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Les traumatismes des pilotes ( notamment ceux des drones)
12 février 2023 17:40
Salam

l’ancien militaire devenu psychologue Dave Grossman dont le travail est abondamment discuté dans la littérature scientifique (Grossman 1995). Dans son célèbre ouvrage On Killing, ce dernier formule l’hypothèse dite du « tampon moral », selon laquelle plus la cible humaine est proche, plus la répugnance à tuer serait importante. Il analyse en particulier la bataille de Gettysburg, au cours de laquelle seuls 15 % des soldats ont fait feu face à l’ennemi. Beaucoup tiraient en l’air ou chargeaient leur arme en faisant simplement mine de tirer. Un fusil a ainsi été retrouvé chargé plus de vingt fois. Il conclut que :

«à courte portée, la résistance à tuer est énorme. Lorsque l’on regarde un adversaire dans les yeux, et que l’on sait s’il est jeune ou vieux, apeuré ou en colère, il n’est plus possible de dénier que l’individu qui va être tué est tout à fait comme soi-même. C’est dans ce type de situation que l’on retrouve des cas de refus de tuer. »

Grossman 1995 : 98, cité dans Chamayou 2013 : 164-165.

Grégoire Chamayou applique cette analyse aux drones armés et s’alarme d’une possible « déréalisation de la violence ». En dénonçant la « virtualisation de la conscience de l’homicide », il relaie les inquiétudes selon lesquelles les soldats ne parviendraient plus à différencier les jeux vidéo qu’ils utilisent pour leur loisir ou pour leur entraînement, des frappes qu’ils initient aux effets bien réels (Chamayou 2013 : 153).

Là où l’ennemi n’est plus qu’un point sur un écran, une cible à abattre, on peut craindre une certaine désinvolture dans l’acte de tuer. Le drone serait l’arme d’une « nécroéthique » visant à « bien tuer » dans des opérations qui tiennent davantage de la chasse à l’homme préventive que de la guerre traditionnelle.


[….]

Plusieurs études émanant des institutions militaires américaines ont été menées relativement tôt après la reconnaissance officielle de l’utilisation de cette technologie, qui intervient en 2009 .

Elles relaient toutes les mêmes conclusions : malgré le fait que les opérateurs ne risquent pas leur vie, ces derniers souffrent d’états de stress post-traumatique.

Cette pathologie désigne l’exposition du patient à un « facteur de stress traumatique extrême impliquant l’expérience personnelle directe d’un évènement qui engage la mort, la menace de la mort ou une blessure grave ou une menace pour sa propre intégrité physique » .

Il déclenche chez les sujets atteints des troubles du sommeil, des sentiments d’angoisse et des symptômes dépressifs. Ce constat a également été fait par des chercheurs indépendants, comme le relatent trois universitaires dans une étude parue en 2014 qui montre que les pilotes de drones en souffriraient davantage que le personnel navigant des avions de chasse.

Sur les 1084 opérateurs de drones interrogés, 4,3 % présentent des symptômes correspondants, alors que pour les pilotes de chasse, le taux d’états de stress post-traumatique se situe en deçà de la barre des 1 % (Chappelle et al. 2014).

En 2010, il expérimente les premiers symptômes d’un stress post-traumatique : des maux de tête, des douleurs articulaires, des éruptions cutanées et des problèmes digestifs chroniques. Son sommeil est troublé par des cauchemars dans lesquels il voit en plan serré des personnes innocentes mutilées et tuées :

«Dans un rêve récurrent, il [Aaron] est contraint de s’asseoir sur une chaise et de regarder sa violence.

Essayant de détourner son regard, sa tête est remise en place, de sorte qu’il doive continuer à regarder. “C’était comme si mon cerveau me disait : voici les détails que tu as manqués”, dit-il. “Maintenant, regarde-les quand tu rêves.” »

(Press 2018)


Ce témoignage montre avec force le contraste entre une violence active sur le champ de bataille et le sentiment de passivité décrit par Christopher Aaron. La violence resurgit dans les moments de repos et hante littéralement le pilote.


Source: cairn.info, numéro de revue :29 parru en 2019.



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Modifié 2 fois. Dernière modification le 12/02/23 17:47 par Kim jong-lui.
12 février 2023 19:32
 
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