Critique L'intégrisme musulman n'est pas une fatalité LE MONDE | 16.05.06 | 15h24 • Mis à jour le 16.05.06 | 15h24
'intellectuel algérien Mustapha Chérif entend bien jouer un rôle dans l'islam de France, et le livre qu'il publie fait figure de programme d'action. Ce philosophe et islamologue, qui a grandi à Toulouse et bénéficie d'une double culture, française et algérienne, a été ministre de l'enseignement supérieur en Algérie. Il dissimule à peine ses ambitions : "Un islam d'Europe, de France, un islam des Lumières et du progrès, avec une mosquée dotée d'un institut, comme celle de Paris, peut devenir une sorte d'université d'Al-Azhar ou de Tolède au coeur de la modernité, rayonner sur la Méditerranée et contribuer à réformer les mentalités au Sud comme au Nord." De là à présenter Mustapha Chérif comme un rival qui pourrait détrôner un jour Dalil Boubakeur à la tête de la Mosquée de Paris, il y a un pas, que certains ennemis du recteur en place voudraient bien voir franchi...
Mustapha Chérif manie avec aisance les concepts de la théologie arabe, comme ceux de la philosophie occidentale, citant à l'appui de ses démonstrations Ibn Arabi, Berque ou Derrida. Pour lui, l'islam est, par essence, "ouverture". Le Coran est "essentiellement ouvert", puisque "émanant de l'Ouvert lui-même".
L'auteur défend l'idée que le monothéisme pur de l'islam ouvre un espace de liberté pour l'homme. En revanche, le dogme chrétien de l'incarnation aurait pour inconvénient de "fermer l'horizon" en abolissant "la différence abyssale entre l'Absolu et le relatif". Mustapha Chérif fait grief à l'athéisme et aux "théismes porteurs du risque d'idolâtrie" de ne pas affronter "l'épreuve de l'Absence-Présence, de l'Ouvert qui se dérobe".
A cette vision discutable, un athée répliquera qu'un horizon vide, dégagé de toute transcendance et de tout dogme est plus libérateur qu'un Dieu, même lointain et radicalement tout autre. Des chrétiens pourront reprendre le texte admirable de l'orientaliste français Louis Massignon (1883-1962) tiré des "trois prières d'Abraham" (Parole donnée, Seuil). "L'arabe est la langue des larmes, écrit Massignon. De ceux qui savent que Dieu, dans son essence, est inaccessible et que tout est bien ainsi. S'Il vient en nous, c'est comme un Etranger, qui rompt notre vie normale à la manière d'un intervalle délassant du travail ; et Il passe." Ainsi, la tentation du fidèle musulman serait de mettre Dieu comme entre parenthèses, hormis cinq fois par jour, pour les prières prescrites.
Mustapha Chérif déroule une vision un peu idéale de l'histoire musulmane - d'aucuns diront naïve. Il a raison de rappeler que l'antisémitisme ne s'est pas développé, en terre musulmane à l'époque classique, à un degré tel que dans l'Europe du Moyen Age ou du XIXe siècle. Il cite abondamment les travaux de l'Américain Bernard Lewis (Comment l'islam a découvert l'Europe, Gallimard) - peu suspect de naïveté à l'égard de l'islam - à l'appui de sa démonstration.
Là où l'auteur est le plus convaincant, c'est lorsqu'il se livre à une critique serrée des thèses de Samuel Huntington dans Le Choc des civilisations. "Même si l'Occident peut se prévaloir, depuis les Lumières, d'une histoire moderne de la pratique démocratique, nous, peuples de la rive sud, constatons que les conséquences de ces avantages prennent, pour le reste du monde, la forme d'un nouvel empire, d'une nouvelle dictature, dont la pérennité des inégalités et l'injuste politique du "deux poids deux mesures" sont les symboles les plus visibles."
L'objectif de Mustapha Chérif est de tracer une voie médiane entre les extrémistes et les modernistes, les "nouveaux rénovateurs de l'islam" à qui il reproche d'être "coupés de leur communauté" et de prendre le risque d'une "dissolution" des valeurs de l'islam. Pour lui, l'extrémisme islamiste n'est pas une fatalité. "Tout comme le nazisme n'était pas dans Hegel et l'Evangile, et le goulag n'était pas dans Marx, le terrorisme et le sous-développement ne sont pas dans le Coran."
-------------------------------------------------------------------------------- L'ISLAM, TOLÉRANT OU INTOLÉRANT ? de Mustapha Chérif. Odile Jacob, 296 p., 22,90 €.
Xavier Ternisien Article paru dans l'édition du 17.05.06
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