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Grand Angle

Maroc : Les entraves aux libertés des minorités religieuses perdurent

Le dernier rapport du département d’Etat américain sur la liberté d’expression des minorités religieuses indique qu’au Maroc, ces dernières restent confrontées à des restrictions. Celle-ci concerneraient les opinions et les croyances exprimées, mises à mal par les autorités officielles autant que par les pressions sociales.

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Considérée comme un droit humain fondamental indépendamment des appartenances, la liberté d’expression se trouve mise à mal dans plusieurs régions du monde. C’est le cas notamment pour les minorités religieuses, confrontées à divers degrés de restrictions qui mettent à mal leurs opinions et croyances exprimées, ou même leur liberté de pratiquer leur culte.

Le dernier rapport annuel du département d’Etat américain sur la liberté religieuse à travers le monde mentionne que 99% des Marocains sont sunnites et moins de 0,1% de la population est chiite. Les diverses minorités religieuses représentent un total de moins de 1%. Elles incluent les chrétiens, les juifs, les bahaïs et les ahmadis. Les sunnites et les juifs (environ 3 500) sont les seules communautés religieuses reconnues dans la Constitution marocaine.

Dans ce sens, la Constitution marocaine de 2011 garantit ce droit pour tous et aucune loi n’interdit la pratique des cultes. Pour autant, certaines minorités religieuses du pays restent confrontées à des défis, face aux interprétations élargies de dispositions légales qui peuvent s’appliquer en fonction du pouvoir discrétionnaire.

Les chiites marocains confrontés à des restrictions

Selon le rapport, les chefs de file des mouvements chiites au Maroc estiment que leur communauté dans le pays serait constituée de plusieurs milliers de concitoyens, principalement basés dans les villes du nord. S’y ajoutent 1 000 à 2 000 chiites étrangers résidants, issus principalement du Liban, de Syrie et d’Irak.

En 2016, les chiites marocains ont annoncé la création d’une association sous le nom de «Ressalis progressistes», dont le dossier n’aura jamais été reçu par les autorités de la ville de Tétouan. Quelques mois plus tard, le président de l’ONG non-reconnue a été arrêté et condamné à un an de prison ferme pour «détournement de fonds» via une institution bancaire. Pour sa part, l’organisation que ce procès serait lié aux opinions du concerné.

Depuis, les réseaux chiites au Maroc se limitent à des activités en ligne, sur les plateformes de discussions fermées. Dans ce sens, un chiite marocain ayant requis l’anonymat considère qu’«il existe des restrictions et des pressions, surtout lorsqu’il s’agit de remettre en question les fondements de la légitimité de l’Etat».

Selon lui, la pression viendrait «de la société avant l’Etat, par méconnaissance ou par désinformation, avec la mobilisation du courant salafiste qui considère le chiite comme un danger sociétal».

Des chrétiens marocains sans liberté d’expression

Comme pour les chiites et les autres minorités, les statistiques sur le nombre de Marocains de confession chrétienne restent difficiles à recouper. Seulement, certains leaders de la communauté chrétienne estiment, selon le rapport du département d’Etat américain, qu’ils seraient entre 1 500 et 12 000 concitoyens. L’Association marocaine des droits humains (AMDH) estime qu’ils seraient 25 000.

Basée aux Pays-Bas, l’organisation non-gouvernementale Open Doors pour la défense des «chrétiens persécutés» à travers le monde estime que le nombre de chrétiens au Maroc serait de 31 200, soit près de 0,1% de la population totale du pays. Ils organisent leurs activités cultuelles dans «dans les domiciles, faute d’autorisation ou de reconnaissance officielle pour les rassemblements publics».

Dans une déclaration à Yabiladi, Mustapha Soussi, un chrétien marocain, estime qu’«il est difficile d’exprimer son point de vue au sein de notre société, surtout s’il est différent des idées communément admises». Selon lui, «la liberté d’expression au sein de la société majoritairement musulmane, ne comprenant pas le sens de la liberté individuelle et de la liberté de croyance en général, est fragile».

D’après Mustapha Soussi, la société est constituée de trois composantes : «La première est fermée et n’accepte ni le dialogue, ni les opinions différentes. Dès que vous les contredites, vous êtes considéré comme un ennemi, un apostat. La grande majorité dans la société pense ainsi.»

Quant au deuxième profil, «c’est celui des intellectuels qui vous écoutent et vous acceptent, mais ne répondent pas. Ils sont une minorité». La troisième catégorie, selon lui, «est très peu nombreuse ; c’est la celle ouverte et éclairée, qui n’a aucun problème à respecter vos idées et vos croyances en tant qu’individu».

En plus de la société, les chrétiens marocains rencontrent des pressions de la part des autorités, selon Mustapha Soussi. A ce titre, il préconise un changement des «lois qui limitent liberticides pour les minorités». «Une partie des membres des autorités applique la loi et vous laisse votre liberté, mais d’autres vous impose leur volonté, leur vision et leur conviction», ajoute-t-il.

Les bahaïs face aux obstacles de l’ignorance de l’autre

Le rapport du Département d’Etat américain indique que le nombre de bahaïs est estimé entre 350 et 400 à travers le Maroc.

Dans un entretien avec Yabiladi, Yassine Bekir, membre du bureau de communication des bahaïs au Maroc, estime que «le développement de la société marocaine, en particulier la nouvelle génération, et son ouverture sur le monde numérique et sur la diversité des pensées et des religions, ont contribué à élargir le terrain d’expression des bahaïs».

Il a ajouté que «naturellement, il existe encore certaines parties qui n’acceptent ni cette diversité, ni l’expression des croyances des bahaïs, mais c’est l’exception et non la règle».

«Il y a un contraste majeur entre les commentaires négatifs dans l’espace numérique, où certains internautes refusent la liberté d’expression aux bahaïs, et la confiscation de ce droit qui devient moins sévère dans la vie quotidienne et réelle, surtout avec les gens avec qui nous interagissons, et qui ont généralement des attitudes positives.»

De son vécu, Yassine Bekir retient que le plus grand obstacle à la liberté d’expression et à la coexistence est «l’ignorance de l’autre et la méconnaissance de ses principes et de sa vision du monde».

Il a en outre regretté «le manque de reconnaissance légale, ce qui crée des défis pour les bahaïs marocains au niveau de l’état civil». De même, «l’absence d’un cadre pour réglementer les activités des bahaïs marocains crée des obstacles organisationnels et légaux, ce qui peut être considéré comme un manque de reconnaissance des droits des citoyens marocains ayant des choix religieux différents de la majorité».

Il plaide ainsi pour «progresser vers l’établissement des fondements de la citoyenneté entière, dans un Etat marocain civil moderne, qui reconnaît la diversité et la différence dans le cadre des constantes de la nation».

Les minorités religieuses au Maroc s’accordent sur l’idée que le plus grand problème auquel elles sont confrontées est le refus de reconnaissance officielle et institutionnelle. Ce vide entraîne, selon eux, leur privation de plusieurs droits constitutionnels fondamentaux, notamment les libertés de religion, de croyance et d’expression.

Une liberté d’expression sélective

Mohamed Akdid, chercheur en sociologie, estime que «la société marocaine est dominée par une mentalité traditionnelle conservatrice». Celle-ci s’illustre à travers «les positions théologiques traditionalistes des juristes vis-à-vis des minorités religieuses, ce qui est évident à travers un ensemble d’interprétations et de fatwas».

Il a confirmé que voir tout individu ayant des convictions religieuses différentes comme un apostat était la cause de «l’incitation à la fitna sectaire au Moyen-Orient, à laquelle, malheureusement, des Marocains ont participé». En outre, il a critiqué l’absence de «politiques de sensibilisation à la diversité culturelle».

Selon lui, ces actions positives restent «très limitées dans les programmes éducatifs, dans les médias et dans les espaces de débat public». «L’Etat doit jouer son rôle dans la sensibilisation à la coexistence. Il le fait seulement envers les juifs, comme s’ils étaient les seuls à avoir le droit à l’expression», affirme le chercheur.

Il a également regretté «l’interdiction des livres chrétiens et chiites», soulignant les efforts à accomplir pour que «le Maroc atteigne un meilleur niveau de coexistence et d’ouverture».

Article modifié le 25/04/2024 à 14h08

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