Après plusieurs alertes lancées par les défenseurs de l’environnement dans la région, le drame a fini par se produire. L'embouchure de la Moulouya, l’un des importants fleuves du Maroc qui dessert une partie du Maroc oriental, ne communique plus avec la mer Méditerranée. Des activistes ont ainsi publié, hier, les images d’un cordon sableux qui sépare désormais l'embouchure de la mer. Un drame écologique qui menaçait jusque-là cette zone humide.
«La situation est très catastrophique et très critique et tout le monde est d’accord là-dessus. Nous aborderons ce problème avec la direction régionale des Eaux et forêts. Le dessèchement de la Moulouya va détruire le site, surtout avec des prélèvements d’eau qui ne laissent plus rien à la nature», regrette ce jeudi Mohamed Benata. Docteur en géographie et président de l'ONG Espace de solidarité et de coopération de l'Oriental (ESCO), il reconnaît qu’il «n’y avait pas beaucoup de précipitations récemment», mais affirme que «les politiques agricoles et les stations de pompage ont aggravé le problème».
Un faible débit «drainé par deux stations de pompage»
«La station de pompage du barrage Sultan Moulay Ali Cherif s’accaparait de la moitié du débit du fleuve. Ils ont mis en place une autre à Oulad Settout (mise en service en mars 2021) alors qu'il est prévu d’en rajouter d’autres. Seulement, avec ces deux stations déjà opérationnelles, le débit écologique n’est pas préservé et l’eau n’atteint plus la mer», explique-t-il.
Le débit écologique est défini comme un seuil minimal d'écoulement naturel des cours d’eau avant l’intervention humaine notamment par la construction des ouvrages de retenue ou de dérivation pouvant menacer l’équilibre des écosystèmes aquatiques.
«Pourtant, la Loi de l’eau prévoit un débit écologique nécessaire à respecter, quelle que soit la structure (station de pompage, barrage,…). Elle est donc claire et il existe des textes et des conventions. Malheureusement, la réalité sur le terrain est toute autre», dénonce cet ingénieur agronome à la retraite et fervent défenseur de l’environnement. «Lorsque l’eau n’est plus courante et ne coule plus, il y aura automatiquement de la pétrification et de mauvaises odeurs dans les eaux qui stagnent au niveau de la zone. Il faut donc s’attendre à la mortalité des poissons et la dégradation de la biodiversité», détaille-t-il encore.
«Nous sommes devant une vraie catastrophe écologique. Même pendant les années de sécheresse, l’eau coulait toujours dans la rivière et atteignait la mer. Le courant entre le fleuve et la mer n’a jamais été rompu dans l’histoire de la Moulouya, ce qui est une première.»
La longue agonie d’une zone humide
Le président de l’ESCO rappelle que «les quatre barrages installés sur le fleuve régulent déjà à 100% son débit». «C’est seulement en temps d’inondations qu’ils effectuent un lâcher. Avec l’extension du barrage Mohammed V, mêmes ces lâchers d’eau ne parviendront plus à l’embouchure», regrette-t-il encore. «En temps normal, ce sont des sources situées après le barrage Machraa Hammadi qui permettent récemment d’assurer le débit écologique de la Moulouya. On consomme plus que la capacité du fleuve et les stations de pompage n’arrangeront pas les choses, le débit est ainsi complètement desséché», enchaîne-t-il.
Dans ce sens, Mohamed Benata note que les militants n’ont pas «cessé d’alerter le gouverneur, le wali, la direction des Eaux et forêts, le Point focal de RAMSAR (Convention sur les zones humides d'importance internationale, ndlr)». «Tout le monde est au courant mais rien n’a été fait», lâche-t-il.
L’associatif plaide ainsi pour une «révision» de la politique agricole dans la région. «Le ministère ne doit pas pompé au-dessus de ce qui est possible. Il ne reste plus rien pour la nature avec les stations de pompages et les barrages. Ils doivent laisser un petit débit et veiller au respect de cette mesure», insiste-t-il.
L’agonie de cette zone humide a déjà connu un épisode sévère. Il y a quelques semaines, des activistes, dont l’ESCO, ont alerté sur la situation du «bras mort» de la Moulouya, à cause de plusieurs facteurs, dont l'obturation du canal qui l'alimente avec les eaux de Aïn Zebda et Aïn Chabak. «On prévoyait aussi une petite opération pour nettoyer un canal afin de le restaurer mais nous n’avions pas réussi à l’effectuer», regrette notre interlocuteur. Une fin tragique annoncée, au grand dam des sonnettes d’alarmes tirées par les ONG locales depuis déjà plusieurs mois.