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Interview  

Mohamed El Aboudi : Les nomades et l’école de l’espoir au Maroc [Interview]

Réalisateur marocain résident en Finlande, Mohamed El Aboudi signe son deuxième documentaire consacré au Maroc, «L’école de l’espoir». Prévu dimanche 3 octobre sur 2M dans le cadre de la case documentaire «Des Histoires et des Hommes», le film plusieurs fois primé traite de la question de l’accès à l’enseignement, particulièrement dans les zones de tribus nomades.

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School of hope, un film documentaire de Mohamed El Aboudi
Temps de lecture: 5'

Avant «L’école de l’espoir», vous avez réalisé le documentaire «Dance of outlaws». Y a-t-il un fil rouge entre les thématiques de ces deux films ?

«L’école de l’espoir» est le résultat de mon travail préalable sur «Dance of outlaws» en 2012. Si je ne l’avais pas fait, je n’aurais peut-être pas réalisé ce second documentaire. En filmant «Dance of outlaws», une idée s’est développée et je me suis dit que la situation que vivent les femmes que j’avais filmées était en grande partie liée au fait qu’elles n’aient pas eu accès à l’école. La privation de l’instruction scolaire fait qu’on ne connaît pas ses droits et qu’on ne sait pas ce qui nous attend dans la vie en société, ce qu’on peut lui donner et ce qu’elle peut nous donner en retour.

Je me suis demandé comment notre société pouvait évoluer, si l’on ne permettait pas à des citoyens de s’instruire pour qu’ils acquièrent l’importance d’envoyer leurs enfants aussi à l’école. C’est ainsi que j’ai pensé à faire un film sur l’école au Maroc. J’ai commencé à faire des recherches en souhaitant m’intéresser à ce que l’on appelle le Maroc profond.

Combien de temps avez-vous travaillé sur votre dernier documentaire ?

Je pense que le travail sur un documentaire commence dès que la réflexion sur le sujet débute. Je peux dire que cela m’a pris huit ans en tout. La recherche et les rencontres régulières avec le début de tournage m’ont pris quatre ans. D’une connaissance à l’autre, j’avais rencontré par hasard une personne à Outat El Haj, qui m’a fait connaître l’existence de nomades de la tribu des Oulad Boukais. En cours de chemin, on m’a montré une petite bâtisse servant d’établissement scolaire au milieu de nulle part. Elle s’appelait «L’école de l’espoir». Les enseignants n’y étaient pas affectés de manière permanente.

En échangeant avec les riverains, j’ai appris que nombre parmi eux étaient bien des nomades, mais les changements climatiques et la sécheresse ont considérablement impacté leur mode de vie, ce qui les a poussés à se sédentariser. Cependant, ils ne pouvaient élire domicile dans une grande ville, du jour au lendemain. Leur seule volonté était donc d’éduquer leurs enfants, de leur apprendre à lire et à écrire, dans l’espoir qu’ils aient une vie meilleure.

Comment se fait la rencontre entre le réalisateur que vous êtes et les protagonistes des documentaires que vous réalisez ?

D’habitude, le travail sur un documentaire nécessite qu’il y ait préalablement un rapport de confiance que le réalisateur tisse avec ses personnages sur un temps long. Avant de passer à l’étape de poser sa caméra pour filmer, il faut prendre le temps nécessaire pour côtoyer les personnes qui ont eu la bienveillance de nous accueillir sans nous juger et avec lesquelles on sera amené à travailler pendant plusieurs mois, voire une année ou plus, de manière à ce qu’elles sachent que nous sommes là pour faire un documentaire avec leur accord, pour elles et avec elles. On devient un membre de la famille.

Etant de père enseignant, j’ai moi-même donné des cours aux enfants des Oulad Boukais, durant la période où je suis resté avec leurs parents dans le cadre du film. Nous avons tissé des liens forts et nous avons partagé la vie quotidienne exactement comme ils la vivent.

Vous prônez une approche anthropologique dans le travail documentaire ?

Je pense que l’on ne peut pas faire autrement, lorsqu’on fait un documentaire sur des questions sociales et qu’on veille à ne verser ni dans le misérabilisme, ni dans le voyeurisme, mais que l’on porte le souci de transmettre fidèlement des réalités.

Avant de commencer le tournage de «L’école de l’espoir», j’ai fait un long travail de documentation avec l’équipe du film. Nous avons fait beaucoup de lectures et de recherches sur l’Histoire de la région, sur les dérèglements climatiques, sur l’échec de modèles d’intégration des familles nomades dans les dynamiques d’urbanisation, sur les problématiques des peuples nomades à travers le monde et particulièrement en Asie, où de nombreuses tribus se sont confrontées aux mêmes problématiques que ceux du Maroc.

School of hope - Mohamed El AboudiSchool of hope - Mohamed El Aboudi

Ce processus d’instruction est important dans le cadre d’un documentaire, non seulement pour le réalisateur mais aussi pour son équipe, afin qu’on ait le même bagage, le même niveau de connaissance et que nous puissions avoir une même compréhension de la trame du projet de film. C’est tout aussi important car cela propose différents niveaux de lecture pour des spectateurs qui n’ont pas vécu dans des milieux nomades, mais qui s’instruisent en ayant l’image la plus proche de la vie de ces populations.

Votre intérêt pour les thématiques de vos documentaires part aussi de votre vécu ?

Peut-être inconsciemment, mais ce n’est pas ce que je prends en considération de manière principale pour le choix des sujets. Cela se fait souvent au hasard de mes rencontres. Etant originaire d’Ouezzane, j’ai rencontré les personnages filmés dans «Dance of outlaws» en côtoyant un ami luthiste dans la ville. Lorsque j’ai échangé avec les jeunes filles chikhates qui l’accompagnent pendant les fêtes de mariage, j’ai tout de suite eu l’idée de faire ce documentaire en suivant le vécu de ces danseuses et surtout de Hind, devenue le personnage principal.

Pour «L’école de l’espoir», les questions sont pour moi liées et l’on ne peut pas disséquer l’enseignement de la situation des femmes, d’où mon intérêt de creuser cette piste. Aussi et pour avoir grandi au Maroc, j’ai moi-même fait l’école en parcourant quotidiennement six à sept kilomètres à pied chaque matin. J’ai été marqué en voyant qu’en 2021, des enfants de mon pays vivent encore la même situation que moi il y a plus de 40 ans. Même si les conditions étaient difficiles à l’époque, nous nous retrouvions réellement dans un établissement scolaire, nous pouvions manger dans les réfectoires, les enseignants étaient affectés de manière fixe. C’était aussi un espace de sociabilisation où les élèves étaient issus de milieux différents…

Vous êtes résident en Finlande, mais vous n’êtes jamais loin du Maroc, particulièrement dans vos films. Votre vie à l’étranger vous permet d’avoir du recul sur les problématiques sociétales de votre pays ?

Je pense que mon rôle en tant que citoyen marocain ayant vécu différentes réalités est de contribuer un tant soit peu à faire changer les choses, ne serait-ce qu'à un niveau local. Nous l’avons vu d’ailleurs après «Dance of outlaws». Aujourd’hui, les femmes de la région ont bénéficié de projets économiques, de formations et ont été intégrées à des coopératives dans le nord du pays. La fille de Hind fait aujourd’hui des études à Tétouan. «L’école de l’espoir» amène aussi à une prise de conscience auprès des personnes qui l’ont vu jusque-là et qui ont réalisé la valeur de l’accès à l’éducation.

School of hope - Mohamed El AboudiSchool of hope - Mohamed El Aboudi

Avant de faire des documentaires, j’ai fait mes études en cinéma en Australie, où j’avais migré, travaillé et obtenu la nationalité. Mais j’ai d’abord passé toute ma vie au Maroc. J'ai vécu pendant plus de trente ans à l’étranger, où j’ai surtout travaillé pour la télévision en Finlande. Ce parcours de vie m’a permis d’avoir une connaissance des problématiques sociétales de mon pays d’origine, tout en acquérant une capacité de recul positif. Cela m’a permis également d’être convaincu que l’éducation, l’enseignement et l’instruction sont le ciment du développement de notre société. C’est un vecteur de citoyenneté, de valeurs communes, d’émancipation des personnes et surtout des femmes.

Mon souhait, surtout dans le contexte actuel après les élections du 8 septembre, est que l’enseignement soit réellement érigé en priorité politique nationale, surtout dans les régions qu’on appelle le Maroc profond.

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