Le 31 mars de chaque année est l’occasion pour conter l’histoire du Maroc précolonial sous un angle différent. La fin du XIXe siècle et le début du XXe ont été marqués par une volonté affichée des puissances européennes de l’époque de coloniser le Maroc. Dès 1844, date de la fameuse bataille d’Isly, la France, déjà présente en Algérie depuis 1830, tente petit à petit de s’immiscer dans les affaires du Maroc. En 1901, les forces coloniales obtiennent un accord avec les autorités marocaines, les autorisant à «aider» l'administration dans les régions encore non contrôlées du Maroc oriental.
Se rendant compte qu’elle n’est pas le seul Etat lorgnant le Maroc, la France signe, un an après, une série d'accords bilatéraux avec d’abord l’Italie en 1902 sur le Maroc et la Libye. Deux années plus tard, soit en 1904, une autre série d’accords, désignés sous le nom d'«Entente cordiale», sont signés avec le Royaume-Uni. Une entente marquée notamment par l'attitude compréhensive de la Grande Bretagne vis-à-vis de la volonté française d’étendre son influence sur le royaume chérifien. Parallèlement, la France renoncera à toute visée sur l'Égypte. En s’alliant avec l’Italie et l’Angleterre, la France n’avait plus que l’Allemagne à écarter avant de passer à l’action.
Le Maroc au cœur des rivalités franco-allemandes
Mais les Allemands se sont présentés comme des adversaires de taille, malgré l’isolement de l’Allemagne ayant marqué l’époque de Friedrich Wilhelm Viktor Albrecht, alias Guillaume II d’Allemagne. Durant cette époque, le Maroc est au cœur des rivalités franco-allemandes mais il n’est pas la seule pomme de discorde entre les deux pays européens. Il ne faut pas oublier qu’entre 1894-1895, l’Allemagne a procédé à l'expansion de la flotte de guerre. Toutefois, sa politique ambitieuse provoque l'inquiétude, puis l'hostilité de la Grande-Bretagne qui se rapprochera davantage de la France. Un rapprochement qui provoquera la colère de l’empereur allemand. Avec un Etat de plus en plus isolé en Europe et une réticence vis-à-vis des politiques coloniales européennes, Guillaume II cherche à réaffirmer l’influence de son pays. D’ailleurs, il ne manquera pas de le prouver, en saisissant la première occasion, au lendemain d’une sollicitation, par le sultan Moulay Abdelaziz.
En 1905, le diplomate français Saint-René Taillandier, est en mission au Maroc pour rencontrer le sultan Abdelaziz. Objectif ? Proposer l'aide de la France au Maroc afin de rétablir l'ordre dans un royaume chérifien à travers des conseillers militaires et financiers. Une offre qui intéressera le sultan mais alimentera en même temps sa méfiance. Voyant de loin la volonté de la France d’étendre son contrôle sur le Maroc pour le transformer en un autre département français, il ne sait plus à quel saint se vouer. Ses conseillers lui suggèrent alors de se tourner vers l'Allemagne. Une occasion en or pour Guillaume II et qui répondait parfaitement à ses grandes orientations.
Guillaume II traversant à cheval la ville de Tanger. / Ph. Marco-Philie Daniel
Les conseils de Guillaume II à Moulay Abdelaziz
Guillaume II débarque à l’improviste à Tanger le 31 mars à bord de son navire. L'empereur d'Allemagne est vêtu d’un uniforme militaire spécial avec burnous et casque colonial. Il traverse alors la ville du Détroit à cheval, à la tête d'un imposant cortège, pour aller à la rencontre du sultan Abdelaziz. Devant le monarque chérifien, l’empereur d'Allemagne assure que son pays appuiera le Maroc et désapprouve les droits concédés à la France sur le royaume chérifien. Il tiendra aussi un discours très marquant : «C'est au Sultan, en sa qualité de souverain indépendant, que je fais aujourd'hui ma visite. J'espère que, sous la souveraineté chérifienne, un Maroc libre restera ouvert à la concurrence pacifique de toutes les nations, sans monopole et sans annexion, sur un pied d'égalité absolue», disait-il.
«Ma visite à Tanger a pour but de faire savoir que je suis décidé à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour sauvegarder efficacement les intérêts de l'Allemagne au Maroc. Puisque je considère le Sultan comme un souverain absolument libre, c'est avec lui que je veux m'entendre sur les moyens propres à sauvegarder ces intérêts. Quant aux réformes que le Sultan a l'intention de faire, il me semble qu'il faut procéder avec beaucoup de précautions.» Guillaume II, le 31 mars 1905 à Tanger.
Une carte postale illustrant la visite de l'empereur allemand au Maroc. / Ph. Marco Philie Daniel
Son déplacement et son discours marqueront la première crise de Tanger. Moulay Abdelaziz renoncera par la suite aux propositions de la France. Les puissances mondiales sont alors irritées. Le «coup de Tanger» provoquera la démission de Théophile Delcassé, alors ministre français des Affaires étrangères. Des pourparlers entre les deux pays européens sont alors instaurés. La crise n’est résolue qu’à travers la Conférence d’Algésiras, tenue en Espagne du 16 janvier au 7 avril 1906 sous l'égide des États-Unis avec la participation de 12 pays européens. Une rencontre au terme de laquelle l’Allemagne, la France et l’Espagne obtiennent provisoirement des droits sur les affaires marocaines.
Quelques années plus tard, soit en 1911, au lendemain du déplacement d’une grande armée française au Maroc sollicitée par le sultan Moulay Abdelhafid, l’Allemagne récidivera en décidant d’envoyer, le 1er juillet, son navire de guerre SMS Panther, dans la baie d'Agadir. Les rivalités franco-allemandes ne prendront fin que le 4 novembre 1911 avec la signature à Berlin d’une entente coloniale entre les deux puissances mondiales. Un accord qui imposait à la France de céder des terres au Congo et au Cameroun alors que l’Allemagne devait renoncer à ses intérêts au Maroc.
Après cette date, la route était désormais libre pour la France d’étendre son influence sur le Maroc. Ce sera chose faite le 30 mars 1912 avec la signature du «Traité pour l'organisation du protectorat français dans l'empire chérifien».