Monde Aujourd'hui à 16h12 Tunisie: trois journalistes arrêtés pour une couv' osée Commenter Par ELODIE AUFFRAY correspondante à Tunis
Une du journal Attounsia, le 15 février.
Trois journalistes tunisiens ont été arrêtés mercredi pour la publication d'une photo de femme nue en couverture du quotidien Attounsia. Après avoir passé la nuit en garde à vue dans les services de protection des mœurs, ils devaient être entendus ce jeudi par un juge d'instruction.
Attounsia a reproduit en une de son édition de mercredi la photo parue en une du magazine allemand GQ. Le footballeur allemand d'origine tunisienne Sami Khedira y pose en costume avec son mannequin d'épouse, nue dans ses bras.
Une couverture certes «scandaleuse», reconnaît le Syndicat des journalistes tunisiens. «Il faut respecter la déontologie, rappelle ainsi Néjiba Hamrouni, la présidente du syndicat, mais arrêter des journalistes pour une photo, c'est grave.» Le SNJT dénonce ainsi «l'intimidation des journalistes».
Ceux qui s'indignent de cette arrestation sont d'autant plus choqués que les dépassements des religieux radicaux ne semblent pas poursuivis avec autant de sévérité. Ainsi, ceux qui ont vandalisé la maison de Nabil Karoui, le patron de la chaîne de télé Nessma — poursuivie elle aussi en justice pour avoir diffusé le film Perspépolis, où figure une image de Dieu — n'ont récolté qu'une maigre amende (à peine 5 euros). Nabil Karoui a, lui, immédiatement été traduit en justice. De même, l'agresseur du journaliste Zied Krichen, frappé à la sortie d'une des audiences de Karoui, n'a toujours pas été retrouvé.
L'affaire Attounsia est, de plus, concomitante avec la tournée très médiatisée du prédicateur égyptien Wajdi Ghoneim, grand défenseur de l'excision des fillettes. «Une opération esthétique, rien de plus», a-t-il encore défendu sur une radio tunisienne, alors que l'excision est interdite en Tunisie. Les autorités ont, sous la pression de la société civile, fini par rappeler l'interdiction.
«La publication de la photo d'un corps nu serait-elle plus condamnable que la tournée de prédication haineuse qu'un défenseur farouche de l'excision féminine vient de réaliser dans plusieurs villes du pays?», interroge Selim, jeune militant associatif, sur son blog. «Par cette politique du deux poids - deux mesures, on ne cherche certainement pas à garantir notre liberté d'expression. Mais plutôt à la halal-iser, en réduisant son champ et son application, petit à petit, sous couvert de puritanisme.»
En août, mois de ramadan, le magazine Tunivisions avait déjà suscité quelques remous en affichant en une la top model tunisienne Kenza Fourati.
«Faudra-t-il ensuite interdire les journaux étrangers en Tunisie?», questionne, railleur, mag14.com. Ou bien «mettre en place une commission spéciale chargée de feuilleter les journaux en questions, pour chercher s'il n'y a pas de pages avec des photos quelque peu dénudées?»
C'est, de même, sous l'angle de la morale que la censure d'internet pourrait revenir: la Cour de cassation dira mercredi prochain si l'Agence tunisienne d'internet doit rétablir le filtrage des sites pornographiques