L’évolution de l’économie marocaine, au cours de la période 1982-2018, a été marquée par une insertion plus marquée dans l’économie mondiale dont les modalités institutionnelles ont évolué. De 1998 à 2018, une forte progression du taux d’ouverture à l’exportation de la production intérieure et du taux de pénétration du marché intérieur par les importations a été constatée, expliquent Attioui Abdelali, Billaudot Bernard et Chafiq Adnane. Dans une analyse intitulée «Les implications du mode d’insertion du Maroc dans l’économie mondiale sur sa croissance et sur son développement : passé et avenir», les trois chercheurs analysent ainsi les implications sur la croissance et le développement du Maroc de cette insertion dans l’économie mondiale.
En effet, à la suite de la crise de 2008 et ses conséquences en Europe, «aucune reprise n’est constatée après, le rythme de croissance du PIB marchand non agricole étant même inférieur sur 2013-2018 à celui qui est constaté sur 2008-2013».
«Contrairement à ce qui était attendu du choix de l’ouverture et de la politique industrielle qui l’a accompagné, ce dernier ne s’est pas accompagné d’un processus marqué d’industrialisation, même si le recul de l’un des principaux secteurs exportateurs du Maroc à l’époque – les industries du textile, du cuir et de l’habillement – a été compensé par un fort dynamisme des industries mécaniques (automobile, aéronautique), électriques et électroniques en fin de période.»
Pour expliquer l'insuffisance de la croissance économique attendue du choix du mode d’insertion dans l’économie mondiale, qualifié de «libre-échange», pour assurer la progression du volume global d’emploi, du niveau de qualification des emplois créés et des dépenses publiques consacrées à la santé et l’éducation, l’étude fait appel une «grille d’analyse conceptuelle».
Transformer les ALE en «accords de co-développement»
Ses auteurs estiment, dans ce sens, que deux facteurs seraient les «causes de fond» de cette insuffisance de croissance. D’abord, la «sous-industrialisation dépendante» qu’ils décrivent comme juxtaposition d’activités distinctes au lieu d’un tissu industriel, avec une part importante d’entreprises faisant simplement de la sous-traitance et une part faible de sociétés faisant de la R&D. Il s’agit aussi du «poids encore élevé du monde de production domestique», qui fait que la progression de la demande intérieure est satisfaite par l’importation.
L’étude avance des propositions concrètes qui «doivent être comprises comme des compromis pragmatistes dont le socle commun est la recherche d’un développement humain et soutenable pour le Maroc». Ainsi, pour le moyen terme, elle propose d’«infléchir les accords de libre-échange déjà conclus dans le sens d’accords de co-développement».
«Puisque le co-développement est tout sauf le protectionnisme, cet infléchissement ne consiste pas à rétablir des protections (des droits de douane) pour des produits sensibles, mais à mettre en relation les importations et les IDE en provenance du pays (ou de l’Union de pays) avec lequel l’accord a été conclu par le passé avec le développement visé par le Maroc.»
Les trois auteurs proposent aussi de «conclure de nouveaux accords qui intègrent la préoccupation du co-développement avec des pays "en développement", tout particulièrement des pays africains qui entendent s’engager en ce sens».
Ils suggèrent également d’«instituer des accords État-branche pour la reconquête du marché intérieur via une nouvelle problématique de la qualification technique des produits». «Il s’agit de passer d’un contexte où les représentants des branches sont principalement préoccupés d’obtenir des "aides" de l’Etat à une logique "gagnant-gagnant"», ajoutent-ils. Dans ce sens, «l’enjeu principal est la capacité de la branche à satisfaire la demande intérieure en résistant bien à la pénétration des importations plutôt que celle d’exporter».
L’étude suggère que ces accords-cadres soient un bon «point de passage» pour résoudre le problème de la formation professionnelle et améliorer la productivité. A long terme, les experts proposent que le Maroc retienne un autre modèle pour son «développement-modernisation».