Pour les médecins comme pour les patients, la nouvelle est tombée comme un couperet. A l’issue du Conseil de gouvernement de la semaine dernière, le projet de loi 32.24 portant dissolution de la Ligue nationale de lutte contre les maladies cardiovasculaires a été voté, après avoir été présenté par le ministre de la Santé et de la protection sociale, Khaled Ait Taleb. Ainsi, le texte annule le Dahir portant loi 1.77.334 du 9 octobre 1977, portant création de la ligue, a indiqué le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, lors d’un point de presse.
L’exécutif rassure qu’à la date de promulgation du projet de loi, les dossiers des patients soumis à un traitement au sein de la Ligue seront, «après leur approbation», transférés au Centre hospitalier universitaire Ibn Sina. Par ailleurs, les biens immobiliers et le mobilier de la Ligue «seront aussi transférés, respectivement, à la propriété entière de l’Etat et du Centre hospitalier universitaire Ibn Sina, sans indemnisation».
Quant au personnel, il sera transféré vers les services de l’Etat ou au Centre hospitalier, «sur la base d’un plan de redéploiement élaboré par la commission de dissolution de la Ligue», créée en vertu d’un arrêté du Chef de gouvernement, a encore souligné le département. Seulement, nombre de médecins du service de cardiologie se disent dans l’incompréhension. Contacté par Yabiladi, l’un des praticiens a fait part de sa déception.
Un bilan positif, selon les médecins
Se disant dépité, notre interlocuteur estime que «chaque chose a une fin et arrivé à ce point, il faut passer à autre chose, comme le veulent les règles du progrès capitaliste à travers le monde : qui détruit construit quelque chose de mieux». «La Ligue a beaucoup donné, a formé des cadres et a soigné des citoyens, mais sa date de péremption est peut-être arrivée», a déploré le médecin, se disant «dépassé» par la dimension politique de la question. «Je pense qu’il y a eu un cumul d’événements ayant accéléré la chute, mais la structure n’était pas du tout en faillite et son bilan a été positif», a-t-il insisté.
«La fermeture est là, mais ce qui fait mal est qu’on ne parle pas du côté positif de la Ligue. L’année dernière, nous avons effectué 400 opérations à cœur ouvert avec CEC (circulation extra corporelle). Nous avons fait 40 opérations similaires par mois, soit deux par jour et des milliers de malades opérés, sans compter les autres prestations rattachées.»
Sur un an, les services de la Ligue effectuent par ailleurs près de 1 300 actes de coronarographie, 400 à 450 angioplasties coronaires, en plus d’avoir «la plus grande série au monde de DMP (dilatation mitrale précutanée)» avec plus de 6 000 patients à ce jour, ainsi que des milliers d’explorations non-invasives annuelles (ETT, ETO, échographie de stress, scanner cardiaque, etc.).
La structure a en effet vu le jour en 1977 dans le but de développer la cardiologie au Maroc. A travers ce service, des cardiologues marocains ont été envoyés pour se former ailleurs et revenir pour être rattachés à la Ligue nationale de lutte contre les maladies cardiovasculaires, fondation basée à Rabat et liée au Centre hospitalier universitaire Avicenne.
A partir de là, des spécialistes ont ensuite été affectés dans les autres structures hospitalières à Casablanca, à Fès et à Marrakech. Dans le cadre de cette dynamique semi-publique regroupant la cardiologie et la chirurgie cardiovasculaire, la fondation à but non-lucratif a permis des soins de pointe, tout en réduisant les coûts d’interventions complètes et jusque-là effectuées à l’étranger.
«A qui profite la fermeture ?»
A travers deux antennes de consultations, les prestations se sont situées entre 200 et 250 DH, «des prix défiant toute concurrence». Dans ce sens, des patients mutualistes comme ceux d’avant le RAMED, puis de l’AMO Solidaire ont été admis à des prix symboliques, parallèlement à la formation de jeunes cardiologues de divers autres pays d’Afrique, en plus de missions bénévoles au niveau régional. Hormis l’annonce gouvernementale de la dissolution, peu d’informations ont circulé quant au processus de transition.
«Les rumeurs qui circulent est que comme nous avons tardé à rejoindre l’hôpital Moulay Youssef, il y a eu un ordre de fermeture. Nous avons effectivement mis du temps, car le sol ne supportait pas le poids de nos salles de cathétérisme cardiaque. Nous étions donc en train d’arranger l’infrastructure, avant de pouvoir y être transférés», a déclaré une autre praticienne à Yabiladi. Selon elle, plusieurs problèmes se sont posés.
«Nous n’avons pas eu d’explications en amont. Les malades n’ont plus été en mesure d'avoir des consultations, les dossiers et les ordinateurs de la ligue sont restés à l’intérieur de la structure. Le service d’hospitalisation a également été fermé, avec l’idée de nous transférer vers le service de dermatologie, sans aucune visibilité pour le personnel entièrement rattaché à la Ligue. Il existe un réel problème de ressources humaines, mais aussi du matériel qui risque d’être obsolète.»
Pour la praticienne, la question qui se pose est «à qui profite la fermeture de la Ligue ?». «A vrai dire, ce sont les nouvelles cliniques qui s’accaparent les petites structures. Une fondation semi-publique ayant des prix compétitifs, avec de jeunes cadres et des professeurs assez formés pour augmenter la qualité de soins et de service continu, n’arrange pas les acteurs du privé», estime-t-elle.