La Terre est entrée dans une nouvelle ère géologique : l'anthropocène. Ce néologisme a été proposé par le Néerlandais Paul Crutzen, Prix Nobel de chimie (1995), pour décrire l'impact croissant de l'humanité sur la biosphère. Cet âge a, selon lui, débuté autour de 1800, avec l'avènement de la société industrielle, caractérisé par l'utilisation massive des hydrocarbures. Depuis, la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone produit par leur combustion n'a cessé d'augmenter. L'accumulation de ce gaz à effet de serre contribue au réchauffement de la planète.
Dans le numéro de décembre de la revue Ambio, Paul Crutzen détaille les bouleversements qui marquent l'entrée dans l'anthropocène. Avec Will Steffen, spécialiste de l'environnement à l'université nationale australienne de Canberra, et John McNeill, professeur d'histoire à la School of Foreign Service à Washington, il cosigne un article intitulé "L'anthropocène : les humains sont-ils en train de submerger les grandes forces de la nature ?" Après avoir modifié, ces dernières cinquante années, son environnement comme jamais auparavant en perturbant la machinerie climatique et en détériorant l'équilibre de la biosphère, l'espèce humaine, devenue une "force géophysique planétaire", doit maintenant agir très vite pour limiter les dégâts. Mais sera-t-elle capable de relever ce défi ? C'est la question que se posent les trois chercheurs.
Selon eux, nous nous trouvons actuellement dans la phase II (1945-2015) de l'anthropocène, qu'ils dénomment "grande accélération", car la mainmise de l'homme sur la nature s'est considérablement accélérée pendant cette période. "La grande accélération a atteint un stade critique, écrivent-ils, car 60 % des services fournis par les écosystèmes terrestres sont déjà dégradés."
Un point positif, cependant : pendant les années 1980 à 2000, les hommes ont pris progressivement conscience des dangers que leur activité débordante faisait courir au "système Terre". Les différentes réunions internationales de 2007 sur le climat et les nombreux travaux scientifiques sur le sujet et sur la perte de biodiversité en témoignent.
Face à cet état des lieux inquiétant, trois possibilités s'offrent à l'humanité pour faire face à la phase III de l'anthropocène (à partir de 2015 et au-delà). La première ("business as usual" consiste à ne rien changer à nos habitudes, en espérant que l'adaptabilité humaine et l'économie de marché permettront de faire face aux chamboulements environnementaux. Cette orientation comporte "des risques considérables", selon les auteurs de l'article, car il sera peut-être trop tard lorsqu'on se décidera à prendre les mesures adéquates.
La seconde option ("mitigation" vise à atténuer considérablement l'influence humaine sur la Terre par une meilleure gestion de l'environnement. Cela implique l'utilisation de nouvelles technologies, une gestion plus sage des ressources terrestres, un contrôle des populations humaines et une remise en état des zones dégradées. Ce qui ne peut se faire sans "des changements importants dans les comportements individuels et les valeurs sociales". Mais ces tendances vers moins de matérialisme "seront-elles assez fortes pour déclencher la transition de notre société vers un développement durable ?", s'interrogent les scientifiques.
Si cela n'est pas possible, et si le réchauffement climatique est trop brutal, reste alors la troisième option consistant à mettre en oeuvre la géo-ingénierie climatique. Ce choix implique de très puissantes manipulations de l'environnement à l'échelle mondiale, destinées à contrebalancer l'impact des activités humaines.
Déjà, on pense à séquestrer le gaz carbonique dans des réservoirs souterrains. On peut aussi envisager de répandre des particules de sulfates dans la stratosphère pour réfléchir la lumière solaire vers l'espace. Ce qui diminuera les taux de CO2 de l'atmosphère et refroidira les températures. Mais il faudra agir de telle sorte que cela ne se traduise pas par un nouvel âge glaciaire, qu'on ne pourrait contrecarrer qu'en ajoutant de nouveau du gaz carbonique dans l'atmosphère... Conclusion : "Le remède pourrait être pire que le mal." Christiane Galus