Depuis le XIIIe siècle, le Maroc a été au cœur de plusieurs missions dépêchées par l’Eglise catholique pour évangéliser le royaume d’Afrique du Nord. De ce fait, plusieurs missionnaires avaient conclu leurs missions dans des geôles des sultans du Maroc, les plus chanceux ont été déclarés persona non grata, tandis que d’autres ont été condamnés à mort, comme le cas du prêtre catholique espagnol Juan de Prado.
Selon les plateformes Santi Beati et Catholic Saints, Juan de Prado est né à León vers 1563 au sein d’une famille noble. Orphelin à l’âge de cinq ans, il entreprend des études théologiques qui l’amènent ensuite à rejoindre l'Ordre des Frères Mineurs en 1584. Il occupait un grand poste au sein de la province franciscaine de San Diego en 1610, lorsque, trois ans plus tard, il est appelé par l’Eglise à mener une mission au Maroc. «En 1613, une épidémie de peste frappe le Maroc et tue tous les franciscains engagés», dans le pays, raconte-t-on. Juan de Prado est alors nommé par le pape Urbain VIII comme missionnaire apostolique au chevet de la petite population chrétienne établie dans le royaume.
Une mission qui tournera mal
Avec deux compagnons, le missionnaire quitte alors Cadix, le 27 novembre à destination de Marrakech. Sa mission consistait à «réconforter les chrétiens qui y étaient détenus en captivité par les Marocains et qui risquaient de perdre leur foi». L’arrivée des trois missionnaires, à un moment où le sultan saadien Al-Walid Ben Zaidan venait à peine d’accéder au pouvoir d'un Maroc déjà fragilisé, n’était pas passée inaperçue.
Ainsi, selon les deux précédentes sources ainsi que l’article «Jews under Islam in early modern Morocco in travel chronicles» (Jewish Culture and History Journal, volume 21, 2020) de Maite Ojeda-Mata, les autorités de Marrakech demandent d’abord aux missionnaires de ne pas quitter le Mellah, où vivaient des captifs chrétiens, avant d’exhorter les trois religieux à rebrousser chemin vers l’Espagne. Un ordre qui ne sera pas suivi par Juan de Prado et ses deux compagnons.
Ils continueront ainsi leurs missions. «Juan a organisé [des cérémonies religieuses] pour les prisonniers, les a réconforté et les a exhorté à être prêts à souffrir plutôt que de nier la foi chrétienne», écrit-on dans le «Livre franciscain des Saints». Juan de Prado continuera ainsi à évangéliser et promouvoir la foi chrétienne au pount d'irriter davantage Al-Walid Ben Zaidan. Le sultan saadien ordonne que les trois missionnaires soient emprisonnés et condamnés à des travaux forcés.
«Jean embrassa les chaînes avec une joie ardente et s'écria : "Maintenant, ô Seigneur, je suis conscient de ton grand amour pour moi ! Comment ai-je mérité une telle grâce ?" Le roi le fit comparaître plusieurs fois dans l'espoir qu’il fasse acte d'apostasie, mais toujours en vain.»
Selon Maite Ojeda-Mata, Moïse Pallache, alors conseiller du roi, avait pourtant mis en garde contre le fait de punir le prédicateur. «Ne le tuez pas. En le tuant vous ne vous vengerez pas, vous lui donnez ce qu'il veut. Sachez que ceux-ci viennent chercher la mort», a-t-il confié au sultan saadien.
Illustration de Juan de Padro. / DR
Brûlé vif et béatifié par l’Eglise un siècle après sa mort
Un conseil qui ne résistera pas à la première montée de colère d’Al-Walid Ben Zaidan. Lors d’une dernière audience accordé au missionnaire, le sultan saadien, «furieux, fit cruellement flageller John, et lui-même lui donna un coup à la tête avec une épée», indique-t-on dans le «Livre franciscain des Saints».
Celui-ci ajoute que le sultan saadien ordonnera aussi qu'un grand feu soit allumé et que Juan y soit jeté. «Même au milieu des flammes, cependant, Juan a continué à prêcher, jusqu'à ce que, submergé de pierres par ses bourreaux, il sombre dans le feu.»
Dans «The Captive Sea : Slavery, Communication, and Commerce in Early Modern Spain and the Mediterranean» (Editions University of Pennsylvania Press, 2018), Daniel Hershenzon raconte que «Lorsque les chrétiens de Marrakech ont cherché des parties du corps du franciscain Juan de Pradin qui avait été brûlé à mort le 24 mai 1631, des renégats locaux ont fait pression sur les autorités musulmanes». Ils ont ainsi «averti que ces reliques serviraient un culte déshonorant l'islam» pour empêcher à ce que Juan de Prado devienne un symbole parmi les captifs.
Ce n’est qu’en 1728, soit près d’un siècle après cette fin tragique et le décès des missionnaires que l’Eglise décide, à travers un décret pontifical, de béatifier Juan de Prado. Dans son argument expliquant cette décision, le pape Benoît XIII a confirmé, le 24 mai 1728, que le Franciscain avait été tué in odium fidei, soit à cause de la haine de la foi chrétienne.