Le Bureau de la démocratie, des droits de l'Homme et du travail du Département d'État américain a publié, lundi, son rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde en 2022. La section dédiée au Maroc est accablante, pointant entre autres, «la torture ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés par certains membres des forces de sécurité» au Maroc. Le rapport évoque aussi «de graves restrictions à la liberté d'expression et aux médias», une «grave corruption gouvernementale» et «l’absence d'enquête et de responsabilité pour la violence sexiste».
«Une information indique que le gouvernement ou ses agents ont pu commettre des exécutions arbitraires ou illégales», indique le rapport, citant le décès, le 6 octobre, d’un individu placé en garde à vue à Benguerir. «Des disparitions par ou au nom des autorités gouvernementales ont été signalées au cours de l'année», ajoute-t-il en affirmant qu’Amnesty International a signalé en décembre qu'au moins 77 personnes étaient portées disparues après avoir tenté de franchir la frontière pour entrer dans l'enclave espagnole de Melilla en juin dernier.
Le document rappelle que les institutions gouvernementales et les organisations non gouvernementales (ONG) ont continué à recevoir des informations faisant état de «mauvais traitements infligés à des personnes détenues par les autorités». Le ministère public a reçu sept plaintes contenant des allégations de torture entre janvier et septembre.
Le rapport souligne des accusations selon lesquelles des agents de sécurité auraient «soumis des manifestants indépendantistes du Sahara occidental à des traitements dégradants pendant ou après des manifestations ou des protestations appelant à la libération de prisonniers politiques». «Les organisations internationales et locales de défense des droits de l'Homme ont affirmé que les autorités ont rejeté les plaintes d'abus au Sahara occidental et se sont appuyées uniquement sur les déclarations de la police. Les représentants du gouvernement n'ont généralement pas fourni d'informations sur l'issue des plaintes», explique-t-on.
Prisonniers politiques et «surveillance» des militants
Le Département d'État américain aborde aussi les conditions des prisons, reconnaissant qu’elles se sont améliorées au cours de l'année mais, dans certains cas, elles «ne sont pas conformes aux normes internationales». «Dans certaines prisons, les conditions de détention étaient difficiles et mettaient en danger la vie des détenus en raison de la surpopulation», pointe le rapport. Celui-ci reconnaît toutefois que le CNDH et la DGAPR ont enquêté sur les allégations de conditions inhumaines, alors que le gouvernement a autorisé certaines ONG ayant un mandat dans le domaine des droits de l'Homme, ainsi que le CNDH, à effectuer des visites de contrôle non accompagnées dans les prisons.
Rappelant que la loi interdit les arrestations et détentions arbitraires et que le gouvernement a «généralement respecté ces exigences», le rapport cite des observateurs selon lesquels «la police ne respectait pas toujours ces dispositions ou ne respectait pas systématiquement les procédures régulières, en particulier pendant ou à la suite de manifestations». Il pointe aussi la période de garde à vue, dont la limite «n’est pas toujours respectée»
Le Département d’Etat américain évoque également «des rapports crédibles» qui font état de «prisonniers ou de détenus politiques». Il cite, à cet égard, plusieurs cas, dont celui de Soulaimane Raïssouni et de l’avocat Mohamed Ziane, avant de pointer les allégations de harcèlement, intimidation et confiscation de biens soulevées par des militants politiques sahraouis. Des pratiques qui toucheraient aussi des militants des droits humains.
«Les organisations de défense des droits de l'homme ont signalé que le gouvernement harcelait et surveillait les militants des droits de l'Homme à l'intérieur et à l'extérieur du pays, notamment en utilisant le logiciel espion Pegasus du groupe NSO», abonde le document qui pointe au passage le «manque d'indépendance judiciaire des tribunaux dans les affaires politiquement sensibles ou du manque d'impartialité résultant de l'influence extrajudiciaire et de la corruption», s’agissant des poursuites relatives aux violations des droits de l'Homme. Citant les ONG, il fait état d’un «recours à la surveillance arbitraire des militants des droits de l'homme et des journalistes».
Liberté d’opinion et d’expression, harcèlement et d'intimidation
S’agissant du respect des libertés civiles, le rapport indique, citant Freedom House, que les autorités marocaines «ont recours à toute une série de mécanismes financiers et juridiques pour punir les journalistes critiques». «Les ONG locales ont également signalé qu'en dépit des codes de la presse destinés à empêcher l'emprisonnement illégal d'individus exerçant leur liberté d'expression, les autorités ont utilisé le Code pénal pour punir les commentateurs, les activistes et les journalistes qui critiquent le gouvernement», ajoute-t-on. De plus, plusieurs cas d'arrestations et d'inculpations fondées sur l'activité des médias sociaux ont été signalés, note le département, citant le cas de Saida El Alami.
«Le gouvernement a déclaré avoir poursuivi 631 personnes devant les tribunaux pénaux pour des déclarations faites, déclarées ou publiées, dont 32 affaires pénales contre des journalistes. Le gouvernement a également indiqué qu'il avait suspendu six journaux électroniques au cours de l'année pour ce qu'il a qualifié de non-respect du code de la presse et de l'édition.»
La même source pointe des «actes de harcèlement et d'intimidation, y compris des tentatives de les discréditer par des rumeurs préjudiciables sur leur vie personnelle» ayant touché des journalistes.
Concernant la protection des migrants et des réfugiés, le rapport souffle le chaud et le froid. Il applaudit la coopération du Maroc avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et ses actions pour les réfugiés. Il évoque, cependant, les événements de juin 2022 à la frontière entre Nador et Melilla comme cas de «maltraitance des migrants et des réfugiés».
«Au cours de l'année, les militants et les ONG ont fait état de restrictions persistantes de leurs activités dans le pays», regrette le rapport, qui soulève par ailleurs le fait que la loi marocaine «n'interdit pas la discrimination». «Les personnes LGBTQI+ sont stigmatisées et certaines informations font état d'une discrimination manifeste fondée sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre dans les domaines de l'emploi, du logement et des soins de santé», conclut-on.