M. Abbas se présente en héritier d'Arafat devant les Palestiniens LE MONDE | 07.01.05 | 14h47 Le candidat du Fatah est le grand favori de l'élection à la présidence de l'Autorité palestinienne, dimanche 9 janvier. Se présentant comme le continuateur de l'action du fondateur de l'OLP, il devrait s'imposer dans ce scrutin dont la seule inconnue est le taux de participation. Jérusalem de notre correspondant
Dimanche 9 janvier, un nouveau président de l'Autorité palestinienne doit être désigné pour remplacer Yasser Arafat, décédé en France le 11 novembre 2004. Le délai de soixante jours prévu par la Loi fondamentale palestinienne, qui tient lieu de Constitution provisoire en cas de vacance du pouvoir, devrait donc être respecté en dépit des circonstances particulières qui président à l'organisation de la première élection à l'échelle de tous les territoires palestiniens depuis 1996.
Ces territoires, évacués en partie entre 1994 et 2000, ont en effet été partiellement réoccupés par l'armée israélienne à partir de 2002. Les autorités israéliennes ont assuré qu'elles s'efforceraient de faciliter les opérations de vote en réduisant la présence de l'armée aux abords des principales agglomérations palestiniennes et en assouplissant les conditions de circulation, très difficiles depuis le début de l'Intifada, en septembre 2000.
Compte tenu de la décision du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) de boycotter ce scrutin, Mahmoud Abbas, le candidat désigné par le Fatah, principal mouvement de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), semble très bien placé pour l'emporter. Le scrutin devrait cependant être plus ouvert que lors de l'élection de Yasser Arafat, il y a huit ans, compte tenu de la campagne énergique menée par un candidat indépendant responsable d'une importante organisation non gouvernementale de santé, Moustapha Barghouti, un ancien responsable du Parti communiste palestinien qui a reçu le soutien du Front populaire de libération de la Palestine (PPLP).
Le poids écrasant du Fatah dans les institutions palestiniennes assure cependant un avantage certain à M. Abbas. Ce dernier a également pour lui la légitimité que lui confère son titre de responsable de l'OLP, à la tête de laquelle il a remplacé Yasser Arafat quelques heures seulement après sa mort.
Pendant les deux semaines de la courte campagne officielle, le candidat du Fatah s'est rendu dans les principales agglomérations de Gaza et de Cisjordanie. Par précaution, il a cependant choisi d'éviter Jérusalem-Est et devait se contenter, vendredi 7 janvier, de la visite d'une localité palestinienne située dans la banlieue nord de la ville.
PROGRAMME CLASSIQUE
Connu pour sa condamnation publique de la militarisation de l'Intifada, en 2002, il n'a cessé, au cours de ces deux semaines, de défendre cette position longtemps minoritaire dans l'opinion palestinienne. Alors que le nombre des attentats-suicides a considérablement diminué au cours des derniers mois, M. Abbas a critiqué, lors de sa visite à Gaza, les tirs de roquettes artisanales dirigés contre les colonies ou le territoire israéliens, qui ont suscité de sanglantes répliques de Tsahal au cours des derniers jours. Ces tirs sont, pour la majorité d'entre eux, le fait de l'aile militaire du Hamas.
M. Abbas a pris soin de placer sa campagne dans la continuité de l'action de Yasser Arafat, qui apparaît sur la plupart des affiches placardées à Gaza et en Cisjordanie. Il a défendu avec constance la ligne officielle de l'OLP sur le conflit israélo-palestinien : la création d'un Etat dans les frontières de 1967, c'est-à-dire à Gaza et en Cisjordanie débarrassés des colonies israéliennes, avec Jérusalem-Est pour capitale, ainsi que "le droit au retour des réfugiés" et la libération des prisonniers palestiniens. A ce programme classique, M. Abbas a ajouté le respect de la loi, alors que de nombreuses agglomérations palestiniennes sont livrées à elles-mêmes depuis l'Intifada.
Premier successeur de l'icône du mouvement national palestinien, M. Abbas est confronté à un défi redoutable : la construction d'une légitimité à partir de bases fragiles. "Il vaudrait mieux qu'il remporte 60 % des voix avec une forte participation que 80 % des suffrages avec une participation médiocre", estime le ministre sans portefeuille Qaddoura Farès, par ailleurs cadre du Fatah.
Homme de l'ombre, Mahmoud Abbas a refusé, pendant longtemps, d'occuper des postes publics. Il ne dispose pas non plus de réseaux solides, même s'il peut compter actuellement sur le soutien des principaux hommes d'affaires palestiniens ainsi que sur celui de Mohammed Dahlan, l'ancien chef de la Sécurité préventive (contre-terrorisme) de Gaza. Ce dernier dispose sur place de réseaux mais son ambition politique lui vaut également de solides inimitiés à l'intérieur du Fatah.
La conquête du pouvoir passe également par le contrôle, ou du moins la bienveillance, du comité central du Fatah, auquel il s'était violemment heurté pendant une brève expérience au poste de premier ministre, en 2003. "On ne pouvait pas dire "non" à Arafat, mais on pourra dire "non" à son successeur", estime un ministre de l'Autorité palestinienne.
"Après l'élection, il faudra payer la facture", c'est-à-dire tenir les engagements, estime le directeur de campagne de M. Abbas, Mohammed Chtayyeh. Autrement dit, les choses sérieuses, si les urnes lui sont favorables, commenceront pour M. Abbas au lendemain de l'élection.
Moustapha Barghouti, seul véritable adversaire LE MONDE | 07.01.05 | 14h47 Les cinq autres candidats souffrent d'un fort déficit de notoriété. Jérusalem de notre correspondante
Dans l'euphorie des premiers jours, ils étaient douze, dont une femme. Finalement, seuls dix hommes ont été officiellement enregistrés et, à la veille du scrutin, ils ne sont plus que sept. Mais en dix jours, il est peu probable que l'ensemble des Palestiniens appelés à voter dimanche aient eu l'occasion de croiser, d'entendre ou, même, d'identifier les sept candidats qui briguent la succession de Yasser Arafat.
Au moins deux d'entre eux, l'avocat Abdelkarim Choubeir et l'islamiste indépendant Sayyed Barakah, ont eu toutes les peines du monde à obtenir les autorisations israéliennes pour sortir de la bande de Gaza, dont ils sont originaires, et rencontrer leurs compatriotes dans les autres territoires occupés. Ils ont finalement pu se rendre en Cisjordanie, accompagnés d'un seul de leurs assistants.
Un autre candidat, l'universitaire Abdelhalim Al-Ashqar, a été d'emblée exclu de la campagne. Soupçonné d'avoir collecté des fonds pour le Mouvement de la résistance islamique (Hamas), ce candidat indépendant est placé en résidence surveillée aux Etats-Unis depuis le mois d'août. Au-delà de ces cas extrêmes, les autres "petits" candidats ont aussi souffert d'un manque réel de visibilité.
Les affiches électorales du grand favori, Mahmoud Abbas, le candidat du Fatah, écrasent en taille et en nombre celles de ses adversaires. Seul le visage de Moustapha Barghouti, l'influent responsable d'une des plus importantes organisations non gouvernementales palestiniennes, qui se présente en candidat indépendant, rivalise avec celui du candidat officiel dans certaines rues de Cisjordanie. Les autres, handicapés par un manque de notoriété et des moyens financiers sans commune mesure avec les deux meneurs, devraient, malgré leur opiniâtreté, se partager tout juste 5 % des voix, selon un sondage rendu public une semaine avant le scrutin.
FORMATIONS HISTORIQUES
Deux candidats représentent pourtant des formations de gauche historiques, opposées au parti dominant du Fatah. Tayssir Khaled, 63 ans, est l'un des principaux dirigeants du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP). Originaire de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie, il est revenu d'exil après la création de l'Autorité palestinienne, en 1994. Il est membre du comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) depuis 1991. Sa formation, hostile au processus de paix d'Oslo, a boycotté les élections générales de 1996. A l'époque, seuls deux candidats - Yasser Arafat et une personnalité indépendante, Samiha Khalil - avaient brigué le poste de président. Le FDLP reconnaît, cette fois, avoir investi M. Khaled dans la course à la présidence, faute d'avoir pu trouver un candidat commun avec un autre parti de gauche. L'ex-Parti communiste, rebaptisé Parti du peuple palestinien, est emmené par Bassam Al-Salhi, originaire du camp de réfugiés d'Al-Amari, proche de Ramallah. A 45 ans, le secrétaire général de cette formation est le plus jeune des candidats en lice. Sa participation à la première Intifada, puis son opposition aux négociations de Camp David, lui ont valu d'être emprisonné à plusieurs reprises, à la fois par les Israéliens et par les Palestiniens. Durant la campagne, il a été brièvement arrêté par la police israélienne pour ne pas avoir demandé l'autorisation de tenir une réunion électorale à Jérusalem-Est.
En début de semaine, il a exprimé publiquement la rancœur des petites formations à l'égard des deux grosses machines électorales que sont le Fatah de M. Abbas et, dans une moindre mesure, le mouvement de Moustapha Barghouti, par ailleurs soutenu par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une autre formation opposée aux accords d'Oslo, ainsi que par Haidar Abdel Shafi, une figure historique et respectée de la gauche palestinienne. S'en prenant nommément à M. Barghouti, ancien membre du Parti communiste, M. Al-Salhi a demandé à la Commission centrale électorale palestinienne de mener une enquête sur l'origine des fonds dépensés par son adversaire durant la campagne.
"La campagne a fait apparaître un appétit de démocratie, avec l'espoir de sortir de l'impasse" LE MONDE | 07.01.05 | 14h47 Michel Rocard, chef de la mission d'observation électorale de l'UE. Vous êtes sur place depuis trois semaines, à la tête d'une délégation d'observateurs européens. comment se présente l'élection présidentielle palestinienne ?
Elle semble ne pas mal se présenter. La Commission électorale centrale palestinienne a incontestablement fait du bon travail. Elle est professionnelle, bien équipée, et elle a fait la preuve de son indépendance au moment de la constitution des listes électorales. Côté israélien, il y a également une volonté manifeste de faire en sorte que tout se passe bien et de faciliter les déplacements, même si l'armée a pris conscience - manifestement un peu tard - de difficultés matérielles, telles que des routes coupées par des tranchées ou par des blocs de béton, qu'elle ne pourra pas supprimer à temps. L'armée a bien compris l'analyse du premier ministre, Ariel Sharon, selon laquelle Israël a tout à gagner si cette élection se passe bien. Ce message est passé, mais comme la chaîne de commandement de cette armée est très décentralisée et qu'une marge d'appréciation est laissée aux commandants de secteur, il est possible, ponctuellement, que des questions de sécurité l'emportent sur la liberté de mouvement des électeurs.
Le ministre de la défense israélien, Shaul Mofaz, a annoncé que, pendant soixante-douze heures, l'armée se retirerait des positions qu'elle peut occuper dans certaines villes palestiniennes. Pensez-vous que cette consigne sera appliquée ?
J'ai pu m'entretenir avec les conseillers de M. Sharon, avec le ministre israélien des affaires étrangères, Sylvan Shalom, et avec les généraux concernés. Cela devrait être effectif. L'idéal aurait été, en fait, une coopération au niveau local entre l'armée et les responsables palestiniens des opérations électorales, mais je crains que cela ne soit pas possible partout.
Quel jugement portez-vous sur cette courte campagne électorale ? Certains candidats ont tout de même été arrêtés par les autorités israéliennes...
Ces incidents ont cessé depuis huit jours, peut-être à la suite de nos interventions. Les candidats palestiniens sont maintenant connus et il semble qu'ils n'ont plus eu de problèmes pour faire campagne. Il est sûr qu'avec les difficultés de circulation qui prévalent à Gaza comme en Cisjordanie, il faut parfois de la volonté pour se rendre à une réunion publique. Mais cette campagne a fait apparaître, chez les Palestiniens, un appétit de démocratie que je ne soupçonnais pas. Car aller voter, pour eux, ce n'est pas seulement choisir ou renvoyer un responsable, c'est aussi l'espoir de sortir de l'impasse en désignant un exécutif légitime, pour qu'un processus politique puisse renaître.
Que pensez-vous de l'imbrication entre le Fatah, le mouvement qui a désigné comme candidat Mahmoud Abbas, et l'Autorité palestinienne ? N'est-il pas forcément avantagé par rapport à ses concurrents ?
Nous avons fait passer des messages et il semble qu'ils ont été reçus. Les responsables palestiniens semblent avoir pris conscience qu'ils ne pouvaient pas faire n'importe quoi et que cette question sera encore plus sensible si des élections plus disputées, comme des élections législatives, sont organisées.
Redoutez-vous des incidents dans une zone particulière, à Gaza ou à Jérusalem-Est ?
Je crois plutôt que c'est le facteur humain - l'exaspération d'électeurs, l'attitude de soldats à un check-point - qui peut être à l'origine d'incidents violents. On verra à la fin des opérations de vote. Nous, les Européens, sommes très présents et depuis longtemps. Quarante-neuf observateurs européens sont déployés depuis trois semaines pour examiner les conditions du vote, les registres, le matériel électoral et son acheminement sur place, plus de 200 nouveaux viennent de nous rejoindre pour le jour du vote, et même s'il n'y a pas de coordination prévue avec les autres observateurs annoncés, les Nations unies devraient s'efforcer de faciliter le partage des tâches.