«C’est un geste de dignité républicaine, c’est un geste qui ne coûte rien à la France, parce qu’au fond il reste là … Vous connaissez le dossier par cœur, je ne vous fait pas toute la partie technique […] D’une certaine manière si on voulait même être cynique on libère des places à la Sonacotra, quand on est reparti, on ira moins souvent à la Timone et à la Salpétrière que ….» Jean Louis Borloo explique en ces termes les intérêts du retour possible des chibanis vers leurs pays de naissance, si ses deux amendements à la loi de mars 2007 sur le droit opposable au logement (loi Dallo) avait finalement été appliqués. L’ancien ministre du Travail et de la Cohésion sociale, à la fin du mandat de Jacques Chirac, a été auditionné, mercredi 27 mars, par la mission d’information parlementaire sur les immigrés âgés.
Il a raconté comment il avait défendu bec et ongle ses amendements au sein d’un gouvernement de plus en plus sceptique. Il raconte s’être énervé contre un membre du gouvernement qui refusait de se laisser convaincre : «Il va falloir que tu m’expliques pourquoi tu es contre : en gros, ils [les chibanis, ndlr] vont toucher pareil, et ils seront plus loin et tu vas libérer un peu de mètres carrés …», se rappelle-t-il avoir dit.
Logique comptable
On comprend que Jean Louis Borloo ait choisi ses argument en fonction de son interlocuteur et que ce dernier aurait sans doute été peu attentif si le ministre avait insisté sur les nouveaux droits offerts au chibanis, mais ces arguments confirment bel et bien les craintes des associatifs au moment des débats autour des amendements. «Le texte vise avant tout, dans une logique comptable, à faire des économies et à répondre à la pression des gestionnaires pour faire de la place dans les foyers», expliquait l’ATMF, la CATRED, la COPAF, la GHORBA (Ici & Là-Bas), le GISTI, dans un communiqué, le 19 janvier 2007. «J’ai découvert le sujet [les chibanis, ndlr] dans les années 2004/5 en m’occupant de la Sonacotra», reconnaît Jean Louis Borloo, devant la mission parlementaire, car il était alors ministre délégué à la Ville et à la Rénovation urbaine de 2002 à 2004.
Les deux amendements à la loi Dallo proposaient de remplacer les aides au logement (APL) par une aide spécifique et équivalente à ceux qui s’engagent à effectuer des séjours de longue durée dans leur pays d’origine. Ceux qui prenaient un tel engagement pouvaient donc toucher leur retraite et leurs «APL» au Maroc, pour les Marocains, mais ils perdaient le minimum vieillesse et le droit à la Sécurité sociale et aux soins de qualité en France.
Le pouvoir d'Adoma
«Cette mesure est en outre exclusive : ne pourront en bénéficier ni les couples, ni les propriétaires, ni les personnes dépourvues d’aides au logement, parmi lesquelles des milliers d‘étrangers hébergés par des membres de famille, des tiers ou ceux habitant des taudis ou des hôtels meublés. Pourquoi eux ? Parce que ne recevant pas d’aides au logement, on ne pourrait alors pas faire l’économie de leur supprimer pour financer la nouvelle aide !», s’indignaient les 5 associations en janvier 2007.
Pourquoi une loi aussi bénéfique aux Finances de l’Etat sous couvert de l’idée, largement partagée, qu’elle offre de nouveaux droits aux chibanis, n’a-t-elle finalement pas été appliquée ? Jean-Louis Borloo ne cesse de s’interroger, encore en colère lorsqu’il se souvient de quelle façon ses amendements ont été enterrés. «On a retiré les décrets [d’application de la loi, ndlr] au conseil d’Etat par téléphone. Ca a beau être une majorité à laquelle j’appartenais, c’est ça la réalité», répète-t-il à plusieurs reprises, mettant même en garde la commission contre un semblable retournement. «Ca nous a été dit par le directeur de l’OFII : ‘octobre 2007, c’est le ministère de l’Immigration qui enterre le sujet en disant stop on arrête tout, on ne publie pas les décrets et on n’appliquera pas la loi.’ Ca nous a été dit ici», reconnait Alexis Bachelay, rapporteur de la mission parlementaire.
Tuée dans l'oeuf
Le ministère de l’Immigration coupe ainsi court à cette loi, Jean Louis Borloo parce que «l’idée générale [de l’opposition à son projet de loi], c’était : ‘ben, s’ils rentrent, ils n’ont plus à toucher les prestations’». Il qualifie plusieurs fois l’opposition de son propre gouvernement d’ «irrationnelle». «Sauf à considérer que c’était pour eux [ministère de l’Immigration, ndlr] illégitime de leur accorder cette possibilité [celle de rentrer dans leur pays d’origine tout en continuant à toucher une aide] et là ça renvoie à des considérations inavouables, d’une certaine manière […] il n’y a pas d’explication logique et compréhensible», admet Alexis Bachelay.
En s’adressant à la commission, Jean Louis Borloo a-t-il réussi, cette fois, à faire entendre sa voix ? Aura-t-il réussi à convaincre la mission parlementaire de reprendre ses deux amendements ? «Ce truc il est là, est ce qu’il faut retravailler un point ? Honnêtement, je ne crois pas, à la limite … c’est à vous de faire le travail de commission d’enquête», conclut-il. « Ce qui est devant nous, c’est comment on la réexamine et comment on la met en œuvre … celle-ci ou une autre ! Car il ne faut pas non plus se focaliser, à mon avis, sur la loi Dallo, en l’occurrence. S’il faut réécrire un nouveau texte de loi pour que ça puisse aboutir, moi je dirai que l’essentiel c’est l’objectif», car au «delà de cette aide au retour, il y a un problème de maltraitance vis-à-vis des populations», estime Alexis Bachelay. Aide au retour ? Le mot est prononcé.