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Tribune

“Opération Omar” : les cheikhs aboient, la caravane du feuilleton passe!

Depuis le début de ramadan, la grande bataille du feuilleton est lancée (sauf pour les Syriens qui, hélas pour eux, ne font pas dans la métaphore). Comme à l’accoutumée, rien ne filtre sur les statistiques d’audience mais le brassage médiatique fait autour de la diffusion d’Omar confirme qu’il s’agit bien de la grosse opération de la saison. Signe des temps, c’est sur les réseaux sociaux que les adversaires du feuilleton se mobilisent en ouvrant, non sans succès, des pages Facebook pour exhorter les bons musulmans à ne pas regarder cette œuvre quasi impie, tandis qu’un richard local se propose de couvrir les pertes (en arabe) au cas où la MBC accepterait d’arrêter la diffusion !

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La MBC, la chaîne coproductrice, a tout de même innové en enrôlant les traditionnels «prédicateurs de carême (en arabe) pour que leurs causeries portent, comme par hasard, sur cette grande figure de l’islam. Sur Al-Arabiyya, qui n’est en principe pas concernée en tant que chaîne d’information, la querelle entre autorités religieuses est un bon prétexte pour faire la promo du feuilleton tout en défendant la licéité de ce type de divertissement. Comme le confessionnalisme est une thématique à la mode en ce moment, on trouve même un article (en arabe) rappelant que l’acteur qui incarne le second calife n’est pas chrétien. S’il avait été chiite, aurait-il pu interpréter Omar ? Intéressante question de casuistique !

Néanmoins, les réactions à la diffusion du nouvel opus posant la question de la figuration des prophètes et autres figures saintes – réactions synthétisées dans cet article sur L’Orient-Le Jour en version anglaise quasi identique sur Middle East Online – montrent bien que «si les cheikhs aboient, la caravane du feuilleton passe !» En dépit de toutes les protestations des zélotes, la nouvelle doctrine (sunnite) vis-à-vis de l’image et de la représentation humaine est en passe de s’imposer. C’est une évidence qu’il faut tout de même rappeler : dès lors qu’on s’y intéresse en tant que fait social, l’islam est une religion comme les autres… et donc à même d’évoluer comme les autres. Les pratiques rituelles les plus installées dans la tradition (à la mode wahhabite, la version dominante aujourd’hui) changent, pour peu que les enjeux soient à la hauteur. Naguère, le veau d’or de l’argent roi avait fait plier l’interdit de la figuration (les souverains saoudiens se laissant tirer le portrait sur les billets de banque) ; aujourd’hui, les enjeux de puissance propres à la géopolitique de l’audiovisuel sont en train de redessiner les frontières de l’interdit de la représentation des figures saintes de l’islam.

Au-delà de la compétition entre sunnites et chiites, évoquée à maintes reprises dans ces billets, cette évolution de la doctrine wahhabite – à grand renfort de fatwas qui ne sont probablement pas toutes donnéesgracia pro deo (pour la gloire de Dieu, i.e. gratuitement) – est le résultat d’une lutte pour le leadership sur la «communauté des croyants». Avec l’éternel problème de ce que l’on appelle en langue arabe la oumma, problème qui tient à l’absence d’adéquation entre deux univers de légitimation, en principe distincts bien que ce soit loin d’être vrai dans les faits : le religieux et l’ethnique (ou l’ethnico-culturel). Car si tous les croyants sont en principe égaux en islam, la réalité est quelque peu différente dans les faits et en tout cas dans les esprits, à cause de l’arabité, cette «fierté d’être arabe», une donnée culturelle fort ancienne (en témoigne l’œuvre d’un poète comme Bachar ibn Burdau VIIIe siècle) renforcée par le nationalisme de l’époque moderne. Consciemment ou non, les pratiquants arabes de l’islam ont bien souvent du mal à se départir d’un sentiment de supériorité dans le pire des cas, en tout cas de la conviction qu’ils bénéficient d’une proximité particulière avec la parole divine, ne serait-ce que pour des raisons linguistiques (puisque le message divin a été délivré dans cette «langue arabe claire» que les pratiques cultuelles ont conservée).

Ces réalités sont à l’arrière-plan de l’étonnante alliance entre la télévision officielle qatarie et l’officieuse MBC saoudienne (voir le précédent billet) pour la production de l’ultime à ce jour muslim saga de ramadan. Manifeste dans des domaines qui vont des compétitions sportives planétaires aux interventions en politique internationale comme on le voit sur le terrain syrien en ce moment, l’irrésistible appétit de puissance des dynasties pétrolières arabes est particulièrement patent dans ce qu’il conviendrait d’appeler, à la mode des fictions hollywoodiennes, « Opération Omar». L’objectif, c’est bien d’imposer le sceau de la puissance du Golfe à la diffusion du message religieux. Comme le proclame fièrement cet article (en arabe) d’Al-Arabiyya, c’est presque un tiers des musulmans vivant dans le monde qui peuvent profiter du feuilleton Omar traduit – une volonté présente dès l’origine du projet – dans les principales langues de la oumma musulmane : le turc et surtout l’indonésien (la première communauté nationale musulmane, avec plus de 200 millions de fidèles)…

(à suivre, avec le troisième et dernier volet, comportant l’analyse de la bande-annonce déjà promise !)

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Tribune

Yves Gonzales-Quijano
Sociologue
Culture et politique arabes  
Emission spécial MRE
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