La France vit ses premiers jours de nouveau confinement sanitaire, à cause de la recrudescence des cas de nouveau coronavirus sur l’ensemble du territoire. Mais ce retour aux restrictions sur les sorties et les fréquentations des espaces publics agite d’ores et déjà le spectre de la désocialisation des personnes âgées et isolées, particulièrement dans les foyers qui hébergent les chibanis.
Des acteurs de la société civile craignent que cette mesure ne plonge à nouveau pas ces retraités dans l’isolement total, comme cela s’est produit en mars et en avril derniers, les foyers se transformant en prison, voire en mouroir. A elle seule, la promiscuité dans ces lieux, initialement temporaires, empêche la mise en place de mesures sanitaires relatives à la distanciation, d’autant plus que les parties communes restent essentielles au quotidien, entre cuisine et douches collectives.
Les chibanis, grands oubliés des mesures sanitaires pour personnes âgées
Président de l’Association CAP Sud MRE, Salem Fkire déclare à Yabiladi que «la démarche du gouvernement français n’a pas beaucoup changé en terme de logistique d’accueil, donc on ne voit pas comment la situation des chibanis pourrait évoluer sans mettre des infrastructures d’accueil descentes pour tout le monde».
Il estime même que «la problématique des chibanis n’a pas évolué en 40 ans» et qu’il est ainsi «difficile d’envisager qu’un premier ou un deuxième confinement va changer les choses». «Cette question n’est certainement pas la priorité du gouvernement», déplore le militant.
«Pour l’instant, on n’est pas dans la même configuration que la première phase de confinement, d’ailleurs, les EHPAD peuvent être visités. Nous espérons en tout cas que la réinstauration de ce dispositif ne sera pas plus contraignante pour les personnes âgées isolées, particulièrement les chibanis dans les foyers.»
Le gérontologue Omar Samaoli s’est d’ailleurs penché sur les aspects-médico sociaux et médico-psychologiques de la toute première phase de confinement, auprès de ces populations vulnérables. Aujourd’hui, il souhaite que les chibanis ne subissent pas les mêmes effets. «Personne ne s’en est rendu compte, mais on a confisqué la liberté aux gens sans considérer que les fragilités sont diverses», a-t-il déclaré à Yabiladi.
Auteur d’un article pour l’Observatoire gérontologique des migrations, qui analyse sept mois d’observations dans le milieu des Foyers de travailleurs étrangers, Dr. Samaoli décrit un «taux de mortalité catastrophiquement élevé dans les maisons de retraites, comme dans les foyers Adoma, qui sont de plus en plus occupés». Avec l’émergence de la pandémie, «même les prestataires de service» ont déserté les lieux.
«La vie quotidienne a été confisquée et ces personnes n’ont été concernés par aucune mesure de tests de dépistages, jusqu’à ce qu’on se soit rendu compte que les gens mourraient dans ces milieux et qu’on a découvert des infections à la covid-19.»
Depuis, «peu de communes ont réagi et les rares à avoir entrepris des actions ne l’on fait qu'après interventions des préfets». Selon Dr. Samaoli, les chiffres manquent, mais il relève que les «décès dans les foyers Adoma ont été concomitants à la propagation de la pandémie».
Ce n’est qu’après que des distributions de masques et de gels hydroalcooliques ont été organisées dans ces milieux, mais sans être accompagnées de l’essentiel : la prévention et la sensibilisation quotidiennes auprès de personnes âgées, déjà fragilisées par des maladies professionnelles ou chroniques et dont les habitudes de vie devaient être accompagnées pendant l’état d’urgence sanitaire.
«Avec ou sans pandémie déjà, cela fait 40 ans qu’on dit qu’il faut les sortir de ces petits cubes. Les étages supérieurs sans ascenseur étaient complètement coupés du monde, pendant le confinement. Des pensionnaires pouvaient y mourir seuls», nous décrit Omar Samaoli. Pour lui «un réel engagement politique pour des actions pérennes» ont fait défaut. «On sait que ce virus est permanent. Donc ce n’est pas un coup ponctuel qu’il fallait marquer, mais il fallait mener une réelle mobilisation pour habituer les gens aux gestes barrières», ajoute-t-il.
Reprochant des «manquements de la part des pouvoirs publics», Omar Samaoli souligne que quand bien même les agences régionales de santé devaient dépister et isoler, ce processus aurait été difficile à mettre en place dans les foyers Adoma. Pendant toute la période de pandémie, il n’y a pas eu «un seul mot d’un responsable sur la situation des personnes âgées dans ces milieux», a rappelé le gérontologue.
Si Omar Samaoli estime qu’il est «injuste d’abandonner ces personnes dans ces situations-là», il aurait aimé voir une implication des pouvoirs publics marocains auprès de leurs compatriotes retraités.
«Les représentations consulaires auraient pu demander à ce que leurs attachés sociaux listent ces travailleurs retraités et leur viennent en aide. Les déclarations d’intention étaient là, mais la présence effective du Maroc n’a pas été ressentie.»
Des leçons à tirer, mais peu de décisions politiques
Dans la vie quotidienne, le maintien du mode de vie dans les foyers Adoma pour des personnes âgées «s’avère inadéquat, sans qu’aucune alternative ne soit offerte aux gens», déplore encore Omar Samaoli. Pour lui, le confinement dans ces milieux a mis en exergue plusieurs problématiques relatives à «la situation du public âgé vulnérable».
«Les foyers ont toujours obéi à la logique consistant à héberger le maximum de gens dans un minimum d’espace, de telle sorte que dès leur origine et aujourd’hui encore, bon nombre de foyers ont des espaces de vie réduits à l’extrême (4,5m², 7m² ou 9m²), la taille déterminant le montant de la redevance payée par le résident», rappelle l'expert. «Ce n’est que tardivement que des améliorations ont commencé à être constatées avec une augmentation des surfaces habitables», souligne-t-il encore.
Dans l’attente d’une transformation vers «de petites résidences sociales à dimension humaine», il alerte que «le bâti se détériore, à l’image de certains foyers dont les portes des chambres ne laissent même pas passer un fauteuil roulant». Dans ces milieux, plusieurs personnes confinées «étaient déjà en situation de perte d’autonomie, incapables de sortir de leur chambre ou sortant peu et pour lesquels se posait la question des prestations socio-sanitaires : soins infirmiers ou d’hygiène, suivi médical et accompagnement social».
Entre colère et déception, Salem Fkire se désole de ces situations, rappelant que «les chibanis resteront la dernière roue du carrosse malheureusement, car considérés comme composante secondaire, alors qu’ils ont bâti la France actuelle, se sont battus pour la défendre lors de la Seconde guerre mondiale, avant d'accompagner les Trente glorieuses».
«Comme ce sont des personnes qui ne revendiquent pas, qui ont toujours été silencieuses et corvéables à souhait, les pouvoirs publics passent sous silence leurs situations de vie inhumaines, ce qui constitue un désintérêt de la part de l’Etat français. Il faut rendre hommage aux associations qui travaillent sur le terrain dans ce sens, et qui font le vrai travail de l’Etat en s’occupant de nos chibanis.»
Rappelant ainsi que depuis le début de la pandémie, «rien n’a changé ou n’a été réadapté dans la prise en charge qui manque», Salem Fkire indique à Yabiladi que son association est «toujours en contact avec Olivier Véran [ministre de la Santé, ndlr]», afin de finaliser les démarches juridiques permettant au moins d’effacer les usages discriminatoires dans l’accès de ces personnes aux prestations sociales et médicales.
Article publié avec le soutien de Google News Initiative