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7 août 2012 18:50
Extrait d'une thèse sur l'Islam..... [www.espritcritique.fr]


Considérations wébériennes sur l’islam primitif :
La tentation rékabite





Max Weber, comme nombre de ses contemporains, avait été tenté par l’hypothèse « bédouine » de la naissance de l’islam, et donc par l’image du Bédouin guerrier comme porteur social initial de cette religion. Suivant certaines de ses affirmations, Muhammad aurait été une sorte de reproduction du Qénite Yonadab Ben Rékab, bien qu’il ne tînt ni l’un ni l’autre pour l’expression des conditions économiques et démographiques particulières. Il est vrai que les pasteurs abstèmes qu’on rencontre à plusieurs reprises dans l’Ancien Testament peuvent se laisser facilement comparer aux guerriers du Prophète, surtout depuis que la nouvelle religion avait interdit le vin.



Allāh et « Amaleq »



Pour Max Weber l’islam, dont le premier noyau était composé de citadins autour d’un ancien négociant, devint néanmoins une religion féodale basée sur la conquête par les armes (Djedi, 2006, p.366-387). Mais s’il ne met pas véritablement l’accent sur le berceau urbain de l’islam, il est vrai aussi qu’il n’établit pas vraiment de rapport direct entre l’expansion de celui-ci et les tribus nomades du désert. Du moins ne le fait-il pas comme Friedrich Engels, par exemple, même s’il reconnaît entre autres que l’invasion musulmane de la Palestine avait eu pour conséquence l’effacement de la zone, qui maintenait traditionnellement les Bédouins loin des villes (Weber, 1988, III, p.43). À la même époque, R. Leonhard, dans un article apprécié par notre sociologue (voir Weber, 1988, p.11), se gardait bien d’assimiler le phénomène bédouin à l’expansion islamique, parce que pour ce géographe :



« Le conflit entre le nomadisme et la paysannerie a existé de tout temps, même dans l’Antiquité » (Leonhard, 1916, p.333-334).



La vérité est que l’islam avait dû, lui aussi, affronter constamment le péril des Bédouins, et la nouvelle religion avait dû compter, depuis ses tout débuts, avec ce danger, depuis que, pour la première fois les citadins de la Mecque avaient fait appel, dans leurs guerres contre Muhammad, à des bataillons de Bédouins. Mais ces derniers finirent par passer sous l’autorité du Prophète, lorsque celui-ci avait fait ses preuves, non seulement de guide religieux, ce dont ils n’avaient sans doute cure, mais surtout de chef de guerre. Mais il est vrai aussi que l’atout que représentaient partout les nomades en tant que moyen de destruction et de persuasion ne pouvait être négligé par aucun pouvoir politique. L’exemple le plus flagrant en restera assurément celui des Banū Hilāl lâchés au XIe par les Fātimides sur l’Afrique du Nord qu’ils venaient de quitter pour l’Égypte.

Il est inutile de rappeler que le Coran ne contient pas la moindre glorification des Bédouins. C’est plutôt le contraire qui se vérifie, comme le montrent certains versets (notamment IX, 90, 97-98, 101, 120 ; XLVIII, 11, 16), surtout celui qui les tient pour « les plus impies, les plus insidieux, les plus à même d’ignorer les sanctions pénales [ḥudūd] révélées par Dieu à son Prophète » (IX, 97). Et lorsqu’ils se disent croyants [āman-nā], le Coran leur répond par un célèbre persiflage :



« Vous n’avez pas la foi [lā tu>minū] ; mais dîtes (plutôt) : nous avons embrassé (extérieurement) l’islam [aslam-nā] » (XLIX, 14).



Sur ce point, les exégètes sont quasi unanimes en soulignant l’indifférence religieuse des Bédouins, qui ne rallièrent la nouvelle religion que pour se préserver corps et biens.

Les Bédouins avaient très tôt fait les frais de cette opposition dont il est question ici entre īmān et islām, c’est-à-dire entre « foi » et « œuvres », bien que aslama contienne dans le reste du Coran une forte acception « samaritaine » de totale soumission à Dieu (Djedi, 2006, p.327-328).



On se souvient que l’un des points centraux de l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme tourne autour de la combinaison entre la foi et les œuvres (Weber, 1988, notamment p.109-111). Or, même en se limitant à l’islām, le déficit des Bédouins en connaissances et en pratique cultuelles était exaspérant. Aussi peut-on dire que l’état d’esprit de Muhammad et de ses compagnons à leur égard était alors comparable à « la haine terrible », décrite par Max Weber, que nourrissaient les Pharisiens à l’encontre des <am ha-arets, c’est-à-dire « les ruraux, "les ignorants", les "impies" qui ne connaissent ni n’observent la Loi » (Weber, 1988, III, p.403, 433 et n. 4 ; 1964, I, p.415).

D’après les exégètes, d’autres versets encore du Coran (e.g. XVI, 83 ; XLIX, 4-5 ; XLVIII, 10-12) avaient pour cible les nomades incrédules qui ne se rendaient pas aux arguments du Prophète. Faisant preuve de mauvaise foi, « leurs langues disent ce qui n’est pas dans leurs cœurs ».

Le Coran, auquel leurs oreilles sont d’ailleurs moins sensibles qu’aux paroles de leurs bardes, leur reproche de venir à la nouvelle religion pour des considérations bien loin du salut de leurs âmes, c’est-à-dire pour des questions de croît de bétail, de santé, de nombre d’enfants, etc. Aussi n’ont-ils aucun scrupule à apostasier sitôt que ces biens ne sont plus assurés (XXII, 11).

Ajoutons à cela l’instinct de déprédation encore très vivant chez les habitants du désert à l’époque de la naissance de l’islam. Ce qui, assurément, n’était guère pour consolider leurs rapports avec la petite communauté pneumatique, constituée de marchands et de cultivateurs.

Max Weber y aurait certainement trouvé une confirmation de son verdict sur les nomades, dont le mode de vie est basé sur « la guerre, le vol et […] le brigandage » ; partant, ils ne peuvent s’accommoder d’une « activité économique pacifique » (Weber, 1988, III, p. 15). Et quand bien c’était le cas et qu’ils ne pillaient point, c’était évidemment pour « vendre » leur « protection » [ḥimāya] aux caravanes.

Il n’en fallait pas davantage pour que l’hostilité, qu’éprouvaient les premiers musulmans à leur l’égard, ne fût pas seulement empreinte de mépris, mais confinât parfois à l’abomination. Ainsi, quand on ne les dissuadait pas purement et simplement d’entreprendre la hiğra, c’est-à-dire l’émigration religieuse vers Médine, les nomades ne pouvaient, par exemple, prétendre alors à une part du butin [fay>], qui désormais commençait à affluer vers la petite théocratie. Du moins passaient-ils après les sédentaires. Plus tard, le très pieux <Umar Ibn <Abd al-<Azīz le signifiera on ne peut plus clairement, lorsqu’il recommanda à l’un de ses fonctionnaires de bien se garder des Bédouins [iyyā-ka wa-l-a<rāb], « parce que les préoccupations des musulmans ne sont pas les leurs » (Gibb, 1955, p.9).

Les Bédouins ne pouvaient pas non plus présider la célébration du culte, et, pis encore, leur témoignage était irrecevable. Car ici aussi, comme Yahvé, « en guerre contre Amaleq de génération en génération » (Exode, XVII, 9), Allāh, pourrait-on dire – et pour parler comme Weber -, abhorrait <Amaleq (Weber, 1988, p.46). Cette répugnance s’explique facilement par le caractère éminemment sédentaire, pour ne pas dire citadin, de la religion naissante, caractère dont, au surplus, elle n’avait pas seulement une pleine conscience, mais dans lequel elle voulait voir un fondement spécifique du prophétisme monothéiste, parce que, pour le Coran, tous les prophètes sont issus de milieux urbains [min ahl al-qurā] (XII, 109).

A défaut d’être une rétorque à quelque contestation chauvine de la part des Bédouins, cette dernière affirmation atteste bien le caractère citadin, ou en tout cas sédentaire du fondateur de l’islam qui, comme Calvin, savait tirer le meilleur parti des grands événements urbains, et particulièrement des marchés et des foires. Il faut donc considérer l’islam naissant comme ayant été semblable au judaïsme, qui nourrissait, suivant Max Weber, une inflexible aversion à l’encontre du nomade, « ennemi mortel d’Israël » (Weber, 1988, p.16).

S’étonnerait-on alors de voir le Prophète refuser, à plusieurs reprises, les présents envoyés par certains d’entre eux, au motif qu’il « n’en accepte que de la part d’un Qurayšite, un Médinois, un Taqafite ou un Yéménite », c’est-à-dire de la part de sédentaires, comme le confirment la quasi unanimité des commentateurs de ce ḥadīt bien connu. On notera à ce propos la place que fait Muhammad aux Yéménites, « gens plus sensibles, plus modestes », et jusqu’à décréter que la foi et la sagesse sont yéménites. Il faut dire que ces « Phéniciens de l’Arabie », (ap. Lammens, 1924, p.155 et 162), ces grands marchands et artisans, mais aussi très bons agriculteurs, représentaient sûrement à ses yeux l’un des types opposés des nomades, dont la rudesse coutumière était source de bien des agacements pour les premiers adeptes de l’islam. Une fois, indigné par leur étonnement de l’affection que portaient ses compagnons à leurs enfants, le Prophète leur aurait rétorqué sèchement : « Allāh vous a dépourvus de miséricorde [naza<a min-kum ar-raḥma] ». Ce n’était pas peu dire, quand on sait que pour Muhammad le fait d’être bienveillant et au cœur tendre [raḥīm raqīq al-qalb] pour les siens et pour ses coreligionnaires est en soi-même un signe de salut.




Les marchands et les pasteurs



Pour Max Weber, s’il fallait désigner un ancêtre au capitalisme d’entreprise moderne, soutenu un moment par une éthique religieuse, ce serait certainement le prophétisme sédentaire, en dépit de la « légèreté » éthique qu’il décèle parfois chez les Patriarches. Tout au contraire, pour Werner Sombart, par exemple, c’est le nomadisme qui serait l’ancêtre du capitalisme moderne. Pour lui, en effet, Yahvé était avant tout « un dieu du désert et de bergers » (Sombart, 1929, p.406). D’où sa conclusion, confortant sa thèse sur la part du judaïsme dans l’essor du capitalisme moderne, que celui-ci « est né du désert infini, de l’économie pastorale. Ce type d’économie », explique-t-il, « ne connaît point de limites spatiales et productives, parce que, justement, « seul le très fort croît des cheptels rend le nomadisme économiquement possible ». La quantification et la rationalisation économiques mêmes sont, d’après lui, les filles du nomadisme (Sombart, 1929, p.425-426).

Ce n’est pas si sûr, comme le souligne Bryan S. Turner, dès lors que la notion de « limites » s’impose davantage au nomade, dont la multiplication du troupeau ne peut dépasser justement les exigences naturelles. Tandis qu’« à la Mecque, capital, marchandises de luxe et métaux précieux magnifiaient la fortune personnelle » sans aucune espèce de limites (Turner, 1974, p.30). Il y a la même insistance chez le Père Henri Lammens, pour qui, en effet,



« nulle part plus qu’à la Mecque, on n’a professé une foi absolue en la productivité indéfinie du capital et du crédit financier, sous toutes les formes » (Lammens, 1924, p. 125).



De ce point de vue, on peut revenir au témoignage du Coran (e.g. les versets LXXXIII, 1-4 ; CII, 1), qui s’était élevé vivement plus d’une fois contre l’avidité toujours plus grande des marchands.

Mais il y avait également, parmi les premiers musulmans, des cultivateurs et des éleveurs de petit bétail. Max Weber reconnaît une grande importance à ces derniers, dont sont issus nombre de prophètes de l’Ancien Testament et qui ont joué « un rôle considérable dans la formation de la religion prophétique de Yahvé » (Weber, 1988, p.43, 46). Il est d’ailleurs remarquable que l’un des attributs professionnels que la Tradition se plaît à reconnaître à Muhammad est justement qu’il ait été berger lui aussi, car, selon l’une de ses célèbres sentences à ce propos, il n’y a pas de prophète qui n’eût déjà fait paître des ovins [ġanam]. Animaux bénis d’entre tous, que le Coran met volontiers en scène entourant le pâtre Moïse, par exemple, à qui s’adresse Allāh (e.g. XX, 18 et XXVIII, 31).

Toutefois, contrairement aux patriarches, qui étaient des éleveurs propriétaires de leur bétail, état dont ils tiraient leur grande richesse (Weber, 1988, p.54), Muhammad lui-même n’avait manifestement pratiqué le métier de berger qu’en tant que salarié, comme du reste Moïse aussi qui, d’après le Coran, avait gardé le cheptel de son beau-père pendant des années (XXVIII, 27-29). Quoi qu’il en soit, même si ce moment de sa jeunesse passée parmi les brebis l’avait réellement marqué, il n’en demeura pas moins, après tout, perdu dans la vie, riche en événements, de ce grand homme d’action.

On est loin, en effet, d’un Job, par exemple, tel que le présente notre sociologue (Weber, 1988, p.46). Certes, on montre aussi Muhammad possédant tout un troupeau de bétail. Faut-il préciser que c’était là le fruit de butins et non pas certes le fait d’un croît réalisé par un éleveur « professionnel », comme l’avait été Abraham, par exemple, que le Coran montre donnant à ses convives un veau bien gras et bien rôti (XI, 69 ; LI, 26), un broutard de ses plus belles bêtes, précisent les commentateurs, qui, d’ailleurs, s’accordent à faire des bovins le plus gros du cheptel que possédait le père du monothéisme. Pour le reste, le hadīt sur le métier de berger exercé par les prophètes n’exprime pas plus, aux yeux d’Ignaz Goldziher, qu’« une opposition entre les Bédouins habitant le désert et les éleveurs d’ovins sédentaires » (Goldziher, 1896, p.182-183). D’ailleurs, cette opposition est matérialisée par une sorte de ségrégation, presque rituelle, établie par Muhammad entre la brebis et le chameau, en déclarant impropres à la prière les enclos où baraquent les chameaux, alors que les bergeries sont tenues pour des lieux rituellement purs.

Rien ne permettrait donc d’affirmer que le prophète mecquois fût véritablement sorti des rangs des éleveurs, comme c’était le cas de David, par exemple, que Yahvé avait tiré des bergeries et appelé de « derrière les brebis mères pour paître Jacob, son peuple et Israël son héritage » (Psaumes, LXXVIII, 70-72). Et c’est pour le moins hâtif de vouloir trouver, comme le fait Max Weber, de façon quelque peu catégorique, une ressemblance entre la première communauté de l’ancien marchand de Qurayš et les descendants de Yonadab Ben Rekab, issus du petit pastoralisme, non sédentaire de surcroît.

Il est difficile d’admettre que le même « idéal » religieux bédouin proclamé et pratiqué par les descendants de Yonadab ait pu motiver l’action de Muhammad et de ses premiers adeptes. Tout d’abord, le « conventicule piétiste » de la Mecque, dont Weber admet la réalité, n’offre absolument aucune analogie avec le rékabisme, ses membres, marchands pour leur grande majorité, n’étant pas même abstèmes. Ensuite, et en admettant que l’islam se fût « rékabisé » à Médine, on serait forcé de reconnaître alors que les non sédentaires, ou même les semi-sédentaires, étaient porteurs d’une mentalité monothéiste « plus avancée » et que, de ce fait, ils auraient cherché un retour à la vie simple et pieuse du désert, en réaction au relâchement religieux des sédentaires. Mais on sait qu’il n’en était rien, puisque les compatriotes de Muhammad étaient dans leur quasi-totalité étrangers au monothéisme d’Abraham (Goldziher, 1888, p.9), contrairement aux Rékabites qui étaient considérés - Weber insiste assez sur ce point - comme le modèle même du monothéisme le plus épuré (Weber, 1988, p.263, 299).

Bien entendu, à l’époque de Muhammad, les Médinois des faubourgs, pour la plupart convertis depuis peu aux travaux de la terre, gardaient encore des traces de leurs origines nomades. Leurs demeures étaient encore meubles, très légères et aisément démontables, faciles à reconstruire ailleurs. Leur degré d’attache au désert était pour ainsi dire dans la distance par rapport au « centre ville », les Bédouins les plus récemment médinois vivant encore en dehors de la ville (Wellhausen, 1889, pp. 17-22). Mais quel qu’eût été le rôle qu’ils avaient joué dans le triomphe de la nouvelle religion, les Médinois ne feront jamais le poids avec les rusés et entreprenants marchands mecquois, entre les mains desquels ils finiront par devenir, comme le reste des Arabes, de simples instruments (Veselý, 1958, p.37, 56-57). Quant aux Bédouins proprement dits, ils viendront tout juste assurer, au besoin, les démonstrations de force, et, naturellement, grossir les bataillons qui s’en iront porter, au bout du monde, la parole d’Allāh sur le bout de leurs épées.

Nul étonnement donc que le califat fût passé, comme il fallait s’y attendre, entre les mains de Qurayš, ce qui en clair signifie la supériorité « religieuse » - pour ne pas dire la supériorité tout court (Goldziher, 1888, p.93) - non démentie des marchands, ou tout au moins des sédentaires ? Et l’on admettra avec Wellhausen que le commerce fut « à la Mecque, comme partout ailleurs, l’école qui prépare à la politique » (Wellhausen, 1889, p.20-21). Comme l’affirme Henri Lammens, c’étaient « les agglomérations urbaines » qui avaient « fourni à l’islam primitif les classes dirigeantes ».



« Désormais, les citadins deviendront l’âme mettant en mouvement la masse […] inerte du monde bédouin » (Lammens, 1922, p.6, 10).




Le prisme du wahhābisme



Max Weber semble, en vérité, s’était trop empressé d’emboîter le pas à Eduard Meyer, quand il établit, à l’instar de ce dernier, un rapport étroit entre les éleveurs semi-nomades, voire nomades, et l’émergence de l’islam. On remarquera qu’il avait même repris à son compte l’utilisation particulière du mot Bedu [badw] par opposition à <Arab, c’est-à-dire selon la distinction faite par Meyer, Bedu désignant dans ce cas les nomades proprement dits et non point les pasteurs semi-nomades (Meyer, 1906, p.303 n.1). Mais il faudra remarquer qu’une pareille précision ne semblait pas même opportune à un spécialiste comme Ignaz Goldziher, qui n’éprouvait aucune difficulté à employer, à l’instar des auteurs musulmans du Moyen-âge, le mot a<rāb [Araber] dans le sens évident de nomades, c’est-à-dire d’habitants du désert [Bewohner der Wüste] (Goldziher, 1888, p.5-6).

A Max Weber comme à Eduard Meyer, le parallèle semblait pour le moins assez tentant avec les adeptes de Yonadab ben Rékab, ce « fanatique » qui représentait, selon Meyer, le type accompli de l’« idéal bédouin » (Meyer, 1906, p.84, 132-133). Cette dernière formule est, on le sait, due à Karl Budde (Budde, 1896, p.57-79), avec les travaux duquel notre sociologue était assez familier. « Durant des siècles », écrit Max Weber au sujet des descendants de Yonadab,



« depuis l’époque de Jéhu jusqu’à Jérémie, nous les voyons se perpétuer et prendre part activement à la vie politique et religieuse ; dans la chronique de Néhémie, il est fait mention d’un Rékabite et au Moyen-âge encore, Benjamin de Tudèle prétend les avoir rencontrés sous la conduite d’un nasi dans le désert babylonien ; d’autres voyageurs ont même cru trouver leur trace au XIXe siècle près de la Mecque » (Weber, 1988, pp.87-88).



Bref, ces « éleveurs de petits bétail », qui, d’ailleurs n’étaient pas juifs, mais issus – l’hypothèse est de moins en moins accréditée de nos jours - de la tribu nomade des Qénites (Weber, 1988, p.45 ; Meyer, 1906, p.398), souligne encore Weber,



« dédaignaient les maisons, refusaient de s’établir à un endroit fixe, condamnaient l’agriculture sédentaire et ne buvaient pas de vin » (Weber, 1988, p.45 ; Meyer, 1906, p.84, 132-133).



Or, pour lui, le type du Rékabite se confond sans difficulté avec



« Le véritable Bédouin [Bedu], qui dans le nord de l’Arabie se différencie fortement de l’Arabe sédentaire, a toujours méprisé l’agriculture et dédaigné les maisons ainsi que les places fortes ; il vivait de lait de chameau et de dattes, ignorait le vin, n’avait besoin d’aucune forme d’organisation étatique et n’en tolérait aucune » (Weber, 1988, p.13 ; 1964, p.663-664).



Rappelons que Meyer avait rejeté pour sa part l’hypothèse de Theodor Nöldeke selon laquelle la tribu arabe de Qayn (ou Balqayn, voire Banū-l-qayn), établie, depuis l’époque pré-islamique déjà, dans le Sud-Est palestinien et dans la péninsule du Sinaï, serait à mettre en rapport avec les anciens Qénites (Meyer, 1906, p.399). La proposition était pourtant intéressante et eût gagné à être poussée plus en avant, dans la mesure, au moins, où l’arabe même de l’époque de Muhammad pouvait confirmer l’étymologie du nom des Qénites.

On sait que les Qénites tiraient leur nom de leur ancêtre Caïn dont ils portaient le « signe » comme tatouage tribal, ainsi que le confirme de son côté Max Weber (Weber, 1988, p.16). Ce stigmate n’était pas infâmant, mais mettait en garde contre la terrible – et toujours croissante - vengeance du sang pratiquée par ce clan, car si la règle était que « si quelqu’un tue Caïn, on le vengera sept fois », elle fut portée à « septante-sept fois » pour venger son descendant Lamek (Genèse, IV, 15 et 24). Et de cela, note précisément Weber, il n’existe « qu’une trace importante : l’usage répandu en Arabie d’enduire de sang les linteaux des portes pour repousser les démons. » (Weber, 1988, p.16.) Antique usage sémitique (Exode, XII, 6-7), dont on avait retrouvé aussi, à l’époque de Max Weber, des traces chez les Bédouins du Sinaï (Goldziher, 1880, p.310-311).

D’autre part, Caïn, comme le veut la Bible (Genèse, IV, 21-22), passe également pour être l’ancêtre des forgerons, des musiciens et, peut-être aussi, des filles de joies. On sait que le mot « forgeron » était dit en arabe de l’époque qayn, de même que qayna signifiait « chanteuse » (Djedi, 2006, p.337-338). Par ailleurs, sans toutefois s’étaler sur l’état d’Abel, le Coran établit la supériorité éthique de celui-ci sur son frère Caïn, parce qu’il était pieux et craignait Dieu (V, 27-30). Cependant, les musulmans savaient, de source biblique, qu’Abel [Hābīl] était éleveur d’ovins [ṣāḥib ġanam, ṣāḥib ḍar<], tandis que Caïn [Qābīl], qui pratiquait l’agriculture [ṣāḥib zar<, ṣāḥib ḥart], était aussi l’ancêtre de Abal, le Yabal de la Bible, qui fut le premier à avoir habité sous les tentes [awwal man sakana-l-qibāb] et acquis des troupeaux [māl], de Yūbal, l’ancêtre des joueurs de cymbales [sawnağ, ṣanğ] et Tūbalqayn, le Tubal-Caïn biblique (Genèse, IV, 20-22), l’ancêtre de tous ceux qui travaillent le fer et le cuivre.

Assurément, l’assimilation des Bédouins arabes aux Rékabites n’aurait peut-être rien eu d’insolite si Max Weber n’avait rajouté, toujours sur les pas d’Eduard Meyer, que :



« l’exemple le plus éclatant d’une association constituée comme un ordre et qui, dans son principe, est absolument semblable, c’est bien sûr l’islam et les ordres guerriers s’en réclamant qui, dans la même aire géographique, ont su créer de nombreux Etats islamiques particulièrement durables » (Weber, 1988, p.88).



En écrivant ces lignes, Max Weber pensait bien entendu à cette grande déclaration de Meyer :



« Au fond, ce sont exactement les mêmes idées qui ont fait naître l’islam et la réforme wahhabite » (Meyer, 1906, p.84-85).



Le mot est lâché ! Weber comme Meyer avaient voulu revoir dans les cavaliers de Ibn Sa<ūd, qui avaient, dès la fin du XVIIIe siècle et jusqu’au début du XIXe, bouleversé la péninsule arabique, l’image des soldats du Prophète.

On pourrait évidemment admettre sans difficulté la réaction « socinienne » du wahhābisme, selon la formule d’Ernest Renan (Renan, 1851, p.1079), une réaction à ce qu’on pourrait appeler, d’une certaine manière, la « prostitution » de l’islam, dans la mesure où celui-ci était effectivement devenu « infidèle » au Dieu unique, en cédant, notamment, au culte des saints et des sépultures. On pourrait admettre aussi, à la rigueur, quelques similitudes entre les Wahhābites et les guerriers rékabites, qui déclaraient surtout et avec force :



« Notre ancêtre Yonadab, fils de Rékab, nous a donné cet ordre : "Vous ne boirez jamais de vin, ni vous ni vos fils ; de même vous ne devez pas bâtir de maison, ni faire de semailles, ni planter de vigne, ni posséder rien de tout cela ; mais c’est sous des tentes que vous habiterez toute votre vie, afin de vivre de longs jours où vous séjournerez" » (Jérémy, XXXV, 6-7).



Mais ce n’était là que le contrecoup du développement urbain de l’époque et un appel au retour à la religion du désert, qui, on le comprend, apparaissait alors comme « un idéal perdu », parce que l’on y pouvait plaire à Yahvé avec un culte pauvre, mais sincère. Dans un sens, c’était un rappel de la supériorité religieuse d’Abel, le berger, dont Dieu aimait la piété et le rite, qui exprimaient toute la pureté de la religion primitive du peuple hébreu à l’état nomade ; supériorité sur Caïn, évidemment, c’est-à-dire sur l’agriculteur, le sédentaire.

Karl Budde avait mis le doigt sur l’inflexible attachement des Rékabites au nomadisme et à la vie du désert. Attachement qui, pour eux, devait signifier avant tout le maintien du pacte avec Yahvé à travers une plus grande pureté et une profonde sincérité dans la piété et dans le culte (Budde, 1896, p.28). Et Max Weber pouvait, à sa suite, souligner ce trait caractéristique, non plus seulement du rékabisme, mais, d’une certaine manière, de tout le monothéisme prophétique. Ainsi, « comparée à des temps arrogants et rebelles à Yahvé, parce qu’opulents », écrit-il,



« l’époque du désert restait, même pour les prophètes, l’époque véritablement pieuse. A la fin des temps, Israël sera dévasté et redeviendra une steppe, et le roi-sauveur [Heilskönig], aussi bien que les survivants, mangeront de la nourriture des steppes : le miel et la crème. » (Weber, 1988, p.299).



Il est vrai que, plus tard, s’exprimeront dans l’islam aussi le même refus du relâchement de la ferveur et les mêmes louanges de la piété simple des Bédouins, modèles de simplicité et de foi épurée des fioritures intellectuelles. Relâchement qui va généralement de pair avec la progression du raffinement et du luxe que soutient naturellement l’explosion urbaine. Dans ce cas, comme l’indique une parole du Prophète, la meilleure vie que puisse mener le musulman serait justement de posséder quelques brebis qui lui assureront une vie pieuse et authentique loin des tentations et des troubles (Djedi, 2006, p.339-340).

Dans une certaine mesure, et cela on peut le comprendre, le wahhābisme, mouvement de Bédouins du désert arabe, brandissant une piété rude et austère, pouvait donner cette impression à Weber et ses contemporains. Son fondateur, ibn <Abd al-Wahhāb appelait à :



« un retour à l’Islam primitif, à la constitution démocratique de la société, à la simplicité du culte, dégagé des subtilités des glossateurs et des dévotions adventices, la suppression du luxe somptuaire, de la musique et des œuvres d’art, toutes innovations (bida<winking smiley admises par al Ghazâlî […] et blâmées par son adversaire, ibn Taymiyah » (Massignon, 1918/19, p.326).



Mais il faut reconnaître que de ce glissement « puritain » wahhābite à l’« idéal nomade », sur lequel se serait construite la doctrine de Muhammad et de ses premiers fidèles, il y a tout simplement loin.



De ce point de vue, et dans la mesure où le protestantisme remettra effectivement à l’honneur le culte sans fioritures de la religion du pur esprit, on pourrait presque accepter la formule de Renan, selon laquelle :



« Le Sémite nomade est un protestant » (Renan, 1989, p. XVII).



Ce qui, soit dit au passage, fut très bien vu aussi par nombre de contemporains des premiers Wahhābites, dont l’un observait déjà, au tout début du XIXe siècle, que :



« On peut établir un parallèle entre leurs manières de penser et celles de la Réforme chrétienne du XVe siècle, qui cherchait à ramener la foi à sa simplicité primitive » (Wiet, 1950, p.325).



Il faut dire que les Wahhābites avaient suggéré un rapprochement identique même à Goldziher qui, à l’instar de ses contemporains, n’avait pu s’empêcher de voir en eux des « protestants musulmans » (Goldziher, 1871, p.309), les uns et les autres notoirement hostiles au culte des saints. Alfred von Kremer va jusqu’à établir un lien, mais de façon bien furtive, entre le mouvement wahhābite et celui des lointains et sanguinaires Azraqites (Djedi, 2006, p.561), les deux phénomènes ayant été, en somme, selon le savant autrichien, une sorte de réaction morale et religieuse de l’« esprit national » [Volksgeist] contre une hiérarchie jugée dégénérée et, partant, impopulaire (Kremer, 1868, p.187-188). Sous cet aspect, le wahhābisme apparaissait au savant autrichien comparable à la Réforme allemande.

Nonobstant, on ne peut pousser plus en avant l’analogie entre le wahhābisme avec le protestantisme, en dépit de toute la propension individualiste manifestée par le premier aussi à ses débuts (Goldziher, 1898, p.155-156). Car, au plus fort même de son action, le wahhābisme n’avait jamais quitté le hanbalisme dont il était né et n’avait été, par conséquent, pas plus qu’un « fanatisme sunniste », suivant la formule consacrée par Ignaz Goldziher (Loc.cit., p.156), qui reconnaissait pourtant que « le wahhābisme va beaucoup plus loin que l’école de ibn hanbal et de Mālik ibn Anas dans ce qu’il faut entendre par bid<a » (Goldziher, 1880, p.340). Quant à Max Weber, qui connaissait évidemment le rigorisme de « la petite école hanbalite » (Weber, 1964, p.607), rien n’indique qu’il eût jamais assimilé le wahhābisme à celle-ci.

Goldziher lui-même avait fini par emboîter en cela le pas de von Kremer et opérer une véritable palinodie sur la question, en déclarant tout nûment qu’à la vérité :



« les enfants des hauts plateaux de l’Arabie ne seraient aujourd’hui pas autre chose que n’étaient les adversaires de la vraie foi du temps de Mohammed. Seulement ils admettent aujourd’hui le minimum de l’Islam […]. Des bouches des Wahhābites, ce qu’on entend sortir, ce n’est donc point une protestation du traditionalisme mahométan contre les innovations et les additions non traditionnelles ; ce qui s’y manifeste, c’est la conception générale de gâhilijja [sic], de l’arabisme païen qui rejette les formes de l’Islamisme » (Goldziher, 1880, p.340-341).



Max Weber aurait-il vraiment insisté sur ce prétendu « rékabisme » de l’islam primitif s’il avait mené à bout son projet d’écrire une monographie sur l’islam ? On ne le saurait dire. Toujours est-il qu’une chose au moins reste certaine, c’est qu’en cédant à cette tentation que le savant allemand avait raté un volet des plus intéressants de sa sociologie religieuse. Bien qu’ayant pressenti les ressemblances entre l’islam et le calvinisme, Weber n’avait pas clairement perçu les « rapports de secte » qu’il met, tout autant qu’Ernst Troeltsch, derrière la conduite de vie professionnelle moderne. L’orientaliste finlandais Harri Holma avait toutes les raisons de souligner que :



« Le piétisme de l’islam primitif mériterait certainement d’être étudié et examiné plus à fond, surtout depuis que Max Weber et Sombart ont démontré de toute évidence l’importance de la conception piétiste dans les origines et dans l’évolution du capitalisme » (Holma, 1946, p.72).
B
11 août 2012 12:46
0/20
Catastrophique. Reprenez vous.
A
11 août 2012 13:24
Citation
Ben fraisoo a écrit:
0/20
Catastrophique. Reprenez vous.

J'ai vu ton texte hier. Pas tout lu.
B
11 août 2012 16:29
Merci de ne pas t'etre laisser décourager par le nombre de lignes. Y a des choses intéressantes qui sont dites...
Pour la partie que tu as lue, t'en a tiré quelque chose, en positif ou en négatif?
E
11 août 2012 16:43
tu peu me faire le résumer j'ai la flemme, en plus nous somme sayémine
A
11 août 2012 16:54
Intéressant j'ai en tirer quelques choses de positif, quand ils parlent des yéménites, de la profession des Prophètes... Intéressant le texte sur le wahabisme, il y'a des citations de non musulmans et pourtant ce qu'ils disent est bien plus vraie que ce que certains sites musulmans disent là dessus. Eux ont compris quels sont les références du fondateur contrairement a certains qui voudraient nous faire croire que il a inventer quelque chose et que il est venu avec des choses nouvelles.
N
11 août 2012 18:18
salam,
j'ai tout lu, à 2 de tension, mais j'ai lu.
mais je ne comprends pas vraiment pourquoi on pourrait penser que les origines du Capitalisme remontraient de si loin, et surtout du temps de Mohammed..

sérieux je suis à la masse. en gros, le fait d'avoir quitté le nomadisme pour se sédentariser et donc créer une société (urbanisme et tout ce qui va avec) aurait fait naitre le capitalisme?
je sais qu'à cette époque, les musulmans avaient une organisation économique exemplaire en matière d'éthique sociale et économique, mais notre idéologie est loin d'être en accord avec le système économique d'aujourd'hui.
J'ai déjà lu quelques théories de weber, il a écrit pas mal de chose sur la civilisation musulmane. D'après lui, les début de notre économie ont servie de base pour le capitalisme, et une fois le capitalisme démarré, plus besoin des premiers fondements (religion et éthique coranique qui va avec et dirigeants religieux).

après, ya trop de tribus que je ne connais que de nom dont je ne vois pas le rapport avec la théorie.
intéressant sinon. mais pour une dissert' tu peux te gratter, je suis au maximum là!
je pense que tu es le seul à piger cet extrait parfaitement.




Modifié 1 fois. Dernière modification le 11/08/12 18:18 par No Way.
B
12 août 2012 11:22
Elula, en combien de mots, je te le résume? Tu fais comme Asad partage, et No Way, tu fixes tes pupilles sur l'écran et tu bouge ton menton de gauche à droite pendant cinq minutes, si tu n' y arrive pas considères ceci comme un résumé. [www.pommedapi.com]

C'est quant même dingue qu'il n'y ait que 2 personnes que ça intéresse, c'est la base et le commencement de notre civilisation, à croire que vous êtes posés sur du vent...

Y a a pas à dire cette thèse, c'est du béton armé hyper dense au niveau des idées formulées...

No Way, merci pour l'effort de lecture, c'est un peu ça, entre autres, en fait pour ta première partie de réponse, il est avant tout question de l'économie pastorale sémite en général, comme éléments décisifs et annonciateurs des prémisses du capitalisme. La péninsule arabique étant bien sèche, comment se débrouiller autrement qu'en y développant le commerce?
Le capitalisme est pour Weber, plus directement lié à l'époque du Protestantisme de Luther, pour ceux que ça intéresse, voir ici . [classiques.uqac.ca]
Capitalisme et islam, voilà un sujet intéressant.
Propriété privé garantie par le Coran, interdiction de l'usure, héritage, zakat, commerce très encouragé que l'on interrompt que pour la prière, introduction généralisée des chiffres arabes dans les calculs commerciaux, formation d'une puissante caste de commerçants avec ses rentes, le rôle des banques juives de Bagdad, celui de la conquête, des razzias subventionnés...


Le délire sur les Bédouins et les tribus (une sorte d'équivalent des manouches du film Snatch, vu comment ils sont décrits), je pense pour faire vite, que l'auteur, Youcef Djedi a voulu mettre en évidence, en étudiant au millimètre les configurations économico-sociales de l'époque, et notamment l'opposition sédentaire/nomade, voir les premiers paragraphes, le fait que les gens de l'ordre, les puissants et rusés urbains, hommes de commerce, politique et de science s'en sont servis habilement comme vulgaires hommes de mains à la guerre. L'ordre et l'organisation l'emporte sur le n'importe quoi.



Modifié 1 fois. Dernière modification le 12/08/12 11:43 par Ben fraisoo.
B
18 août 2012 09:29
Bonjour, en complément, un bouquin de "kouffar", Henri Lammens.

[archive.org]

Analyse de la période pré-islamique en version multi-angles, à partir de la 100 ème page, ça devient intéressant...
l
18 août 2012 10:10
Il est inutile de rappeler que le Coran ne contient pas la moindre glorification des Bédouins. C’est plutôt le contraire qui se vérifie, comme le montrent certains versets (notamment IX, 90, 97-98, 101, 120 ; XLVIII, 11, 16), surtout celui qui les tient pour « les plus impies, les plus insidieux, les plus à même d’ignorer les sanctions pénales [ḥudūd] révélées par Dieu à son Prophète » (IX, 97). Et lorsqu’ils se disent croyants [āman-nā], le Coran leur répond par un célèbre persiflage :

« Vous n’avez pas la foi [lā tu>minū] ; mais dîtes (plutôt) : nous avons embrassé (extérieurement) l’islam [aslam-nā] » (XLIX, 14).
Sur ce point, les exégètes sont quasi unanimes en soulignant l’indifférence religieuse des Bédouins, qui ne rallièrent la nouvelle religion que pour se préserver corps et biens.

Les Bédouins avaient très tôt fait les frais de cette opposition dont il est question ici entre īmān et islām, c’est-à-dire entre « foi » et « œuvres », bien que aslama contienne dans le reste du Coran une forte acception « samaritaine » de totale soumission à Dieu (Djedi, 2006, p.327-328).

On se souvient que l’un des points centraux de l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme tourne autour de la combinaison entre la foi et les œuvres (Weber, 1988, notamment p.109-111). Or, même en se limitant à l’islām, le déficit des Bédouins en connaissances et en pratique cultuelles était exaspérant. Aussi peut-on dire que l’état d’esprit de Muhammad et de ses compagnons à leur égard était alors comparable à « la haine terrible », décrite par Max Weber, que nourrissaient les Pharisiens à l’encontre des <am ha-arets, c’est-à-dire « les ruraux, "les ignorants", les "impies" qui ne connaissent ni n’observent la Loi » (Weber, 1988, III, p.403, 433 et n. 4 ; 1964, I, p.415).

D’après les exégètes, d’autres versets encore du Coran (e.g. XVI, 83 ; XLIX, 4-5 ; XLVIII, 10-12) avaient pour cible les nomades incrédules qui ne se rendaient pas aux arguments du Prophète. Faisant preuve de mauvaise foi, « leurs langues disent ce qui n’est pas dans leurs cœurs ».

Le Coran, auquel leurs oreilles sont d’ailleurs moins sensibles qu’aux paroles de leurs bardes, leur reproche de venir à la nouvelle religion pour des considérations bien loin du salut de leurs âmes, c’est-à-dire pour des questions de croît de bétail, de santé, de nombre d’enfants, etc. Aussi n’ont-ils aucun scrupule à apostasier sitôt que ces biens ne sont plus assurés (XXII, 11)





Quand je lis ces passages, je me dis que l'histoire se répète et qu'aujourd'hui, il y a toujours des bedouins surtout en Europe qui utilisent l'islam pour des considérations autre que spirituelles.
A
9 décembre 2012 20:18
"Quand je lis ces passages, je me dis que l'histoire se répète et qu'aujourd'hui, il y a toujours des bédouins surtout en Europe qui utilisent l'islam pour des considérations autre que spirituelles."

Non, la phrase pré-citée ne dit rien d'autre que ce qu'elle dit.
Les bédouins sont-ils de la vermine pour autant, des hypocritent qui s'excitent devant les bifftons quelque part dans la péninsule arabique?
Certes, OSEF, mais, j'aimerais tout de même que vous preniez quelques secondes pour réfléchir aux implications et aux conséquences.
a
10 décembre 2012 01:14
Le mot capitalisme semble être utilisé de manière péjorative par l'auteur. S'il s'agit uniquement de commerce, il n'y a rien de repréhensible à cela...
Comme tu dis, cela est plutôt favorisé par l'islam, comme toute idée efficace qui essaie de marier de manière efficace la maitrise du spirituel et celle de la matière.
Cependant, le développement du commerce était important avant l'avènement de l'islam (canalisé par celui-ci, les caravanes des villes dont quraysh avaietnt un rôle important dans cette zone où les arabes refusaient plus ou moins de travailler la terre, bien plus compétents en commerce...
L'idée principale de l'islam est plutôt basée sur le spirituel alors que celle de l'occident est plutôt basée sur le matériel.
Il suffit de comparer, comme le souligne malek bennabi, la différence d'approche dans deux contes, le premier comme robinson crusoë et l'autre d' ibn tufayl (le problème des idées dans le monde musulman) pour s'en rendre compte.

Il me semble que les bédouins ne constituaient pas le gros du problème des musulmans initialement, il s'agissait plutôt des mecquois qui étaient bien des citadins, ainsi que les juifs de médine...
En fait, l'islam avait un "problème" avec tout ce qui lui était étranger et qui lui opposait une résistance et le pouvoir économique est un préalable évident à toute suprématie politique, et l'attaque des caravanes afin de récupérer les biens "volés/spoliés/etc..." devait porter un coup plus fatal aux mecquois qu'aux nomades
a
10 décembre 2012 01:16
toi fraisoo, que vois-tu comme implications? un tel discours surtout lorsqu'il est associé à ce que dit lammens n'est pas neutre.

par contre, on peut y voir un certain nombre d'implications "islamiques".
A
10 décembre 2012 18:59
As300, merci pour ta réponse, je faisais référence aux Bédouins... apparemment, pas très bien vu dans certains versets. D'ailleurs, si quelqu'un peut me l'expliquer...
J'ai pensé, je sais pas pourquoi aux prince qui s'achète des Zlatans, à certains obèses Saoud...
Sinon pour Lammens, j'étais complètement ignorant au sujet du personnage, mais il semble que ces travaux sur la période pré-islamique qui m'intéresse, font autorité...Si t'as d'autres références, à ce sujet, elles sont bienvenues..

N'hésites pas à développer pour "les implications islamiques", si le coeur t'en dit...
 
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