Les années de Covid se suivent et se ressemblent, surtout pour celles et ceux qui ont le courage, parfois seulement l’obligation de voyager en ces temps incertains. Après un long confinement du second trimestre de 2020 et le blocage de milliers de Marocains suite à la fermeture des frontières, l’année dernière, l’histoire semble se répéter avec la suspension soudaine de tous les vols internationaux depuis lundi soir, en raison de l’inquiétude quant au nouveau variant du SARS-CoV-2, baptisé Omicron.
Des milliers de Marocains en voyage, ces derniers jours, n’ont eu qu’une journée pour trouver un billet de retour dans l’urgence et faire leurs tests PCR pour pouvoir retourner chez eux. Une course contre la montre qui a laissé sur le carreau de nombreux concitoyens, désormais bloqués à l’étranger pour au moins 15 jours. Témoignages de désarroi, emails, appels téléphoniques, messages vocaux ou vidéos jetées dans les réseaux sociaux comme des bouteilles à la mer sont leur seule bouée pour le moment. L’émission Faites entrer l’invité, spéciale Marocains du monde sur Radio 2M, en partenariat avec Yabiladi, a donné la parole aux compatriotes bloqués, comme en 2020 lors du confinement.
Halima, bloquée à l’aéroport d’Istanbul avec sa fille et son époux, a ainsi témoigné avoir appris de manière soudaine la fermeture des frontières. En séjour de huit jours en Turquie, elle raconte avoir cherché désespérément à acheter des billets de retour avant l’application de la mesure, mais en vain. «Notre budget limité pour la durée initiale du voyage a été épuisé. Nous avons des engagements professionnels dans notre pays et notre situation médicale nous permet difficilement de tenir dans ces conditions. Je serai à court de médicaments pour une maladie chronique d’ici deux jours et je ne peux pas en acheter d’autres différents de mon traitement, par peur de conséquences sur ma santé», a-t-elle déclaré.
Une situation qui plonge des familles dans l’incertitude
Cette mère de famille craint encore plus pour sa fille, elle aussi en besoin de médicaments pour des problèmes chroniques de santé et inscrite à un cycle l doctoral qu’elle doit commencer bientôt à l’Université d’Oujda. «Son dernier délai de confirmation expire vendredi et elle doit se rendre sur place. Cela fait quatre ans qu’elle travaille dur pour ce projet qui lui tient tellement à cœur mais qu’elle risque de perdre», regrette la maman. Malgré ses tentatives et celles des autres ressortissants bloqués à l’aéroport, elle déplore le fait de ne pas trouver un répondant, au niveau du consulat du Maroc dans la ville.
«On nous dit qu’on n’y peut rien pour nous, en attendant qu’on reçoive des instructions depuis le royaume. Nous dormons à l’aéroport et les gens des autres nationalités nous regardent. Il y a des femmes enceintes, des bébés et des enfants en bas âge qui dorment à même le sol.»
Etant à court d’argent, Halima raconte avoir quitté l’hôtel où elle a passé son séjour avec sa fille et son époux. Selon elle, «près de 200 personnes dans le même cas sont actuellement à l’aéroport». La situation a poussé les autorités aéroportuaires à limiter l’accès à l’intérieur du lieu, par souci de sécurité.
A Istanbul également, Wafaa est restée bloquée après avoir espéré prendre le dernier vol pour Casablanca, lundi dernier. En transit depuis Chypre, elle s’est résignée à rester dans un hôtel. «La journée du lundi a été pour moi très angoissante, pleine d’émotions négatives. J’ai eu la peur de ma vie», confie-t-elle. «Le début de la souffrance a commencé avec le premier vol depuis Nicosie et qui devait durer une heure et vingt minutes à peu près. Après une heure et demie de vol, j’ai constaté que l’avion n’entamait pas sa descente et il nous a été annoncé que le commandant de bord attendait l’autorisation d’atterrissage, après la tempête qui a frappé Istanbul», se rappelle la ressortissante. Son vol aura finalement duré quatre heures pour être dérouté vers Ankara, l’aéroport d’Istanbul ayant fermé son espace à cause des conditions météorologiques.
«J’ai prié pour pouvoir arriver à temps et prendre le dernier vol vers Casablanca avant la fermeture des frontières», a confié Wafaa, qui s’est dit «épuisée physiquement et psychologiquement» après cette journée apocalyptique. Dans l’incompréhension, elle estime que «c’est une bonne chose que le Maroc permette le rapatriement des étrangers vers leur pays d’origine», mais que les autorités marocaines «doivent penser aussi aux citoyens éparpillés partout dans le monde». «Nous pouvions être rapatriés et confinés à l’hôtel, quitte à le faire à nos frais, mais l’important pour nous est de revenir à notre pays tout en tenant compte des contraintes liées à la crise sanitaire», a-t-elle insisté.
Des mineurs bloqués à l’étranger, loin de leurs parents
Mère de famille, Ahlam, elle, est plongée dans l’incertitude par rapport à sa fille de 17 ans, qui s’est trouvée bloquée aux Emirats arabes unis (EAU) au cours d’un échange scolaire avec une école américaine à Dubaï. «Elle devait rentrer le 5 décembre, mais nous avons été pris de court par la décision du gouvernement, annoncée un dimanche après-midi. Nous avons cherché un vol, direct ou avec escale, sans trouver de solution. De plus, il aurait fallu également une marge de temps pour faire le test PCR», a-t-elle déclaré.
L’inquiétude de la maman est grande, d’autant qu’«à partir du 5 décembre, l’école se décharge de la responsabilité des enfants», mettant en difficulté la fille d’Ahlam et une autre élève marocaine dans la même situation. Dans l’angoisse, la mère de famille devra chercher un hébergement sûr pour la lycéenne, «mineure et seule dans un pays étranger». Sa situation pose aussi un dilemme administratif, les séjours aux Emirats étant réglementés par un visa à durée déterminée, notamment pour les ressortissants marocains.
«Nous demandons des vols spéciaux pour faire revenir nos enfants et tous les Marocains bloqués dans le monde, d’autant que nous ne sommes pas sûrs si cette mesure durera 15 jours seulement, ou si elle sera prolongée, compte tenu de l’évolution de la situation épidémiologique dans le monde.»
Marocain résidant à Lyon, Mohamed est pour sa part resté au Maroc, sans pouvoir retourner à sa ville de résidence. «Je me rends compte après tous ces témoignages, que dans mon malheur j’ai une chance inouïe. Je pense à mon père qui nous a quittés il y a deux ans, qui a construit sa maison à Tanger où je peux résider pour l’instant. Je suis dans mon pays, au Maroc, certes coincé, mais dans la maison de mon papa», a-t-il confié en préambule. «Je pense aussi à toutes ces personnes bloquées à l’étranger et à ceux qui sont coincés au Maroc mais qui n’ont pas les moyens financiers pour continuer à vivre au quotidien, en attendant de retourner au travail dans leur pays de résidence, avec le risque de perdre leurs emplois», déclare encore le Franco-marocain.
Initialement, le retour de Mohamed était prévu ce 1er décembre. Après une première fermeture des frontières avec la France, il a repoussé son départ au lendemain, en réservant son billet pour Genève, en Suisse. Mais ce voyage n’aura finalement pas lieu, puisque la décision a été élargie à toutes les destinations étrangères. Sauf annulation, il pourra bénéficier d’un vol de rapatriement dans les deux prochains jours. «En principe, plusieurs compagnies organise des vols spéciaux vers la France, bien que les prix soient terrifiants», explique le MRE, selon qui les tarifs se situent entre 300 et 400 euros, mais peuvent atteindre 800 euros l’aller simple, ce qui peut être difficile pour certaines familles.
S'il existe une solution, parfois coûteuse, pour les personnes bloquées au Maroc, aucune ne pointe à l'horizon pour les Marocains bloqués à l'étranger.