Chambre correctionnelle près le Tribunal de 1ère instance de Casablanca-Anfa. La Salle n°4 est archicomble, à tel point que les policiers ont commencé à interdire aux familles des suspects d’y accéder. Lorsque le président du tribunal a reporté quelques nouveaux dossiers, il a appelé Mohamed à la barre. Ce barbu de trente-deux ans s’est avancé à pas lents sans un regard pour l’assistance. Vêtu d’une gandoura blanche, il a lancé à haute voix un «As-Salamou Âlikoum». Le président du tribunal s’est contenté de le dévisager avant de lui rappeler son accusation. Mohamed est accusé d’atteinte aux valeurs sacrées du Royaume. Une accusation très grave, qui peut lui valoir une lourde peine d’emprisonnement. Qu’est-ce qu’il a donc commis ? Pour quelle raison ?. Mohamed rêvait depuis son enfance d’un bon avenir, lui permettant de se sortir de la pauvreté où il est plongé lui et sa famille. Pour y arriver, il a fait un grand effort dans ses études, qu’il a poursuivies avec succès jusqu’au niveau de la deuxième année de l’enseignement secondaire en sciences expérimentales. Un échec dû à des circonstances aussi bien objectives que subjectives. Quand il est arrivé à ce niveau, la vie avec ses parents lui est apparue sans issue: bagarres, échanges d’invectives et accusations d’adultère. Au fil des jours, la poursuite de leur relation conjugale est devenue impossible. Et personne d’entre eux n’a pensé à Mohamed, leur fils unique. La solution ? C’est le divorce. Et Mohamed s’est retrouvé seul, sans mère ni père qui le prendrait en charge. Chacun d’eux a commencé à penser à soi-même, livrant leur unique enfant à son propre sort. D’un embarras à l’autre, Mohamed a commencé à penser aller ailleurs, franchir les mers pour gagner honnêtement sa vie, loin de ses parents, qui s’activaient à refaire, chacun de son côté, sa vie. Sa mère préparait ses papiers pour se rendre en Italie et son père s’apprêtait à se remarier. Que faire, alors ? Mohamed a obtenu son passeport. Une fois ce document administratif en main, le rêve d’aller en Australie a commencé à lui hanter l’esprit. À défaut d’argent, son rêve est devenu difficile à réaliser. C’est la raison pour laquelle, il a choisi d’aller, en 1993, en Algérie, puis en Tunisie pour s’installer finalement en Libye. Il y est resté durant trois ans sans remettre les pieds dans son pays natal. Il n’y est retourné qu’une fois que la date de validité de son passeport était presque arrivée à expiration, pour le renouveler. Un séjour à Casablanca qui n’a duré que trois ou quatre semaines pour emballer ses bagages à destination de la Malaisie, puis l’Indonésie avant de regagner la Turquie, où il n’a passé qu’une semaine avant d’aller en Syrie. Tous ses voyages avaient un seul but : arriver en Australie. Seulement, il a échoué pour rebrousser chemin vers Casablanca. Chez qui devait-il séjourner ? Sa mère est en Italie et son père s’est remarié, tandis que sa belle-mère le détestait. Il est réfugié dans une chambre, dans un hôtel non classé et a commencé à chercher du boulot. Au fil des jours, il a commencé à travailler comme serveur dans un bar à Aïn Diab, puis il a voyagé à Agadir pour accomplir la même tâche. Entre-temps, il a rencontré une Danoise, avec laquelle il s’est marié. Une fois sous le même toit, ils ont découvert qu’ils ne pouvaient vivre ensemble. Les problèmes ont commencé et la Danoise lui a demandé le divorce. Devant le refus de Mohamed, elle a disparu en décembre 2003. Il l’a cherchée partout, mais en vain. Etait-elle retournée chez elle au Danemark ? Il n’en sait rien. À ce moment, il s’est retrouvé seul, sans père, ni mère, ni épouse, livré à lui-même au point qu’il ne veut plus travailler ni rester à Agadir. Il a regagné Casablanca pour commencer une vie de vagabond, consommant du haschich, des comprimés psychotropes et s’enivrant. Tout à coup, tout changé. Comment et pourquoi ? Lui aussi n’a pas trouvé de réponse. Il s’est laissé pousser la barbe, s’est rasé la moustache, commencé à prier, à jeûner, à fréquenter les mosquées et à lire des livres religieux. Depuis, il n’hésitait pas à s’adresser aux gens et à les conseiller de faire le bien, de fuir le mal et d’emprunter le droit chemin. Mardi 15 juin, il était au Souk D’jayjia, en ancienne médina. Il marchait lentement tout en distribuant aux marchands et aux passants des feuilles noircies par des paroles portant atteintes aux valeurs sacrées du pays. Alertés, les éléments de la 1ère section judiciaire de la PJ de Casablanca-Anfa se sont dépêchés sur les lieux pour interpeller Mohamed. Lors de son interrogatoire, il a affirmé aux enquêteurs sa foi en ce qu’il a écrit sur les feuilles qu’il avait distribuées. Est-il membre de la Salafiya Jihadia ? Il a répondu négativement aux enquêteurs tout en expliquant n’avoir jamais joint les rangs d’un réseau islamiste. Quant au couteau qu’il portait sur lui, il a affirmé qu’il l’utilisait pour se protéger, car il dort à la belle étoile. Mohamed n’a pas rejeté ses pensées et ses croyances devant le tribunal qui l’a condamné à trois ans de prison ferme, assortis d’une amende de 1.000 dirhams.
Si l'Etat continue dans ce processus, il va falloir construire des centaines d'autres prisons. Le cas de cette personne est malheureusement tres courante. La pauvrete et le manque d'une education accessible pour tous, est de consequences illimitees. Cet article donne une image concrete du systeme judiciaire Marocain. Le double standard et l'indifference d'une grande partie des juges a deux sous.
Mais bon, restons Zen, pour eviter de tout casser. D'ailleurs, cele m'etonnera pas qu'il y ait un debordement du ras le bol de la societe. Esperons que le pire soit loin, sinon beaucoup de vies peuvent tomber.