La toute puissance du genre Une fille frappe son père ! Par Jameleddine Héni mercredi 10 août 2005
article de oumma.com
Dans les colonnes de Tunisnews, quotidien en ligne, nous lisons l’histoire suivante (1) . Une demoiselle de 20 ans est rappelée à l’ordre par son père pour avoir veillé dehors. Une gifle retentissante. Sitôt corrigée, la jouvencelle court au premier poste de police. Le père suivant derrière. Le commissaire tente la réconciliation. Mais la demoiselle veut éduquer son père et revendique l’application de la loi. Sachons-le, la loi tunisienne interdit toutes sortes de violence physique sur mineurs ; elle est a fortiori plus sévère quand ils atteignent la majorité.
En aparté avec notre tendron, le commissaire revient à la charge. Rien. Tout au plus une concession : la fille peut passer l’éponge si le papa accepte qu’on lui rende la pareille. Elle n’y va pas de main morte, gifle glorieusement son père « par devers » les forces de l’ordre !! La famille rentre zen à la maison, où depuis, la fille a achevé de prendre toutes ses latitudes... Il y a dans cette histoire à boire et à manger. Pour notre part nous nous intéresserons aux implications symboliques de ce fait divers.
Autorité et violence
La violence infligée à un parent n’est pas la norme chez les humains depuis l’organisation familiale de l’espèce. La notion de famille qu’on partage avec la gent animale, suppose des liens, une communication, un apprentissage, des soins, une autorité et une hiérarchie. Les géniteurs subviennent aux besoins de leurs rejetons. Leur expriment des sentiments. Ils leur apprennent à produire et comprendre une langue, corrigent leurs erreurs d’apprentissage procédural et logique, leurs définissent les limites au sein et en dehors du groupe d’appartenance...On dit qu’ils les éduquent. Cette éducation n’est pas possible dans un ordre hiérarchique inverse : l’enfant roi qui insulte son père ! L’autorité des parents n’est pas une violence active ; c’en est même l’inverse, car l’autorité s’exerce en dehors de toute violence.
L’autorité parentale est un corollaire logique à l’attention entretenue dont ils entourent leur enfant. L’autorité parentale est cette récompense dont les enfants gratifient leurs éducateurs. S’il arrive qu’un père agresse son fils, on dit que l’autorité déficitaire se compense dans la violence. Il faut voir après les motivations et la nature de cette violence et comment la réparer.
Maintenant, si un enfant frappe son papa, on ne parle pas de violence, mais bien plutôt de déconstruction du schéma familial. L’autorité du géniteur (homme ou femme), récompensant son rôle d’éducateur, étant bafouée, plus rien ne contrôle désormais les comportements des membres de la famille. Il s’agit d’un apprentissage normatif largement déficitaire, caractérisant des personnalités socialement dangereuses à dominante psychopathique. Le trait le plus marquant de ces dernières est que les notions de limites et de temps (donc la possibilité de différer les réactions) font cruellement défaut.
Je ne crois pas que c’est le cas de notre demoiselle. Ça se serait su, sinon. Son agressivité agie (2), aurait été reconnue depuis fort longtemps et son père se serait conduit autrement. Il existe, en revanche, une hypothèse plus pernicieuse !
Hypertrophie
Tout le monde sait que la Tunisie est un pays d’avant-garde en matière des droits des femmes. Juridiquement s’entend. Il n’en demeure pas moins que la geste héroïque de la femme tunisienne est intempestivement chantée. A Tunis comme à l’étranger. Pour des raisons tout autant politiques qu’idéologiques, la cause des femmes est mise en avant, comme l’expression presque exclusive des droits de l’homme, dans la Tunisie moderne. Cette hypertrophie d’une cause à laquelle on a donné prépondérance sur toute autre lutte pour les droits de l’homme, a fini en une hypertrophie symbolique du statut citoyen de la femme. Or qu’est-ce que la citoyenneté, sinon une abolition de toute hypertrophie symbolique d’un genre ou d’un statut sur les autres ? La prépondérance symbolique du féminin ne relève pas du féminisme. Elle en est même l’antithèse. Le féminisme est une doctrine anti-ségrégationniste. Sa cohérence exige la réfutation de tout fondement sexiste à la citoyenneté.
Pourquoi notre demoiselle a-t-elle giflé son père ? Parce qu’un père ne doit frapper ses enfants. Et s’il frappait son fils ? On n’appliquera pas la législation censée protéger les femmes, mais bien celle qui gère les relations parents-enfants. Et pourquoi ne l’a-t-on pas appliqué dans le cas d’espèce ? Parce qu’il y a l’élément féminin qui entre en jeu et chambarde la situation juridique.
Je crois que c’est de cette prépondérance symbolique du féminin, que participe le comportement de notre demoiselle. Exactement comme le législateur tunisien, elle n’a pas jaugé le comportement de son père à l’aune des règles d’interprétations familiales mais bien plutôt en termes de lois. Cognitivement et certainement à un niveau plus affectif, le codage de l’agression a été effectué sans la moindre sémantique familiale (attention et autorité parentale entendue). Seul un codage juridique à références extrafamiliales fut à l’œuvre. Témoignant de la dislocation du lien et du schéma familial discuté plus haut. C’est en tant que femme que notre jouvencelle s’est « vengée » pas en tant que fille ! L’identité sexuelle écrasant toutes autres identités sociales, familiales ou citoyennes. Les femmes sont donc les premières victimes de cette toute-puissance du genre, introduisant la guerre des sexes jusqu’au bercail : On doit triompher même de son père : n’est-ce pas un homme !!!