Trois rapports publiés mardi mettent l'accent sur les difficultés de vie et d'intégration en France des populations issues de l'immigration, surtout concentrées dans les zones urbaines sensibles. La Cour des Comptes (instance administrative de contrôle) évoque une "situation de crise qui n'est pas le produit de l'immigration", mais "le résultat de la manière dont l'immigration a été traitée". Son rapport juge "peu probants" les résultats des politiques d'intégration. La haute juridiction insiste sur deux questions à prendre en compte d'urgence - la concentration des immigrants dans des quartiers en difficultés, le nombre et les conditions de vie des clandestins - et estime qu'un dispositif rénové de lutte contre les discriminations est nécessaire. "La situation d'une bonne partie des populations issues de l'immigration la plus récente est plus que préoccupante. Outre qu'elle se traduit par des situations souvent indignes, elle est à l'origine directe ou indirecte de tensions sociales ou raciales graves, lourdes de menaces pour l'avenir", note la Cour dans son rapport intitulé "L'accueil des immigrants et l'intégration des populations issues de l'immigration".
mardi 23 novembre 2004, 18h33 La politique française d'immigration et d'intégration épinglée
PARIS (Reuters) - La Cour des comptes juge "plus que préoccupante" et "lourde de menaces pour l'avenir" la situation d'une "bonne partie" de la population issue de l'immigration en France.
Dans un volumineux rapport de près de 570 pages publié mardi, elle épingle du même coup trente ans de politique française d'immigration et d'intégration.
"La situation d'une bonne partie des populations issues de l'immigration la plus récente est (...) plus que préoccupante", écrivent les auteurs du rapport. "Outre qu'elle se traduit par des situations souvent indignes, elle est à l'origine directe ou indirecte de tensions sociales ou raciales graves, lourdes de menaces pour l'avenir."
Ils mettent l'accent sur un "triple échec, aussi pénalisant (...) pour les intéressés que pour la collectivité nationale" :
- la concentration d'une grande partie des immigrants dans des quartiers souffrant de graves difficultés, phénomène auquel participe aussi la carte scolaire ;
- la situation économique, sociale et personnelle d'un grand nombre d'immigrants et de leurs enfants, en butte en outre à des pratiques discriminatoires ;
- le poids de l'immigration irrégulière et des conditions de vie des étrangers vivants dans cette situation.
Pour la Cour des comptes, le regroupement "spontané, toléré ou encouragé" de la population immigrée ou d'origine immigrée dans des quartiers difficiles a pour résultat que "les efforts d'intégration n'ont plus aucune portée" ou voient leur effets progressivement atténués, "voire anéantis".
Elle déplore d'autre part l'existence d'un "quasi-statut de l'immigrant en situation irrégulière" en matière de protection sociale, de scolarisation, d'emploi et d'aides au retour.
L'existence d'une importante immigration irrégulière a pour effet "d'entretenir, dans une partie de l'opinion, une suspicion permanente autour des immigrants" et donc de compromettre la mobilisation en faveur de l'intégration, estime-t-elle.
"Cette situation de crise n'est pas le produit de l'immigration. Elle est le résultat de la manière dont l'immigration a été traitée", souligne la Cour.
Elle estime notamment que les autorités françaises ont trop longtemps négligé le changement de nature de l'immigration.
Celle-ci a basculé, après le choc pétrolier de 1973, d'une immigration liée aux besoins de main-d'oeuvre de la France et majoritairement temporaire, à une immigration plus définitive, au gré des regroupements familiaux ou de l'afflux d'immigrés fuyant une situation politique ou économique.
EFFORTS "PEU PROBANTS"
Pour la Cour des comptes, les autorités françaises se sont dès lors montrées plus soucieuses de maîtriser les flux migratoires que de mener une véritable politique d'accueil et d'aide à l'intégration des populations immigrées.
Quant aux efforts consentis en matière de logement, d'emploi, d'école et d'apprentissage du français, d'intégration des jeunes, de droits des femmes, de lutte contre les discriminations et d'aide au retour, "l'impression générale est (qu'ils) sont peu probants".
La Cour souligne ainsi que le logement social "ne fonctionne plus aujourd'hui comme un sas pour les populations issues de l'immigration" mais contribue au contraire à favoriser leur concentration "dans les segments les plus dégradés du parc".
Le gouvernement actuel s'est efforcé de définir en 2003 une nouvelle politique de l'immigration avec la création d'un "contrat d'accueil et d'intégration".
Pour la Cour des comptes, cette politique a "le mérite de la clarté". Mais "encore faut-il qu'elle soit conduite avec volontarisme et fermeté, alors qu'en cette matière la tentation de s'en tenir aux effets d'affichage est toujours forte" et qu'elle ne s'arrête pas au "traitement des nouveaux arrivants".
Le nombre des immigrés en France serait d'environ quatre millions mais la Cour des comptes épingle précisément un "déficit d'information" et de statistiques.
"La connaissance statistique se heurte au demeurant au souhait de ne pas donner prise à la discrimination", notent les auteurs du rapport. Ils proposent pour leur part de faire figurer les "critères pertinents" dans les enquêtes des administrations "pour mieux connaître la condition des étrangers et immigrés" en France.
La Cour des comptes fait aussi une série de recommandations en matière d'accueil et d'intégration des immigrés, notamment dans les domaines du logement et de l'emploi. Elle prône enfin la mise en place d'une autorité interministérielle pour coordonner l'ensemble de cette politique, afin de remédier à la "faiblesse" actuelle de son "pilotage" par un Etat "plus souvent conduit à déléguer qu'à agir directement".
En revanche, elle critique l'idée d'une "discrimination positive" défendue par le ministre de l'Economie, Nicolas Sarkozy. Pour elle, "aucune justification (...) ne permettrait de réserver aux immigrants un traitement plus favorable que celui dont peuvent bénéficier (...) les populations placées en situation de pauvreté ou d'exclusion."