La cuisine arabo-sicilienne et le pasticcio de Mohammed ibn Timnah
Pratiques, langues, religions fermentent depuis un temps infini sur les rives de la Méditerranée. Elles s’influencent aussi. Il en va de même de l’art culinaire et des habitudes alimentaires qui imprègnent les gestes des Méditerranéens.
En Méditerranée, la cuisine est à la fois instrument d’identité et d’échange culturels. Dépositaire des traditions gastronomiques d’une civilisation, toute cuisine devient, au contact des autres, innovation, accouplement, contagion. La nourriture est un langage, une symbolique, une façon de se rapporter à l’autre, de tendre vers lui un pont de saveurs et de sociabilité.
Doit-on rappeler que la conquête islamique de l’Occident fit pénétrer dans ses régions les plus reculées l’usage du sucre comme édulcorant, du safran comme colorant, des épices, de l’eau de rose et d’orange, des amandes et des grenades, pour ne pas parler de l’introduction du riz, des agrumes, des épinards et des aubergines. Dans plusieurs villages de la Calabre, un rite se répète tous les ans à la mi-août: deux géants de papier mâché: «il Moro» (le maure) et «la Dama bianca» (la dame blanche) dansent sur la place au son obsédant du tambour. Ces deux sujets représentent à eux seuls la domination arabe et la domination normande.
Toujours en Calabre, le vermicelle est appelé en dialecte «u cuscussu» et le stockfish (merluche), introduit dans cette région par les Normands, se marie merveilleusement bien avec les ingrédients dérivants de la cuisine arabe. Le résultat est un splendide croisement culinaire entre le Nord profond et le Sud profond.
Les Siciliens quant à eux apprirent des Arabes à cultiver les agrumes, la canne à sucre, le coton, le jasmin. Le jasmin ne parfume pas seulement les jardins de Sicile, on en retrouve aussi la saveur dans la «scusunera», nom emprunté à l’arabe pour désigné un type de glace. Ce furent encore les arabes qui prirent la neige de l’Etna, pour initier les Siciliens à l’art du «sciarbat» devenu «sorbet», nectar glacé à base d’essence de fruits et de fleurs.
Et pour rester dans le sujet, c’est précisément un Palermitain, un certain Procopio Di Coltelli qui introduit à Paris en 1663 la glace dans le très célèbre «Café Procope» qu’il venait d’ouvrir.
Ainsi naquit, de la collaboration entre Arabes dominateurs et Siciliens dominés, la cuisine arabo-sicilienne dont l’influence, plus ou moins sensible, s’étendait à tout le bassin méditerranéen. Ensemble, ces derniers modifièrent le couscous en remplaçant le mouton par différentes qualités de poisson, ils inventèrent aussi des boulettes de riz («orangine»), des gâteaux de miel, plusieurs recettes de pâtes. Mais l’expressin la plus remarquable de cette symbiose culinaire demeure le pasticcio de Mohammed ibn Timnah, Emir de Catane. (voir la recette ci-dessous)
Les routes de l’immigration, les voyages et le développement des échanges commerciaux permirent à cette «nouvelle cuisine» d’alors d’être diffusée un peu partout en Europe.
Pasticcio de Mohammed ibn Timnah Couper un poulet en morceau et le faire dorer dans un peu d’huile, le tremper avec un bouillon, l’épicer avec poivre et sel, le faire réduire à feu lent jusqu’à ce que la chair se détache des os. Séparer la viande en filets. Prendre ensuite un grosse miche de pain, la couper en deux, la vider de sa mie que l’on trempera du jus de cuisson du poulet qui aura été préalablement passé. Ecraser dans un mortier une douzaine d’amandes légèrement grillées et pelées, une douzaine de pistaches, une cuillerée de câpres, un peu de persil. Amalgamer ce mélange à la mie, lier le tout à deux œufs battues avec un jus de citron. Remplir le pain de cette farce en y ajoutant les lamelles de filets de poulet. Mettre le pasticcio au four pour le réchauffer avant de le servir.