Entre un actionnaire visiblement trop gourmand, qui ponctionne 75 % des bénéfices et lui vend l’énergie à des prix très élevés, et des besoins de financement pour moderniser son réseau, on comprend qu’ERDF (Electricité Réseau Distribution France) ne puisse que plaider pour une hausse du TURPE (Tarifs d'Utilisation des Réseaux Publics d'Electricité).
Espérons cependant que la Commission de régulation de l’énergie ne soit pas dupe et qu’elle fasse en sorte que le TURPE ne serve pas à financer l’achat par EDF de… British Energy.
Selon une tradition maintenant bien établie, c'est en plein milieu de l'été que fut annoncée la hausse annuelle des tarifs réglementés[1] d'EDF. Certes, en cette période d'inflation grandissante, cette hausse de 2 % apparaissait bien modeste pour les clients particuliers (mais nettement plus conséquente pour les clients industriels aux tarifs dit « jaune » et « vert » pour qui les prix ont augmenté de 6 % et 8 % respectivement)[2].
Cependant, cette hausse pourrait en cacher une autre : dans une déclaration publiée dans La Tribune du 27 août dernier Michel Francony, président du Directoire d'ERDF[3] demandait en effet une hausse de 15 % du tarif de distribution de l'électricité ou TURPE[4] (c'est-à-dire de la part correspondant à l'acheminement de l'électricité sur le réseau basse et moyenne tension d'EDF). Par ailleurs, RTE (une autre filiale d'EDF, qui gère les infrastructures en haute et très haute tension) a fait une demande de hausse de ses propres tarifs. ERDF qui « achète » à RTE son accès au réseau devrait répercuter cette hausse complémentaire et au total les clients particuliers connectés au réseau d'ERDF subiraient une hausse de prix de 20 % de leur tarif d'acheminement de l'électricité (TURPE).
« Subiraient », le mot n'est pas complètement adapté. Car, en effet, les clients comme vous et moi ne payons pas directement le TURPE à ERDF, nous payons notre fournisseur (EDF pour la plupart) qui doit, en tant que fournisseur, payer ERDF. Au total EDF devrait ainsi payer 20 % plus cher l'acheminement de l'électricité à sa filiale à 100 % ERDF, cela ne nous concernerait donc pas directement.
Mais évidemment, tout cela n'est pas qu'un jeu entre EDF la maison-mère et ERDF la filiale. Et d'ailleurs, c'est M. Francony lui-même qui annonce la couleur et déclare dans le même article que « ce n'est pas aux producteurs et aux fournisseurs de prendre sur leur marge pour financer la modernisation et le développement du réseau. Je plaide donc pour que la future hausse du Turpe soit répercutée dans le tarif réglementé ». Tout est dit : le tarif réglementé que vous et moi payons doit être augmenté pour couvrir la hausse du TURPE. Sachant que le TURPE représente une bonne moitié du prix final de l'électricité, la hausse résultante serait donc de 10 %.
Alors, pourquoi une telle demande de hausse du TURPE ? Deux éléments principaux sont avancés : la hausse du coût de compensation des « pertes » et les besoins d’investissements pour moderniser les réseaux et améliorer la qualité de fourniture.
La question des pertes
Le réseau d’ERDF, comme tous les réseaux électriques, subit des pertes techniques qui résultent d’un phénomène physique (effet Joule) et sont donc largement inévitables. En l’occurrence, les pertes d’ERDF se montent à 22 TWh[5], soit peu ou prou l’équivalent de la production de deux tranches nucléaires. Or, d’après M. Francony, ERDF serait obligé par Bruxelles d’acheter ces pertes sur les marchés de gros, au prix de 90 €/MWh contre 30 €/MWh il y a trois ans. Le coût de compensation des pertes d’ERDF aurait ainsi augmenté d'1,3 milliard d’euros par an. C’est simple, c’est difficilement contestable, et cela semble légitimer une hausse du TURPE.
Seulement voilà, ce n’est pas si simple que M. Francony veut le laisser entendre.
Tout d’abord, la hausse des prix de marché de gros n’est pas si importante que cela : les prix de gros se situaient plutôt autour de 40 €/MWh en 2005, et ils ont d’ailleurs fini l’année 2005 à plus de 50 €/MWh. Ensuite, il n’est pas vrai qu’ERDF était obligé par Bruxelles de se fournir sur les marchés de gros : les quelques distributeurs indépendants qui existent encore en France se fournissent d’ailleurs directement auprès d’EDF à un tarif nettement plus avantageux sans que Bruxelles n’ait sourcillé.
Mais l’essentiel n’est pas là, l’essentiel c’est qu’ERDF achète son énergie sur le marché de gros et que c’est in fine EDF, son actionnaire, qui fournit cette même énergie sur le marché de gros : EDF détient en effet près de 90 % de la production en France ; c’est donc elle qui vend, sous le voile du marché de gros, à ERDF.
quand le sage designe la lune, l'idiot regarde le doigt (lue sur le forum)
- ERDF voit sa facture d’énergie (pour compenser les pertes réseau) augmenter d'1,3 milliard… essentiellement au bénéfice de son actionnaire EDF ;
- ERDF demande donc une augmentation de ses tarifs TURPE et… une hausse parallèle des tarifs réglementés d’EDF pour « compenser » la hausse du TURPE.
Par cette pratique d’habile bonneteur, EDF serait donc gagnante deux fois (elle vendrait plus cher son énergie à sa filiale et obtiendrait une hausse des prix réglementés) et ne serait perdante qu’une seule fois (elle subirait une hausse du TURPE). Comme EDF produit à partir de centrales nucléaires, dont les coûts n’ont pas sensiblement augmenté en trois ans, on comprend que ce jeu lui soit hautement profitable.
Où vont les bénéfices d’ERDF ?
Le second argument invoqué pour légitimer la hausse du TURPE est le besoin d’investissement. Et là, M. Francony ne fait pas dans la dentelle : il reconnaît explicitement que la qualité de service s’est dégradée (72 minutes de coupure en moyenne) au point qu’il n’a pas respecté les obligations résultant du contrat de service public signé avec l’Etat (qui prévoit une durée moyenne inférieure à 60 minutes)… pour conclure qu’on doit donc augmenter le TURPE.
Même si le procédé est choquant (dans ma carrière, je n’ai jamais vu quelqu’un demander une augmentation de salaire au motif qu’il n’avait pas atteint ses objectifs contractuels), on ne peut que se féliciter qu’ERDF prenne conscience de la dégradation de la qualité de service et cherche à agir pour l’améliorer.
On peut cependant s’interroger sur les montants pharaoniques qui sont prévus : 10 milliards d’euros, soit 450 €/client, pour diminuer de 12 minutes le temps moyen de coupure annuel, ça fait quand même cher de la minute : à ce prix-là je veux bien qu’on me coupe l’électricité 120 minutes par an et qu’on me donne, en contrepartie, 4 500 € !
Mais il y a plus troublant : si ERDF a des besoins de financement aussi importants, on devrait s’attendre à ce que son actionnaire, c’est-à-dire EDF, soit soucieux de lui assurer des capacités de financement suffisantes. Or, EDF a ponctionné 75 % des bénéfices 2007 d’ERDF. De deux choses l’une : ou EDF avait conscience des besoins de financement d’ERDF et elle a eu une attitude guère responsable, soit, hypothèse qui me paraît plus probable, elle n’avait pas conscience des besoins d’investissement d’ERDF et on peut alors se demander légitimement si cela ne veut pas dire que M. Francony a sur-estimé très largement ses besoins d’investissements.
En tout état de cause, le fait qu’EDF se verse 75 % des dividendes d’ERDF n’est pas sans surprendre quand on constate, à l’inverse, qu’EDF ne remonte qu’une très faible part – de l’ordre de 15 % – des bénéfices distribuables de ses filiales étrangères. Cela revient en quelque sorte à ponctionner les clients du monopole en France pour financer le développement international.
Entre un actionnaire visiblement trop gourmand, qui ponctionne 75 % des bénéfices et lui vend l’énergie à des prix très élevés, et des besoins de financement pour moderniser son réseau, on comprend qu’ERDF ne puisse que plaider pour une hausse du TURPE.
Espérons cependant que la Commission de régulation de l’énergie, ne soit pas dupe et qu’elle fasse en sorte que le TURPE ne serve pas à financer l’achat par EDF de… British Energy.
[1] Le tarif dit « réglementé » est le tarif « EDF » que nous payons vous et moi en tant que client final, ce tarif global comprend la production, le transport, la distribution et la fourniture de l’électricité.