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Le baril de poudre des prisons de Sao Paulo
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27 octobre 2006 22:37
LE MONDE | 27.10.06




Les familles y pensent désormais chaque dimanche, lors de la visite : le 14 mai, jour de la Fête des mères, la mutinerie s'est étendue rapidement dans 82 établissements pénitentiaires de l'Etat de Sao Paulo. Sur "ordre" de détenus se réclamant du PCC, le Premier commando de la capitale. Des centaines de parents se sont retrouvés otages des mutins, et l'ordre est passé par-dessus les murs des prisons : les complices du PCC à l'extérieur ont semé la terreur dans la ville de Sao Paulo, le coeur économique de l'Amérique du Sud.



Règlements de comptes, attaques de commissariats et de voitures de police, cocktails Molotov dans les bus, dont 299 ont brûlé : le bilan officiel fait état de 493 morts en une semaine, dont 163 dans la seule mégapole : 30 prisonniers, 33 policiers ou gardiens de prisons tués, les autres crimes, la majorité, restant inexpliqués.

"Je me souviens parfaitement du lundi 15 mai, raconte Joaquim, chauffeur de taxi, qui habite la banlieue d'Interlagos. Il n'y avait pratiquement aucun bus, je n'ai jamais autant travaillé, mais c'était dur de circuler."

Depuis les banlieues, théâtres principaux des violences, des rumeurs sont parvenues aux beaux quartiers. On y parlait de "bombes dans le métro, d'aéroports fermés, de banques attaquées". En fait, les bureaux et les commerces ont fermé, et l'avenue Paulista, siège du pouvoir économique, s'est vidée tandis que des embouteillages paralysaient la ville.

"Je n'aurais jamais imaginé ça à Sao Paulo, où je ne me sens pas en danger, contrairement à mes collègues de Rio de Janeiro, confie un homme d'affaires. Les rumeurs, amplifiées par Internet, ont semé la panique. On s'est rendu compte que le PCC existait vraiment."

Ce n'était pourtant pas la première démonstration de force du gang. En février 2001, une "mégarébellion" dans 29 prisons, coordonnée grâce aux téléphones portables, révélait le pouvoir de l'organisation, que les autorités assuraient pourtant jusqu'au mois de mai avoir maîtrisée.

Le PCC serait apparu en 1993 pour venger le massacre de la maison d'arrêt du Carandiru, alors la plus grande prison d'Amérique du Sud, connue pour ses conditions inhumaines d'enfermement et ses violentes rébellions. En octobre 1992, l'intervention du bataillon de choc de la police militaire, entré pour mater une mutinerie de 10 000 condamnés, avait provoqué, selon des chiffres officiels, la mort de 111 prisonniers.

Cette répression sanglante, à la suite de laquelle aucun policier n'a été puni et qui n'a donné lieu à l'indemnisation que de huit familles, au désespoir des défenseurs des droits de l'homme, est évoquée par le médecin de la prison, Drauzio Varella, dont le récit, vendu à plus de 500 000 exemplaires et traduit en plusieurs langues, a inspiré le film d'Hector Babenco Carandiru, présenté à Cannes en 2003.

Symbole du terrible quotidien des prisons du Brésil, le Carandiru, construit en 1956, a été rasé en décembre 2002. La destruction des pavillons s'est faite en présence de centaines d'invités du gouverneur de l'époque, Geraldo Alckmin, le candidat du Parti social-démocrate brésilien (PSDB, opposition), qui disputera, dimanche 29 octobre, le second tour de l'élection présidentielle contre le chef de l'Etat sortant, Luiz Inacio Lula da Silva.

Le jour de la destruction Geraldo Alckmin, un homme aux gestes pourtant contenus, avait sauté de joie dans les bras de ses collaborateurs : au Brésil, les gouverneurs sont les responsables de l'administration pénitentiaire. "Une nouvelle ère débute dans le système pénitentiaire de Sao Paulo", assurait-il. L'euphorie a été de courte durée. Même si M. Alckmin a déclaré, pendant la campagne électorale, "avoir fait sa part", l'efficacité de sa politique carcérale a été sérieusement ébranlée par les émeutes de mai.

Le PSDB gouverne l'Etat de Sao Paulo depuis 1994. Sa lutte contre l'insécurité est marquée par une politique d'incarcération systématique, qui a porté en douze ans le nombre des prisons de 60 à 144, alors que la population carcérale triplait, passant de 55 000 à 143 500 personnes, soit 40 % des détenus du Brésil. "Les autorités de Sao Paulo ont créé un monstre, affirme la sociologue Julita Lemgruber, de l'université Candido Mendes, à Rio de Janeiro. Plus il y a de prisonniers, plus les problèmes liés à l'enfermement, la sécurité, l'assistance juridique, la santé et l'hygiène se démultiplient." Malgré cette fièvre constructrice, la surpopulation carcérale persiste dans l'Etat de Sao Paulo : il manque 25 000 places, alors que 700 nouvelles personnes sont arrêtées chaque mois.

Le PCC prétend combattre "l'oppression dans les prisons". Le gang s'est même doté d'une "charte", qui n'admet pas, entre autres, "le mensonge, la trahison, l'égoïsme", mais valorise "la vérité et la solidarité, un pour tous et tous pour un". L'organisation revendique de meilleures conditions de détention, mais elle est soupçonnée de se battre surtout pour protéger, dans et hors les murs, ses trafics en tout genre, de drogue notamment.

Rares sont les fondateurs du PCC qui ont survécu. On en connaît surtout un, "Marcola", aujourd'hui présenté comme le chef du gang, distingué et charismatique. Il a été condamné pour attaques de banques et est détenu dans le quartier de haute sécurité de Presidente-Bernardes, à 800 km de Sao Paulo. Il a destitué son prédécesseur, "Geleiao", et les autres chefs ont été assassinés en prison.

"Les événements de mai sont de la responsabilité de l'Etat de Sao Paulo, qui avait perdu son autorité dans les prisons, affirme le nouveau responsable de l'administration pénitentiaire, Antonio Ferreira Pinto. Il y avait une inversion de valeurs, des concessions injustifiées aux prisonniers. L'Etat était devenu otage du chantage des factions criminelles." Cet ancien procureur a été nommé en pleine tourmente et devrait rester en poste jusqu'au 1er janvier 2007, quand le gouverneur élu, José Serra (PSDCool, prendra ses fonctions. Son prédécesseur, Nagashi Furukawa, était assez respecté pour avoir "humanisé" la vie des prisonniers.

M. Ferreira Pinto explique le calme actuel par "le retour de la sécurité et de la discipline" et le maintien à l'isolement des leaders du PCC. Les chefs de l'organisation sont soumis au "RDD", le régime disciplinaire différencié, instauré par l'ancien gouverneur Geraldo Alckmin, que le PCC exècre. S'il n'est pas en mesure de promettre que de nouvelles attaques sont impossibles, M. Ferreira Pinto assure que "le système est sous contrôle", la réputation du PCC étant "exagérée et glamourisée" par les médias.

Y a-t-il eu accord avec le PCC pour faire cesser les attaques, comme le dit la presse ? Tout porte à le croire. Ainsi, aucun membre du PCC n'a été transféré dans la prison fédérale ultramoderne de Catanduvas (Etat du Parana), inaugurée en juin, et destinée à isoler les chefs de gang. Le PCC a d'ailleurs intérêt au retour au calme, qui sert ses "affaires" : elles rapporteraient près de 270 000 euros par mois, consacrés principalement à l'évasion des "frères".


"L'isolement total est une boucherie humaine, de quoi devenir fou", accuse Ivan Barbosa, ancien inspecteur de police arrêté pour contrebande et maintenu en RDD pendant 153 jours à la prison d'Avaré (à 360 km de Sao Paulo). "Dans une cellule de 6 m2, sans communiquer ni voir le soleil, j'ai perdu 30 kg", raconte cet homme au crâne rasé, qui voudrait désormais aider des détenus à se réinsérer. Son ONG, Nova Ordem ("Ordre nouveau"winking smiley, est soupçonnée d'être une vitrine du PCC. Selon Ivan Barbosa, ces accusations "mensongères" menacent l'association, dont les bureaux, à Bela Vista, sont aujourd'hui déserts.


La plupart des prisons de Sao Paulo sont sous la coupe du PCC. Les autres sont aux mains du Troisième commando de la capitale (TCC), du Commando révolutionnaire brésilien de la capitale (CRBC) ou de la Secte satanique : il y aurait une demi-douzaine d'organisations au total. Les gardiens évitent de mélanger les différents membres des gangs - appelés les "baptisés" -, car appartenir à une bande rivale peut être fatal. C'est l'un des rares moments où les condamnés avouent leur appartenance.

"J'ai animé un atelier vidéo pendant sept mois au Carandiru, témoigne Paulo Sacramento, réalisateur du documentaire Le Prisonnier de la grille en fer, une série d'autoportraits de détenus. J'ai cherché l'assentiment du PCC, mais il est resté invisible, si ce n'est par certains indices, comme des détenus chaussés de tennis dernier cri."

Le travail ou les études sont rares en prison. La récidive est estimée à 60 %. Pour éviter la surchauffe des esprits désoeuvrés, et faute de surveillants, les détenus ne sont pas confinés, ils vont et viennent dans leur pavillon. A la prison Adriano Marey, près de l'aéroport international de Guarulhos, 200 gardiens veillent sur 2 160 condamnés, dans des locaux conçus pour 1 000 prisonniers. Faute d'avoir accompagné le rythme des constructions, il manque 30 000 gardiens. En 2005, on comptait 4,9 détenus par surveillant, contre 2,17 en 1994.

A Guarulhos, les portes sont ouvertes à 8 heures. Les prisonniers nettoient leur cellule, préparent le petit déjeuner. Ils sont enfermés à midi, pour recevoir les "marmitex", les repas livrés de l'extérieur. Ensuite, ils sont libres jusqu'à 17 heures, quand les gardiens, non armés, procèdent à l'appel. La nuit, les fenêtres reflètent la lumière bleutée des téléviseurs allumés. En juin, peu avant la Coupe du monde, l'administration pénitentiaire avait autorisé des télés à écran plat, "du moment que les prisonniers les payaient". Vingt-trois postes sont entrés au pénitencier d'Avaré. "C'est mieux pour les fouilles, on n'est pas obligé de démonter de grosses télés qui servent de cachette aux portables, drogue, lames ou fusils", ironise Antonio Ferreira, secrétaire général du syndicat des gardiens (Sifuspesp).

Les contacts avec l'extérieur, dans des prisons dépourvues de parloirs, sont facilités par des privilèges. Les gardiens se disent débordés par les contrôles des colis Chronopost destinés aux prisonniers, des 4 000 à 6 000 "marmitex" entrant chaque jour à Guarulhos, des avocats véreux ou des visites "intimes" du dimanche, qui arrivent avec les "jumbos", les sacs de supermarché. Les autorités comptent généraliser les détecteurs de métaux à l'entrée des prisons.

"La discipline et l'ordre ne sont pas de notre ressort, assure le président du syndicat des gardiens, Joao Machado. Notre mission est d'empêcher les évasions." Les gardiens n'entrent d'ailleurs pas dans les cellules, sauf pour des fouilles accompagnées de la police, ce qui explique l'existence de tunnels, creusés sans que l'accumulation de terre n'attire l'attention. "Dans le complexe d'Hortolandia, on a découvert dix-sept tunnels depuis mai, et dix détenus ont fui, raconte M. Machado. Les tunnels étaient étayés par des poutres, avec l'électricité ; j'y tenais debout."

"La vérité, c'est que la justice enferme puis abandonne les prisonniers dans des dépôts, souvent inhumains, où les hommes sont traités comme des animaux", se désole le Père Valdir, depuis des années au service de la Pastorale carcérale, liée à l'Eglise catholique. Grâce à lui, des détenus ont retrouvé le goût de réagir, comme "F.W." condamné pour homicide et attaque à main armée à vingt-quatre ans d'enfermement, qui a passé douze ans derrière les barreaux.

En liberté conditionnelle, "F.W." travaille dans un magasin d'animaux où il toilette les chiens. Puis il se consacre à son "don", découvert au pavillon 9 du Carandiru : la musique. Avec deux compagnons, il avait formé le groupe Comunidade Carceraria. Ils ont été autorisés à enregistrer un premier CD de rap en 2001. Ils vont bientôt enregistrer leur deuxième disque, en plus de concerts dans des fêtes de famille ou des prisons.

"F.W." se dit prêt à "tout faire" pour ne jamais revenir en prison. "C'était trop dur, le système nous change et nous broie, confie-t-il après vingt mois de liberté. Pour résister, on ne peut compter que sur soi, car des gens cassés par la prison peuvent couler pour toujours." "F.W." prétend ne jamais être entré au PCC, mais admet que l'organisation a "encouragé" sa musique.

Depuis la rébellion de mai, les autorités de Sao Paulo s'efforcent d'espionner efficacement le PCC. La police fédérale assure avoir établi le lien entre l'organisation et des attaques de banques faites par des tunnels, comme celle d'août 2005 à la Banque centrale de Fortaleza (Nord-Est) et celle déjouée à Porto Alegre (Sud) en septembre 2006. Les tentatives pour séparer les membres du PCC ont permis au gang de se ramifier dans d'autres pénitenciers du Brésil. Selon l'Observatoire national des prisons, ce "parti du crime" compterait plus de 100 000 recrues parmi les 361 000 prisonniers du pays.

"Notre bourgeoisie est médiocre, la minorité blanche très perverse", a déclaré à la surprise générale le gouverneur intérimaire de l'Etat de Sao Paulo, lors des violences de mai. Claudio Lembo, membre du Parti du front libéral, pourtant très à droite, estime que "la bourgeoisie va devoir ouvrir sa bourse pour contenir la misère sociale du Brésil" et éviter l'explosion des prisons.



Annie Gasnier
 
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