire qui ne pousse pas à se désirer meilleur que l’on est. La loi, c’est quand la misère persévère.
Oui, il y a de la honte, une honte toxique à ne pas savoir lire et écrire. Un isolement fatal, une colère sourde, une acceptation maladive. Mais certes pas une fatalité… Oui, pour peu qu’on lutte contre l’analphabétisme, avec l’idée que l’on se doit enfreindre, chaque jour, les lois non écrites de l’injustice.