Les audiences de justice dans le cas de l’arrestation administrative de Tali Fahima suivent toutes les mêmes schémas : Tali est assise sur un petit banc, isolée des amis et parents qui viennent montrer leur solidarité... Plusieurs minutes après l’entrée du juge, la salle est évacuée. Le juge est sur le point d’écouter le représentant des services secrets qui ne doit pas être vu par des citoyens ordinaires.
Quand nous retournons dans la salle quelques minutes plus tard, le juge déclare d’une voix grave : " Je suis convaincu par la preuve secrète qui m’a été apportée que Tali Fahima est déterminée à commettre des actes de terreur et de violence contre le peuple d’Israël et j’ordonne donc qu’elle reste en détention une semaine de plus " (ou deux semaines, ou un mois, ou quatre mois...selon les demandes du représentant invisible des services secrets). L’avocat contrecarré de Tali, Smadar Ben-Nahtan, n’a aucune idée des bases sur lesquelles sont fondées ces terrifiantes accusations, et par conséquent ne peut défendre sa cliente.
Le dimanche 26 décembre, à peu près six mois après sa première arrestation, l’état déclara finalement qu’il était prêt à préciser les charges contre Tali Fahima.
Qu’en est-il de la conviction profonde de l’honorable juge à l’effet que " Tali a l’intention de commettre des actes de terreur et de violence contre Israël ? Rien ne subsiste. Pas d’actes de terreur, aucune préparation ni participation. Aucune violence. Mais les articles de loi sur lesquels les charges sont fondées frayent le chemin à une peine très lourde, pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à vie. Tali est accusée d’avoir " aidé une organisation terroriste, fournissant des informations à l’ennemi et aidant l’ennemi en temps de guerre. "
Les faits qui étayent ces chefs d’accusation sont beaucoup moins dramatiques. En septembre 2003 Tali Fahima, une secrétaire de 28 ans, lut une interview avec Zacharia Zubeidi, le leader des combattants du Fatah de Jénine. Parmi d’autres choses, Zacharia, " le terroriste " dixit qu’il recherche la paix avec Israël, mais que ce doit être une paix juste, un accord qui respecte les Palestiniens et leurs droits. Tant que ces droits ne seront pas respectés et que le peuple palestinien sera humilié, il doit continue le combat contre l’occupation et l’oppression israéliennes.
Jusqu’alors, Tali Fahima était une jeune femme ordinaire, conformiste, de droite, une femme qui croyait, comme la plupart de ses amis, que "Palestinien" est juste un autre mot pour " terroriste arabe ", que " Israël appartient aux Juifs " et que " les Arabes devraient aller dans l’un de leurs 22 pays ". Tali n’a jamais assisté à une manifestation pour la paix, et si elle l’avait fait, elle aurait probablement haussé les épaules avec un léger dégoût ou même maudit ces naïfs gens de gauche qui croient que la paix avec les Palestiniens est possible. Bref, elle était une " bonne Israélienne " qui ne s’interroge pas sur les positions sionistes de base. Un produit standard de la société israélienne et du système éducatif israélien.
Mais à la lecture des mots de Zacharai, un changement significatif est apparu dans l’esprit de Tali Fahima. Elle a commencé à se poser des questions. Elle ne pouvait plus longtemps ignorer la question " Est-il possible que Zacharia Zubeidi soit en train de raconter la vérité et que nos leaders mentent ? Que l’image qu’ils ont donnée des Palestiniens à l’école, à l’armée, dans ma famille soit fausse ? Tali n’en est pas restée à seulement poser des questions. Elle a décidé d’aller à Jénine et de rencontrer Zacharia Zbeidi, un homme qu’elle regardait jusqu’à ce jour comme un symbole du mal.
Tali est allée à Jénine et a rencontré Zacharia, son enfant, sa famille et ses amis. Elle a vu la souffrance, la destruction. Elle a rencontré des gens dont Israël a fait des réfugiés pour la troisième fois. Tali a entendu les gens aspirant à une vie normale après deux générations d’oppression. Des jeunes qui souhaitaient étudier le théâtre ou la médecine, se marier et construire un foyer. Tout ce qu’elle a vu, entendu et dont elle a été témoin était si différent des histoires sur les " assassins arabes " qu’elle a entendues toute sa vie.
Á ce moment Tali a franchi la ligne. Non pas la ligne entre les Israéliens et les Palestiniens mais la ligne qui sépare un citoyen conformiste d’une personne qui se rapporte directement à la réalité, sans raccourcis, offrant un engagement et réclamant des réponses. Tali est devenue un danger pour le discours israélien dominant. Il dit : " Nous, Israéliens, sommes toujours à la recherche de la paix. Malheureusement les Palestiniens sont un peuple d’assassins qui veulent seulement nous jeter à la mer ". Ce récit est répété implacablement, et sert de couverture et d’excuse pour continuer l’occupation et la colonisation du territoire palestinien.
Il est vrai que de nombreux Israéliens ont essayé pendant des dizaines d’années maintenant de démasquer cette stratégie. Mais ces Israéliens sont étiquetés comme des traîtres, comme des gens qu’on ne doit pas écouter, comme des Juifs épris de la haine pour soi, comme l’ennemi intérieur que toutes les sociétés nationalistes doivent avoir...Tali ne pouvait être accusée de tout cela. Elle a servi dans l’armée, a baigné dans un solide environnement de droite - elle était définitivement " de l’intérieur " dans l’Israël sioniste. C’est exactement pourquoi elle est pourchassée si férocement par l’Israël officiel. Si Tali s’est échappée de la cohésion de la tribu, qui va la suivre ? Il faut l’arrêter avant qu’elle entraîne dans son sillage un effet boule de neige. Le sort de Tali doit servir d’exemple à tous ceux qui pourraient oser la suivre.
Les services secrets ont commencé de la poursuivre. L’avertissant contre la continuation de ses rencontres avec Zacharia et d’autres de Jénine, essayant de la convaincre de " devenir une bonne Juive ".. Comme cela resta sans effet, elle fut arrêtée, juste pour lui montrer qu’elle jouait avec le feu. Elle a été relâchée au bout de deux semaines mais a continué ses contacts avec Jénine. Sa désobéissance, dans un état tellement sous l’influence des services militaires et de sécurité, était une insulte, et elle a été de nouveau arrêtée. Cette fois les services de sécurité avaient l’intention de lui faire payer ".. Les services secrets révélèrent à la presse : "nous sommes menons une enquête sur la participation éventuelle de Tali Fahima à l’attaque suicide au checkpoint de Kalanda ".. Aucune accusation directe, bien entendu, mais assez pour faire de Tali Fahima l’ennemi public N°1.
M. Mofaz, Ministre de la Défense d’Israël, dit : " Je sais tout sur elle. Elle a participé à la préparation d’une attaque terroriste en Israël ". Les principaux médias eux-mêmes se sont réunis dans le sport national de diffamation et de diabolisation de Tali. Quelques journaux insinuèrent qu’elle était " l’esclave sexuelle " de Zacharia Zubedi. Dans cette ambiance il ne faut pas s’étonner que le public n’ait pas éprouvé de sympathie pour Tali quand les détails de son interrogatoire et des conditions de sa détention s’ébruitèrent : privation de sommeil et de nourriture, menottes attachées douloureusement, abus sexuel, défenses d’utiliser les toilettes, bref, un véritable étalage du respect des droits de l’homme dans " la seule démocratie du Moyen Orient ".
Tali n’est qu’une prisonnière israélienne pendant que 9 000 Palestiniens sont emprisonnés et interrogés dans des conditions bien pires, qui durent bien plus longtemps et sans que personne ne se soucie d’eux. Mais tandis que les Palestiniens construisent leur cohésion nationale même en prison, elle représente le contraire : une fêlure dans l’uniformité israélienne sioniste, et souvent les petites fêlures deviennent très significatives. C’est pourquoi elle mérite notre soutien entier et notre solidarité.
Tali Fahima a brisé les règles d’une autre façon qui mérite notre respect tandis que les militants pour la paix, y compris moi-même, agissons la plupart du temps selon les " règles du jeu ", ce qui signifie participer à des manifestations, écrire des pétitions, etc. Tali a écrit ses propres règles et a agi avec un niveau d’engagement et d’intégrité qui est très rare. Elle l’a fait pleinement consciente du prix qu’elle aurait à payer pour ses prises de position et ses actes.
En allant à Jénine et en rencontrant " l’ennemi " face à face, dominant sa peur personnelle, la loi du pays et la " loi de la tribu ", en affirmant publiquement qu’elle veut servir de bouclier humain à Zacharia Zubeidi, en sachant que les services de sécurité sont déterminés à la détruire et en continuant de même, dans tout cela Tali Fahima s’est distinguée comme une véritable héroïne.