Initié par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) et l’Association des régions du Maroc (ARM), le séminaire «Renforcer la contribution des Marocains du monde au développement des régions» a été l’occasion, ce jeudi à Rabat, de jeter les bases d’une feuille de route commune aux collectivités territoriales, aux institutions nationales, à la société civile et aux MRE. L’objectif sera de trouver les moyens d’harmoniser les efforts et les incitatives, pour durabiliser l’apport des diasporas marocaines au niveau local et pérenniser sa valeur ajoutée. A l’issue des panels de discussion et des interventions de différentes parties, la présidente de l’ARM, Mbarka Bouaida, a insisté sur l’engagement central des conseils régionaux.
En plus des trois instances consultatives régionales existantes, la responsable, également présidente du conseil régional de Guelmim-Oued Noun, a préconisé la création d’une quatrième instance dédiée aux MRE dans chaque région. L’idée sera ainsi d’«identifier les leviers des compétences, communiquer sur les projets, les attentes et les limites, apprendre ensemble, avoir les idées nécessaires pour une coopération décentralisée grâce au financement dont bénéficient les régions», tout en agissant prioritairement sur les leviers d’information et de communication, ainsi que le renforcement des lignes aériennes sur le plan territorial, pour une meilleure liaison avec les pays de résidence des MRE et leurs territoires d’origine.
«Nous sommes en collaboration étroite avec le CCME, en l’installant dans le temps, pour aboutir à des propositions, voire pour amender la loi sur les régions, de façon à permettre à nos Marocains du monde de jouer leur rôle attendu dans le développement territorial.»
Repenser les mobilités mondialisées des Marocains du monde
Professeur de recherche en sciences politiques et sociales à l’Université de Liège et au Fonds national de la recherche scientifique (FNRS) en Belgique, présent au séminaire, Hassan Bousetta a déclaré à Yabiladi que la mobilisation des territoires par rapport aux Marocains du monde était un élément important dans le processus du développement local. Il estime nécessaire de s’interroger, dans ce cadre-là, «sur les catégories d’analyse et sur la carte mentale que l’on mobilise pour repenser l’émigration et le développement», notamment en désignant la communauté marocaine de l’étranger de diaspora.
«La diaspora permet de renégocier le lien avec les MRE. Elle est changeante, avec des circuits de mobilité nouveaux. Il y a des diasporas à l’intérieur des diasporas, avec des nationaux issus de la deuxième et de la troisième génération, dont les parcours migratoires se croisent, convergent ou divergent et devient multidimensionnels, au cœur d’une mobilité globale qui ne se fait plus uniquement entre deux pays, l’un d’origine et l’autre de la résidence des parents.»
Géographe, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au laboratoire ESO, spécialiste en migrations et genre à l’Université d’Angers en France, Chadia Arab souligne auprès de notre rédaction que «lorsqu’on parle de la contribution des MRE, on pense souvent à l’aspect économique, aux transferts monétaires ; mais depuis très longtemps, nous avons eu un foisonnement d’investissements dans différents domaines, avec une diversité d’actions dans des territoires extrêmement reculés».
La chercheuse rappelle, dans ce sens, l’expérience de l’association franco-marocaine Migration et de développement, qui existe depuis 1986 et dont le travail a été un modèle pour d’autres acteurs de la société civile issus de la diaspora et intervenant dans diverses régions du Maroc, dans l’Oriental, le Rif, le Moyen-Atlas, sur la scolarisation des petites filles, l’environnement ou encore les aspects culturels. La tenue du séminaire, après le discours royal d’août 2022 sur les compétences marocaines de l’étranger, illustre l’espoir que «la mise en synergie du CCME et de l’ARM va donner lieu à des initiatives durables, des résultats et des recommandations fortes qui seront la base d’une feuille de route, afin de travailler de manière concertée, collective et efficace, avec les institutions, les associations et les MRE dans les régions», ajoute Chadia Arab.
Membre du bureau exécutif de MeM by CGEM, la treizième région dédiée aux entrepreneurs marocains du monde au sein de la Confédération générale des entrepreneurs du Maroc, Karim Basrire souligne, pour sa part, que «c’est l’occasion aujourd’hui de faire connaître et d’apprendre de nombreuses expériences intéressantes, des réseaux associatifs multiples et variés». «La diaspora marocaine est très diverse, j’en retiendrai l’expérience d’une grande importance en cours à Agadir, au niveau de la région de Souss-Massa, sur un réseau d’ambassadeurs économiques MRE en fédérant l’ensemble des institutions locales», ajoute-t-il.
«Le gros travail est celui de l’indentification. S’il est bien affiné et abouti, nous pourrons trouver les bonnes pépites, d’aujourd’hui et de demain, à même de faire développer des projets prometteurs dans les régions d’origine. Dans les années à venir, nous pourrons ainsi avoir des résultats très intéressants au niveau local, grâce à cette déclinaison régionale. L’effort des régions à développer des projets pourront nous faire découvrir de nouveaux profils à l’internationale et attirer des projets à grande valeur ajoutée et générateurs d’emploi, en harmonie entre les compétences d’ailleurs et les réalités, les potentiels mais aussi les attentes des territoires.»
Un engagement nécessaire de l’ensemble des présidents des régions
Docteur en sociologie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam-Paris, LISE-CNRS), post-doctorant à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), au sein de l’Université d’Aix-Marseille, spécialiste des migrations internationales marocaines Hicham Jamid interpelle sur le fait que «dans le discours commun, on entend souvent par ‘compétences marocaines du monde’ des profils d’entrepreneurs, d’ingénieurs ou de chercheurs ; sauf qu’en sociologie du travail, il faut bien distinguer entre les notions de compétence et de qualification qui ne sont pas jumelles». «La deuxième est celle qui est liée au diplôme, au type de titre de séjour, au poste de travail occupé et au niveau de salaire touché dans le pays de résidence», souligne-t-il.
«Aujourd’hui, les profils de MRE sont structurés en réseaux et en associations identifiables, avec des interventions diversifiées par secteur et par territoire ; ce sont des hommes et des femmes. La question est de voir le niveau de coordination entre ces structures et les interlocuteurs qu’elles ont, ce qui nous appelle à réfléchir sur les questions des diasporas et de communautés transnationales en lien avec le Maroc», ajoute le chercheur.
«Ces diasporas ont au Maroc le CCME, la Fondation Hassan II pour les MRE, un ministère dédié mais déclassé en secrétariat délégué auprès des Affaires étrangères, puis les régions, dans un contexte de réformes des Centres d’investissement (CRI), de la Charte d’investissement. Il y a une réelle volonté, mais la question est comment réussir un engagement effectif, au niveau territorial, à travers les présidents de régions.»
Evoquant le rôle de ces dernier, Hicham Jamid déplore le fait que «ceux invités à intervenir lors de ce séminaire ont brillé par leur absence», à l’exception d’Abdellatif Maazouz pour Casablanca-Settat et Mbarka Bouaida, qui préside le conseil régional de Guelmim-Oued Noun en même temps que l’ARM, coorganisateur de l’évènement. Pour le sociologue, «il est important de passer de la question centrale de politique migratoire nationale et l’injecter dans les territoires» et «c’est à ces régions-là de se saisir de ces dynamiques».