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Pourquoi les francophones contrôlent le Maroc
h
26 mai 2006 14:16
Enquête.
Pourquoi les francophones contrôlent le Maroc

(DR)


Officiellement, point de salut identitaire hors de l’arabe (classique, de préférence). Mais dans le monde du pouvoir, comme celui de l’argent et de l’influence, la langue de l’ancien occupant continue de faire régner sa loi. Et entretient une certaine ségrégation entre les élites…


Le peuple jase en douceur. Et les populistes, dans la presse, mais aussi dans les partis traditionalistes, lui font écho. Abbas El Fassi s'en prend, avec démagogie, à ces ministres, francophones et besogneux, qui font des exposés en français en plein conseil du gouvernement. Un militant
syndicaliste protestait, la semaine dernière, dans une multinationale, contre la disparité des salaires entre les ingénieurs venus des grandes écoles françaises et leurs pairs, issus du système marocain. Un chroniqueur de la place trouve scandaleux que les colloques scientifiques commencent par un rituel bismillah (au nom de Dieu) et enchaînent tout le reste en français. Qu'ils détiennent du pouvoir, de l'argent ou du savoir, les “francophones” sont à nouveau pointés du doigt, mais très discrètement.

De quels francophones parlons-nous ?
De qui s'agit-il au juste ? De ces caricatures de bourgeois d'Anfa Supérieur, décrites avec brio par Driss C. Jaydane, dans son dernier roman, Le Jour venu, qui vont à Paris par intermittence, sont accrochés à leurs privilèges et réfutent tout contact avec le “petit peuple” ? De leurs cadets, branchés sur TF1 et Paris Première, qui ne zappent sur 2M que lorsque Sophia Essaïdi, la star ac' marocaine était à l'antenne (authentique) ? De ces bourgeois réels, acteurs privés, formés à l'école française, ayant acquis les ficelles du savoir moderne à la métropole et hérité de la fortune paternelle ? De leurs pairs, ayant fait le même cheminement, avant d'être happés par la politique, dans le G14, par exemple, puis les hautes sphères de l'Etat ? De lobbyistes, francophiles, cherchant à consolider les intérêts du couple franco-marocain ? De Marocains, parlant un français moins parfait, formés ici ou ailleurs, mais ayant autant de mérite scientifique que les technocrates les plus en vue ? Ou encore d'enseignants de français, parlant une langue au rabais et faisant tout de même partie de la même galaxie ? Il est clair, explique la socio-linguiste Amina Benzakour, que nous parlons de “la population qui appartient à la mouvance française, qui a pris les rênes du pouvoir (économique surtout) et s'y accroche par des réseaux de toute nature”. Comment cette prétendue mainmise a-t-elle été possible ? Et si notre élite dirigeante est majoritairement francophone, qui en est vraiment responsable ?

Arabisation : histoire d'un ratage
“L'idéologie des nationalistes voulant tout arabiser, vite et dans l'improvisation, a dès le départ plombé l'école marocaine, censée former des élites”, raconte l'académicien Mohamed Chafiq. Nous sommes en 1957. Le ministre de l'Education nationale, Mohamed El Fassi, décide d'arabiser tout le cours préparatoire. Dans l'euphorie post-indépendance, le roi Mohammed V invite solennellement les Marocains à envoyer leurs enfants à l'école. Abdeslam Yassine (l'actuel leader d'Adl Wal Ihsane lui même), alors inspecteur très respecté, dit clairement au ministre que “la rentrée s'est très mal passée à cause de cette arabisation hâtive”. Dans les écoles, raconte Mohamed Chafiq, “nous avons été obligés de revoir à la baisse nos exigences concernant les enseignants d'arabe. Au point de recruter, in fine, des cordonniers et des graisseurs”. Au bout d'une saison, le ministre de tutelle plie bagage. Il reconnaît, plus tard, dans un congrès de l'Agence universitaire francophone qu'il “faudra très longtemps pour que l'arabe devienne une langue de communication internationale”.

En 1962, le Conseil supérieur de l'Education nationale décide, sous l'impulsion de l'idéologie istiqlalienne, de tout arabiser. Branle-bas de combat, colloques et déclarations d'intentions. Finalement, Mohamed Benhima, ministre moins populiste et plus rationnel, déclare, lors d'une conférence de presse, le 6 avril 1966, que le niveau de l'enseignement est compromis par une arabisation hâtive, par la généralisation de l'enseignement et par la marocanisation. Il suggère alors de revenir à l'enseignement scientifique en français et d'instituer une sélection à l'entrée du secondaire. Il constate, au passage, que l'arabisation totale de l'enseignement primaire conduit à une impasse, puisqu'il sera impossible pendant de longues années d'enseigner les disciplines scientifiques en arabe.

En parallèle, dans les villes majeures (Fès, Rabat, Casablanca, Tanger, Meknès), les écoles de la mission française, encore très vivaces, comptent quelque 47 900 élèves, dont 13 650 Marocains (comparez, ils sont 19 000 aujourd'hui). A l'époque, la qualité des lycées bilingues marocains permet, encore, à des fils de la classe moyenne d'accéder aux grandes écoles d'ingénieurs et à la prépa HEC de Lyautey. Dans son excellente étude, Ecole, élite et pouvoir, Pierre Vermeren note que, jusqu'aux années 70, l'élite technocratique en devenir provient aussi bien de la grande bourgeoisie que de classes sociales moins favorisées. Autrement dit, les Marocains bien formés, nés dans les années 30-40, étaient aussi bien francophones que bilingues, quand ils n'étaient pas arabophones. Les filières d'enseignement et de droit, très prisées, permettent à cette catégorie, non négligeable, de briller dans la sphère politique et intellectuelle. Mais déjà à l'époque, ce capital humain manque de relève crédible. “Lorsque j'ai proposé, avec mes collègues, sous Benhima en 1967, puis en mon nom en 1970, un projet d'arabisation rationnelle étalée sur trente ans, permettant d'asseoir le bilinguisme, j'ai été assailli de toutes parts”. En effet, 500 nationalistes et intellectuels se sont joints aux oulémas, suite au colloque d'Ifrane en 1970, pour jeter l'anathème sur Chafiq qui prône une démarche sage et réfléchie.

Quand Azeddine Laraki (encore un istiqlalien) accède au ministère de l'Education nationale, en octobre 1977, les chances de former une élite nationale intelligente sont réduites à néant. Sous prétexte de faire de l'arabe un outil de modernisation, contre le français responsable de l'aliénation et l'acculturation des élites, le ministre veut “revenir à la situation pré-protectorat, en ré-arabisant l'Etat et les institutions”. Pour cela, il ambitionne de généraliser l'arabisation jusqu'au bac en incluant les matières scientifiques. Malgré la rigueur d'un Lakhdar Ghazal, à la tête de l'institut d'arabisation, le spécialiste Gilbert Grandillome, qui a fait le tour de la question, réalise que, faute de moyens techniques, de personnel qualifié et de réflexion mûrie, “l'arabisation ne pouvait qu'échouer” .

Resté en poste jusqu'en mars 1986, puis promu premier ministre pendant six ans, Azeddine Laraki a eu le temps, avec ses conseillers fort conservateurs (Mohamed Belbachir, Driss Kettani …) de sacrifier une génération de Marocains. Ayant fait l'inventaire de cette débâcle, le socio-linguiste Ahmed Boukous note que chez les étudiants marocains, issus de ce système, le handicap majeur est la non-maîtrise de la langue française. Cela se traduit chez les scientifiques (censés prendre part à l'essor du pays) par des problèmes basiques de compréhension orale et de prise de notes. Le tout donne lieu, à la fin des années 80, à un taux cumulé d'échec et de redoublement avoisinant les 70%. “Comment voulez-vous que des bacheliers incapables d'aligner deux phrases intelligibles puissent devenir mieux que des diplômés chômeurs”, dit alors de manière prémonitoire un professeur de sciences naturelles, sur les colonnes de la presse.

Qui est responsable de cet échec ?
Le crime est-il délibéré ? Le ministre Laraki, même s’il est enclin, après coup, à faire son mea culpa, a eu une phrase de trop. Selon Pierre Vermeren, Il est alors, à bord d'un avion avec ses conseillers et dit à l'un d'entre eux, en parlant des étudiants : “Et si on leur mettait un peu de berbère pour les embrouiller un peu plus”. Le ministre de tutelle n'est pas le seul à blâmer. Durant cette traversée du désert, les istiqlaliens, défendant en public l'arabisation pour les masses, optent pour la filière francophone en famille. Les enfants des ténors, Allal El Fassi, M'hamed Douiri et bien d'autres, sont alors formés tels des “super-citoyens”, en français. Certes, quelques uns, plutôt cohérents, comme Larbi Messari, ne jouent pas à ce double jeu. Mais au sein du parti nationaliste, la volonté de se garder le privilège d'accès aux sphères du savoir et, de là, le pouvoir, reste intacte.

Hassan II, complice de cet acte, cherche à colmater les brèches. Mais cela se fait davantage au profit de l'élite francophone, déjà privilégiée. Ainsi, en 1989, “lors de la visite du chef de la diplomatie française, Roland Dumas, au moment où le prince Moulay Rachid obtient son baccalauréat, les responsables lui demandent de reprendre un ancien lycée du protectorat à Rabat”, raconte Pierre Vermeren. En 1996, François Bayrou, ministre de l'Education nationale, accède à la demande pressante de l'élite francophone du pays, pour créer des écoles de la Mission privées. Entre-temps, le Maroc crée dans certains lycées publics, l'option Langue française (5 à 7 heures par semaine), pour rehausser le niveau, qui touche alors le plancher. “La réaction est tardive, commente Pierre Vermeren. Comparez, la Tunisie, confrontée à un bilan similaire, avait réagi dix ans plus tôt”.

La création d'une “classe dominante”
Autant cette débâcle ouvre la porte à des drames qui iront crescendo (islamisation à outrance, diplômés chômeurs, etc), autant elle conforte la position de l'élite dirigeante. Le sociologue Ali Benhaddou estime qu'il y a un réseau huilé qui favorise la connivence de classe. “Les familles bourgeoises engendrent les technocrates. L'Etat assure leur promotion au détriment des acteurs de la vie politique et sociale. Ils passent successivement par les grandes écoles, les grands corps d'Etat, la haute fonction publique. Puis sans transition, ils sont cooptés à la tête des grandes banques, des grandes sociétés industrielles, commerciales… Le diplôme, acte de nomination garanti par l'Etat, assure indéfiniment le passage d'un poste à un autre”.

Ce constat, trop systématique d'ailleurs, est dressé au milieu des années 90. A l'époque, la situation entre arabophones frustrés et francophones choyés est très tendue. “Il ne faut pas forcer tout le monde à passer dans le même moule comme le veut le système actuel. Les jeunes gens issus des familles pauvres doivent apprendre un métier ou une technique. Pour cela, ils ont à leur disposition des écoles de formation professionnelle. Les unes se trouvent en médina, les autres à la campagne”, ose dire publiquement le directeur d'un groupe scolaire créé spécialement pour les enfants de la petite bourgeoisie casablancaise. C'est clair, l'ascenseur social est définitivement en panne au Maroc. “Le bilinguisme sauvage”, mal maîtrisé est alors mis en cause.

Le fossé entre deux castes de la société est d'autant plus grand, explique la psychologue Assia Akesbi, que dans le système français, on apprend la prise de risque, l'innovation, alors qu'en face, dans le système éducatif marocain, l'individu est noyé dans la communauté et seules les valeurs passées sont glorifiées. Conséquence, le renouvellement des élites se fait selon le mode du chacun pour soi. “Pour la génération des 30-40 ans, explique l'ingénieur socialiste Mohamed Soual, l'intégration au marché se fait dans la négociation. Il s'agit de Marocains, francophones purs ou bilingues bien formés, qui doivent très peu à l'Etat et beaucoup à leurs familles. Ils évoluent donc dans un marché inégalitaire, cherchant une place au soleil”.

Trouver sa place ne va pas toujours de soi. “Plusieurs jeunes francophones, explique Assia Akesbi, ont vécu dans un cocon (famille, mission …) et ont besoin de dominer par l'argent pour se faire une place. Parfois, certains repartent, quand ils n'arrivent pas à acquérir la même fortune que détenaient leurs parents”. A contrario, ceux qui détiennent le pouvoir, de l'argent ou de la décision, tiennent, pour la plupart, à le garder. Quoique novatrice à la base, cette élite est plutôt conservatrice. Et pour cause, “les technocrates marocains, selon Ali Benhaddou, maîtrisent, comme leurs pairs français, les procédés économiques et politiques. Mais fascinés par le pouvoir, ils préfèrent contrôler les appareils et les activités plutôt que les transformer ou innover”.

Contrôlent-ils vraiment la situation ?
En 2006, les relations entre francophones et non-francophones sont moins tendues qu'il y a une décennie. Normal, explique Abdellah Stouky. “Vu l'échec consommé de l'arabisation, même les parents arabophones ont mis leurs enfants dans le système français. Et vu la montée de l'islamisme et la peur de l'obscurantisme, les francophones prennent soin de ne pas se cantonner dans leur monde clos”. Tout le monde se retrouve autour de nouveaux consensus : la famille, la darija et la diversité culturelle du pays. Finalement, ce sont les bilingues qui contrôlent le mieux la situation. Certains conçoivent le va-et-vient entre les deux langues de manière acrobatique. “Quand je suis dans un bus, je parle instinctivement en arabe. Dans le train et a fortiori dans l'avion, je passe au français”, confie un jeune cadre.

Quant aux purs francophones, ils cherchent à prévenir leur éventuelle marginalisation politique. Deux voies sont empruntées. Primo, la politisation des technocrates, qui se traduit par des cours intensifs en arabe. “Certains prennent parfois des tolbas, enseignants traditionnels, pour maîtres”, note un haut responsable. Secundo, l'adoption de la darija comme moyen de communication privilégié. Fait marquant, la plupart des responsables d'associations caritatives, nouvelle ère (Najat M'jid, Leïla Chérif, Noureddine Ayouch, etc) sont à la base des francophones convertis. “Leur stratégie est de cibler le peuple pauvre et analphabète, de l'arracher aux obscurantistes qui le guettent, explique Ahmed Boukous. Mais au fond, il y a quiproquo. Parce que ce peuple a pour modèle immédiat une élite intermédiaire, plutôt arabophone (avocats, enseignants…). Ils aimeraient bien eux aussi lire les journaux en arabe dans le bus. Par contre, ils apprécient mal qu'un francophone vienne leur tenir un discours hautain et reparte en 4x4”.

En attendant l'entente parfaite ou au moins l'harmonie sociale, que se passe-t-il ? Il y a une division de l'espace qui confirme la stratification de la société, note Assia Akesbi. “Les francophones ont leurs quartiers, leur langage, leurs cafés, leur manière d'être, à part”. Ils ne sont pas toujours au sommet de la société, mais parfois à côté… de la communauté.



Économie. La France nourricière

(DR)


Détenant les secteurs producteurs de richesses et renforçant leurs réseaux à travers du lobbying, les dirigeants francophones ont toujours le vent en poupe.


“Le Maroc cherche investisseurs et partenaires économiques désespérément. Américains, Emiratis, Espagnols, Français, quelle que soit votre nationalité, soyez les bienvenus”. Ceci est une annonce fictive mais non irréelle. Question ? Les chefs d'entreprise et autres stratèges marocains, sont-ils invariablement anglophones, hispanisants, arabophones et francophones ? Nuance, ils sont majoritairement francophones. Par ailleurs, explique un responsable à la CGEM, “les arabophones se débrouillent bien dans des secteurs classiques : l'artisanat, le commerce, l'agriculture, l'immobilier et la minoterie”. Quant aux anglophones, issus de grandes universités américaines, ils sont de plus en plus présents dans les domaines pointus de la finance et de la bourse. Il arrive même, vu l'arrivée massive des investisseurs
du Golfe, de voir deux ingénieurs en chef, émirati et marocain, parlementer en anglais à Tanger Med ou au Bouregreg. “Globalement, confie un responsable des ressources humaines au sein d'une multinationale, ceux qui ne sont pas porteurs de valeurs occidentales, ont du mal à s'imposer”. Mais le premier critère de sélection au sein des grands groupes demeure le même : priorité aux lauréats de grandes écoles parisiennes (Polytechnique, Ponts et chaussées, Mines, Sciences Po, HEC …).

L'ordre est le bon. Les multinationales, les 500 filiales d'entreprises françaises ayant pignon sur rue, mais aussi les grands groupes marocains, évoluant dans les domaines les plus productifs (télécommunications, banque, assurances, textile, tourisme) recrutent leurs top managers en priorité dans ces écoles-là. Dans d'autres secteurs, la prééminence des cadres bien formés à l'étranger est patente. Pour renforcer cet acquis, les anciens élèves de ces grandes écoles parisiennes et d'autres plus excentrées (HEC Reims, par exemple) s'organisent en groupes de lobbying. “Ils mettent en avant leur filière, font la promotion de leurs pairs, et créent un réseau favorisant l'intégration de leurs cadets sur le marché”, explique l'économiste Noureddine El Aoufi. Ces groupes de pression de la nouvelle ère remplacent sans effacer complètement les réseaux des grandes familles bourgeoises, qui garantissaient aux jeunes “bien nés et bien formés” une place de choix.

Aujourd'hui, le marché s'est diversifié et quelque peu libéralisé. Ainsi deux discriminations insidieuses sont-elles à l'œuvre. D'abord, dans des sociétés privatisées et autres concessions, les administrateurs français (expatriés) ont des salaires trois fois plus juteux que leurs homologues marocains, détenteurs de diplômes similaires. A la Lydec, cette situation du deux poids deux mesures a poussé 15 hauts cadres bilingues défavorisés, à donner leur démission. Dans d'autres grands groupes, la préférence pour les ingénieurs-concepteurs issus des filières parisiennes sur leurs pairs, réputés moins communicatifs, lauréats de grandes écoles marocaines, est flagrante. “Elle se traduit par des salaires 20 à 30% plus élevés”, confie un directeur des ressources humaines. Moralité, si les francophones détiennent un pouvoir, c'est bien celui de l'argent.

“Au sein des entreprises travaillant dans le secteur organisé, mis à part quelques rares exceptions (dans l'immobilier ou les hydrocarbures), révèle un responsable à la CGEM, la grande majorité des membres de conseils d'administration sont des francophones, soit monolingues, parlant à peine la darija, soit bilingues mais francophones de culture”. Tous ne font pas l'effort d'apprendre la langue arabe pour se rapprocher de la base. Dans une étude menée par Noureddine El Aoufi, il apparaît clairement que parfois, “les dirigeants sont incapables de gérer la diversité culturelle au sein de leur entité, faute de connaissance de la langue et l'état d'esprit du personnel”. De l'intérieur du monde de l'entreprise, Mohsine Ayouch note, pour sa part, que de moins en moins de dirigeants sont coupés de leur base. “Ce n'est pas la langue qui les y amène mais le sens de l'écoute acquis par la nouvelle génération, tout aussi francophone mais plus compétente en matière managériale”. Mais tous les managers ne se sentent pas obligés de jeter les ponts avec la société. “Certains nouveaux dirigeants, déconnectés de la réalité locale, explique Noureddine El Aoufi, prennent les fluctuations financières de la mondialisation pour la vraie réalité”. Et ils y croient en plus.



Médias et publicité. Service minimal en arabe

(DR)


Les publicitaires et les créatifs sont exclusivement francophones. L'arabe, pour eux, est vécu comme une contrainte. Etat des lieux d'une anomalie.


La plupart des journalistes francophones perçoivent en moyenne, selon une étude récente, un salaire supérieur à 9000 DH, alors que la majorité de leurs homologues arabophones se contenteraient, en moyenne, d'une miséreuse somme inférieure à 4500 DH. Cette disparité financière au sein de la presse écrite est due à une distribution inégale de la manne publicitaire. Du côté des annonceurs, les stéréotypes ne manquent pas. “Certains disent que les “arabes” lisent mais n'ont pas de pouvoir d'achat. D'autres pensent que les
supports arabophones sont mal imprimés. D'autres encore estiment que la publicité ne doit être accordée à ces supports que pour éviter une crise politique. Enfin, les plus vicieux préfèrent donner 100 DH à un journaliste arabophone, réputé forcément corrompu, plutôt que 2 000 DH pour un encart”, rapporte un publicitaire de la place. Ce dernier déplore, au passage, la complicité passive entre annonceurs et publicitaires, généralement francophones, et parfois coupés de leur réalité sociale.

Au sein des agences de publicité elles-mêmes, ces étiquettes sont rarement balayées d'un revers de main. Pourquoi ? “Les dirigeants, les marketeurs et les créatifs sont très majoritairement francophones. Ils ne conçoivent jamais leur stratégie en arabe. Il faudrait que le client insiste pour qu'ils la déclinent sur des supports arabophones. Et puis même quand ils s'y mettent, ils le font pour la forme, non pour aller au plus près du public”, confie un professionnel, francophone lui-même. Les chiffres de vente des journaux, comme Al Ahdath al Maghribia (50 000), ne suffisent-ils pas à les convaincre ? Visiblement, non.

Prenez cet exemple : dans une agence de publicité, un cadre éclairé propose naturellement à une banque de crédit à la consommation de cibler les lecteurs arabophones. Réponse du commercial en face, aux allures modernistes, “M. le Président en a décidé autrement. Le jour où il cherchera à se prémunir des attaques de cette presse, il y mettra de la pub. En attendant, il est convaincu que notre cible lit en français”. Autre exemple, une jeune directrice marketing parlant exclusivement le français renvoie le projet d'une pub en arabe au service juridique. Objectif, très révélateur, s'assurer qu'elle ne pose aucun problème. Commentaire d'un professionnel, “la publicité en arabe, dans cet univers complètement occidentalisé, est vécue plus comme une contrainte que comme un média”. Du côté des journaux arabophones, peu d'efforts sont consentis pour attirer les annonceurs. “Ces directeurs de publication sont frileux et ont peur que la publicité ne dévoie leur ligne éditoriale”, confie un publicitaire bilingue, ouvert sur l'ensemble du marché médiatique.

Faut-il s'attendre à ce que les publicitaires fassent l'effort d'aller vers eux, spontanément ? Pas sûr. La génération des ténors qui se partagent le marché sont tous issus de la société d'Etat française héritée du colonialisme, Havas, et ont tous, sans exception, fait leurs études à la mission française. Leurs cadets sont moitié monolingues, fils et filles de la mission, moitié issus d'écoles étrangères ou commerciales locales mais complètement francophones. Cela crée chez la plupart un a priori vis-à-vis du “peuple de lecteurs arabophones”. Pour eux, “le peuple regarde la télé”. Résultat, la publicité télévisuelle se fait à 70% en arabe. Mais de quel arabe s'agit-il ? “Nous faisons presque tous appel à l'arabe de service, free lance, qui a des formules prêtes à monter. Quand ce ne sont pas des multinationales qui insistent sur des scénarios primaires (mère ou épouse en femme de ménage, etc). Pour eux, le peuple ne peut être attiré que par des formules basiques”, rapporte un publicitaire.

L'ennui est que la plupart des dirigeants d'entreprise, enfermés dans leurs certitudes, acceptent rarement que des études d'impact soient menées pour vérifier s'ils avaient raison ou tort dans leurs orientations. Aujourd'hui, une nouvelle génération, plus pragmatique, s'emploie à communiquer davantage en darija. Certains le font à l'ancienne, de manière folklorique. D'autres transitent par la langue du peuple pour briser le mur qui sépare encore francophones et arabophones, et pour s'adresser à des Marocains.



Politique et administration. Les failles d'un double langage

(DR)


Entre une arabisation de façade et un renforcement de la technocratie francophone dans les lieux de prise de décision, l'Etat favorise l'élitisme.


L’Etat marocain ne met pas tous ses œufs dans le même panier. “Il arabise de force, dès 1965, la justice, la police et la gendarmerie, pour se targuer d'avoir un champ de souveraineté”, explique l'avocat Abderrahim Jamaï. Il arabise la correspondance officielle et les lois pour se conformer à sa constitution. Par ailleurs, il maintient les secteurs étatiques, producteurs de richesses et nécessitant un savoir
technique, entre les mains de l'élite éduquée dans la langue de Molière. C'est le cas même de l'agriculture, où les ingénieurs sont formés aujourd'hui encore en français. C'est toujours le cas de la finance, où le ministère de tutelle et des entreprises publiques, comme la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) et Bank Al Maghrib, recrutent depuis peu des analystes, ingénieurs et managers, francophones de préférence, avec (parfois) des contrats mirobolants. Et c'est de plus en plus vrai dans les offices qui revoient leurs statuts afin de se débarrasser des grilles de salaires misérables que leur impose l'administration. Objectif : renouveler leurs élites dirigeantes. “Ici et là, l'Etat cherche à recruter des profils de technocrates parlant souvent le français exclusivement et leur demande de se mettre à l'arabe, pour être socialement efficaces”, explique Abdelilah Jennane, expert en ressources humaines. En fait, l'arabe continue d'avoir un rôle de “fausse langue officielle”, comme le dit si bien la socio-linguiste Amina Benzakour. A la mosquée, au tribunal, au parlement, dans les discours télévisés, là où l'élite dirigeante est face au peuple, la langue de nos ancêtres est de rigueur. Or, le pouvoir est ailleurs.

“Au sein du Palais, explique un connaisseur des rouages du Makhzen, il y a toujours eu un partage savant des tâches. Vous retrouvez d'un côté l'arabophone de service, qui écrit les discours et qui maîtrise le droit (cela correspond aujourd'hui à Abbès Jirari et Mohamed Moâtassim). Vous retrouvez des francophones ouverts et rationnels (pensez à Mounir Majidi et André Azoulay), mais en règle générale, le roi aime être entouré par de parfaits bilingues ouverts sur tous les registres (Meziane Belfqih en est le prototype)”.

Au sein du gouvernement et au parlement, instances officielles et exposées au public, la langue arabe est naturellement usitée. Mais “dès qu'il s'agit d'un exposé technique au sein du conseil de gouvernement, il est possible de changer pour le français, loin des caméras”, confie un ministre en exercice. Au-delà de ces espaces convenus et codés, la vraie politique au Maroc ne se fait pas à l'adresse du peuple, mais entre membres de l'élite, en français. L'exemple le plus patent est celui du G14, ce think tank créé en 1996 par Hassan II, pour élaborer une réflexion sur la bonne marche des affaires au Maroc. Neuf de ses 14 membres super-diplômés (dont Adil Douiri, Driss Benhima, Mourad Chérif, Mustapha Terrab, Mohamed Hassad, Hassan Abouyoub, Abdeslam Ahizoune…) sont issus de grandes écoles françaises, quand ils ne sont pas des fils de la mission. Les plus francophones d'entre eux ont certes fait un effort immense pour maîtriser un arabe compréhensible. Aujourd'hui tous sont aux commandes, leur capacité d'adaptation est épiée. Mais, comme le confie un proche collaborateur d'un de ces ténors, “ils apprennent l'arabe pour au moins partager avec le peuple sa langue, faute de pouvoir partager avec lui autre chose (le pouvoir et les richesses)”.

La tentation des technocrates de se muer en politiques est de plus en plus grande. A travers le Collectif démocratie et modernité, et moins prosaïquement, le mouvement Daba 2007, le publicitaire Noureddine Ayouch, proche du Palais, draine des francophones, dirigeants d'entreprise, vers la scène pré-électorale, voire mieux si affinités. Sceptique, son homonyme de gauche Mohsine Ayouch, dit (avec une touche d'ironie) qu'il “ne suffit pas de parler l'arabe en français pour faire de la politique”. Le problème, selon lui, est que “ces gens ne conçoivent pas la politique comme une affaire de la cité (polis) mais comme une affaire de l'élite. D'ailleurs, Siyassa (politique en arabe) veut dire diriger le troupeau”. Nos francophones feraient-ils la politique avec une arrière-pensée arabe ? Ne généralisons rien. Mais comme le dit l'historien Abdellah Laroui, dans La Crise des intellectuels arabes, “notre élite technocratique est coupée de la population au service de l'Etat”. Et c'est loin d'avoir changé.



© 2005 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés
m
27 mai 2006 15:24
un résumé serait le bienvenu
alors en quelques mots sivoplé pourquoi????
T
27 mai 2006 15:43
s
27 mai 2006 17:39
c un beau copier collé de l'avant dernier tel quel
b
27 mai 2006 21:01
Pourquoi les berberistes ne s'expriment jamais contre la domination francophone?
 
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