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Histoire : Le Maroc sous Moulay Ismail, prison à ciel ouvert pour les esclaves chrétiens

Lors de ses premières années de règne, le sultan alaouite Moulay Ismail, et contre toute attente, a décidé de capturer encore plus d’esclaves. Son rêve : construire un palais plus somptueux que celui de Louis XIV à Versailles. Il réservait aussi un châtiment exceptionnel à ceux qui s’évadent et aux Metedors qui les aidaient à s’échapper.

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Durant plusieurs siècles dans l’histoire du Maroc, l’esclavage était une pratique admise et fréquente dans les cercles de pouvoirs. Avec l’exode des Morisques évadés d’Espagne, entre le XVe et le XVIe siècle, le phénomène prendra de l’ampleur avec les raids des corsaires de la République de Salé. Les esclaves chrétiens s’échangeaient telles des marchandises dans les différents souks du royaume. Plusieurs pays européens ont dès lors entamé des opérations de rachats de captifs chrétiens ou encore d’échanges par des captifs musulmans.

Avec l’avènement de la dynastie alaouite au Maroc, les pays européens espéraient que la course menée entre Algériens et corsaires marocains cesse. Seulement, les Marocains dirigés par le nouveau sultan Moulay Ismail, doubleront vont très rapidement doubler le nombre de captif chrétiens, dépassant ainsi leurs voisins algériens.

Moulay Ismail et le rêve d’un château plus somptueux que celui de Versailles

En effet, peu de temps après son ascension au trône, le puissant sultan prend la décision de regrouper l’ensemble des chrétiens à Meknès. «Moulay Ismail, qui choisit Meknès pour installer sa capitale, se lancera rapidement dans un vaste programme de construction. Son objectif, at-il déclaré aux diplomates européens, était de créer un complexe palace qui surpasserait celui de Louis XIV à Versailles», raconte Robert C. Davis dans «Holy War and Human Bondage : Tales of Christian-Muslim Slavery in the Early-Modern Mediterranean» (Editions ABC-CLIO, 1 juil. 2009).

Ainsi, ses projets futuristes pour le royaume permettront également de gonfler considérablement le marché d’esclaves. Les employés du sultan achetèrent alors tous les chrétiens qu'ils trouvaient. Parmi ces captifs, les Espagnols représentaient la première nationalité, avant qu’ils ne soient surpassés par le nombre de Français.

Moulay Ismail. / Ph. DRMoulay Ismail. / Ph. DR

«Après 1680, lorsque les corsaires de Salé furent pleinement mobilisés pour capturer des chrétiens, la population de captifs dans l'ensemble du Maroc aurait bien dépassé les 25 000 personnes», poursuit Robert C. Davis. Des subsahariens, capturés «au-delà des montagnes de l'Atlas», comptaient aussi parmi les captifs.

Captures, tortures et châtiments

Dans cette nouvelle capitale du royaume, les esclaves étaient aussi soumis à toutes sortes de tortures. «Les passages à tabac étaient une constante et les rations étaient terribles, notamment à Meknès», poursuit Robert C. Davis qui cite le témoignage du Père Dominique Busnot.

«Les esclaves étaient totalement soumis au pouvoir d'un suzerain visionnaire, souvent capricieux et parfois meurtrier. Ils étaient loin des côtes, à l'abri des regards et de l'aide de tout marchand ou consul étranger. Le pire de tout, cependant, était le travail lui-même, que les esclaves avaient pour tâche de réaliser avec deux grandes chaînes de dix-huit ou vingt livres (unité de passe) pesant chacune sur [eux]».

Témoignage du Père Dominique Busnot

Au moins un cinquième de ces captifs «travaillaient à la construction du grand palais de Moulay Ismail à Meknès», poursuit l’historien qui ne manque pas de souligner que les tâches des esclaves «étaient surveillées par des gardes et effectuées sous la menace constante du coup de fouet».

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Les esclaves étaient en effet «fouettés pour avoir commis des erreurs en travaillant trop lentement ou pour avoir pris une pause». Et les plus habiles étaient envoyés dans les ruines de la cité romaine Volubilis, près de Meknès, pour «scier, couper, cimenter et ériger des piliers de marbre» qui serviront pour le palais royal de la capitale ismaélienne.

Des évasions de captifs chrétiens orchestrées par des Metedors

Ce lourd travail manuel et les gardes sans pitié poussaient alors certains de ces captifs à envisager la fuite, chose qui n’étaient pas  tâche facile. «Les particuliers qui désiraient la libération rapide d’un proche en captivité sont alors détournés des marchands au profit des métadores», raconte Ahmed Farouk dans «Quelques cas d’évasions de captifs chrétiens au Maroc, fin XVIIe - début XVIIIe siècle, selon le père Dominique Busnot» (Cahiers de la Méditerranée n°87, 2013).

Les Metedors étaient des Marocains, «connaissant le pays et les différentes routes menant de villes comme Marrakech ou Meknès vers les enclaves espagnoles ou la côte», explique Robert C. Davis. Les meilleurs spécialistes étaient ceux qui connaissaient le désert et jouissaient de liens d'amitié avec les chefs de tribus marocaines. Ces passeurs emmenaient les captifs chrétiens évadés dans des villes comme «Mazagan ou les rives de la Méditerranée, plus proches des terres chrétiennes», écrit Ahmed Farouk. Ce dernier fait aussi état de récompenses accordées aux Metedors «pour chaque captif ramené en Espagne».

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Seulement, échapper aux conditions déplorables de l'esclavage à Meknès était une tentative punissable. Un châtiment exceptionnel était aussi destiné aux passeurs pris en flagrant délit de guider ou aider des esclaves chrétiens à s'échapper. «Ils étaient confrontés à des exécutions exceptionnellement pénibles ordonnées par le sultan lui-même», raconte Robert C. Davis.

Les «rédemptions se maintiendront encore longtemps» parallèlement aux opérations d’évasions auquel même le «roi d’Espagne» participait «en soudoyant certains sujets du sultan». Mais le contingent d’esclaves est demeuré suffisamment solide pour faire de Meknès une capitale du royaume à la hauteur des ambitions de Moulay Ismail.

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