Nicolas Dessaux. : Quel est ton âge et quelle est ta profession ?
Ali. Abbas. Khafif. : Je me nomme Ali Abbas Khafif et suis né le 1.07.1950 à Bassora, en Irak. Je suis également titulaire du bachelor en physique et travaille dans les services sociaux en coordination avec le ministère des réfugiés et des déplacés. Quant à mes activités militantes, je suis président de la Fédération des conseils et des syndicats ouvriers d’Irak, FCOSI, à Bassora, après en avoir été celui des syndicats du secteur des services. J’ai aussi été élu récemment président du Congrès pour la libération de l’Irak, toujours à Bassora.
N. D. : Peux-tu me relater ton histoire personnelle et politique ?
A. A. K. : J’ai fondé en 1967 alors que j’étais lycéen, une organisation estudiantine et adhéré ,en 1968, au Parti communiste irakien. Notre organisation a rejoins par la suite l’Union générale des étudiants irakiens, qui était proche du Parti communiste irakien- Comité central (groupe pour la lutte armée). J’ai, à cette époque, été arrêté sans motif, par les autorités ba’athistes, et relâché au bout de 14 jours.
J’ai de nouveau été arrêté, en juillet 1969, pour destruction d’une voie ferrée à l’aide d’explosifs, bien que les services de sécurité savaient que je n’avais rien à voir avec cet attentat, comme m’en avait informé l’un de leurs officiers. Il m’avait déclaré que je faisais toutefois l’objet d’une arrestation préventive ( sans qu’ils sachent pour autant mon affiliation politique). Je fus libéré deux mois plus tard. J’ai ensuite été appréhendé, en 1970. La majorité des membres de notre parti étaient en détention, à ce moment-là. L’enquête n’ayant pas prouvé mon appartenance au groupe, je fus élargi, après 45 jours.
En 1974, les autorités ba’athistes m’ont emprisonnés en même temps que les dirigeants du parti, dont le quart étaient ceux de Bassora et du Sud du pays. Nous l’avions été sur dénonciation d’éléments infiltrés parmi nous. Le 30 novembre 1974, le tribunal révolutionnaire condamna, douze d’entre nous, dont moi-même, à la peine de mort par pendaison. Notre peine fut cependant communiée, en 1975, à l’emprisonnement à perpuité, grâce aux interventions de diverses organisations humanitaires internationales et du Parti communiste irakien, qui était l’allié du ba’ath. Nous avons finalement été libérés, à la fin de 1979.
En 1981, j’appris la formation, par d’anciens camarades, d’une organisation de gauche clandestine, opposée au régime, sous le nom de Front du salut. Mais la guerre irako-iranienne n’a pas laissé le temps à cette dernière de se développer et d’agir véritablement, surtout que le pouvoir s’était transformé en bête sauvage et avait interdit toute activité politique.
Nous avons par la suite été forcés de participer à la guerre Irak-Iran, où j’ai été fait prisonnier du début de 1988 jusqu’en 2000. L’ONU et le Comité internationale de la Croix-Rouge étaient intervenu pour demander notre libération. Mais sans succès. Au contraire, les Iraniens, nous affirmaient constamment que nous allions rester otages à vie, et que jamais plus nous ne reverrons l’Irak. Le pouvoir iranien avait également refusé aux ONG internationales d’entrer en contact avec nous et nous avait interdit d’écrire ne serais-ce qu’une lettre à nos familles.
Ils nous avaient aussi torturés physiquement et psychologiquement.
C’est dans des conditions très dures que nous avons vécus reclus, 13 années durant, dans les prisons iraniennes.
N. D. : Quand et comment as-tu rejoins le Parti communiste ouvrier d’Irak ?
A.A. K. : Je ne suis pas militant du Parti communiste ouvrier d’Irak, mais sympathisant de ce parti. Je participe d’ailleurs à la plupart de ses activités.
N. D. : Quelles sont tes activités militantes actuelles, à Bassora ?
A. A. K. : Mon objectif actuel peut se résumer à la constitution d’un front commun entre les forces laïques attachées à la paix et au progrès en vue de la restauration d’une société civile, à Bassora et en Irak.
Nous avons établi en ce sens des contacts avec certaines organisations, qui avaient pris connaissance de notre appel à la laïcité et à la liberté et qui voudraient adhérer au Congrès pour la libération de l’Irak. D’autres veulent contracter une alliance avec nous sur la base d’un front démocratique de libération. Nous militons aussi sur d’autres questions sensibles et urgentes.
Nous avons tenu trois congrès, qui ont eu à examiner des questions importantes sur la scène de Bassora.
L’un d’eux avait pour mot d’ordre non à la violence confessionnelle, et auquel avaient souscrit l’ensemble des forces politiques, y compris islamistes, de Bassora. Elles ont toutes participé à ce congrès, où avaient eu lieu de violents affrontements politiques. Les forces de sécurité, la garde nationale et le Conseil du gouvernorat avaient ouvertement été accusés, d’avoir failli à leur mission. Ce dernier avait pensé que notre congrès était dirigé contre lui et avait pour cela tenté de se dérober à ses responsabilités et ne pas réunir les conditions de sécurité adéquates
à la tenue des deux autres congrès, malgré nos démarches dans ce sens. Nous revendiquons pour notre part, une Constitution démocratique et non confessionnelle. Nous rejetons par conséquent la Constitution actuelle, élaborée par les forces d’occupation, car elle nourrit les divisions confessionnelles, ethniques et sexuelles. Nous avons aussi réclamé des logements pour les familles déplacées, dont l’organisation, l’Association de défense des familles déplacées, forte de plus de 30 000 adhérents, est membre du Congrès pour la libération de l’Irak. Nous avions mené et menons encore d’autres combats.
N. D. : Comment la FCOSI a-t-elle été fondée et s’est-elle développée, à Bassora ?
A. A. K. : A Bassora, la FCOSI a été fondée en novembre 2004. Son congrès constitutif avait été préparé par la mise sur pied de commissions dans plus de 42 lieux de travail, et qui ont travaillé pendant dix mois. Toutes ces commissions ont participé au congrès, en plus des invités et de dirigeants de la FCOSI, venus de Bagdad. Les élections, qui y ont eu lieu, se sont déroulées sous la supervision du responsable des affaires juridiques de la FCOSI et d’un huissier de justice de Bassora.
Notre Fédération syndicale est en progrès constant. La plupart de ces commissions se sont transformées en syndicats qui se sont imposés dans le monde du travail et ont réussi à restituer aux travailleurs certains droits, dont ceux-ci avaient été spoliés. Notre syndicat de l’électricité a par exemple déclenché plusieurs de grèves et obtenu la satisfaction d’importantes revendications pour les travailleurs de ce secteur. Nous avons également contraint le ministère de l’Electricité à envoyer, à Bassora, son inspecteur général adjoint pour rencontrer, dans notre siège et pendant quatre heures, les dirigeants de notre Fédération. J’ai exigé de lui le respect des libertés syndicales et n’ai pas manqué de lui exhiber les lettres de félicitation qui nous sont parvenues pour la détermination et la crédibilité de notre syndicat, en dépit de l’aide accordée par les autorités aux syndicats jaunes, qui ne bénéficient d’aucun soutien de la part des travailleurs. Je lui ai également déclaré que la FCOSI est le seul syndicat représentatif dans cette branche, comme dans d’autres.
N. D. : Ce sont les travailleurs de quels secteurs d’activité qui rejoignent la FCOSI, à Bassora ? Est-ce ceux du pétrole, du port... ?
A. A. K. : A Bassora, divers syndicats de branches sont membres de notre fédération : ceux de l’électricité, celui du secteur de la distribution, des centrales électriques de Najibya et de Khor, de la société des industries pétrochimiques, qui est un syndicat puissant, au point où nous envisageons de créer une organisation syndicale juste pour cette société, vu le grand nombre de centrales, dont elle dispose ; celui de la société du gaz du Sud, qui a entrepris de multiples actions de sensibilisation des salariés et de dénonciation des violations des droits de ces derniers par la direction ; celui du secteur des services qui est en expansion ; ceux des industries mécaniques et celui du bâtiment.
N. D. : Quelle est la situation actuelle des travailleurs et des syndicats à Bassora ?
A. A. K. : La classe ouvrière en Irak vit une situation très difficile. Cette situation se répercute sensiblement sur le mouvement syndical. Pour résumer, les travailleurs ont toujours peur de lutter contre le pouvoir, à cause de l’héritage de la dictature de Saddam Hussein. De surcroît, les autorités actuelles ont pris un ensemble de décisions qui entravent l’action syndicale. C’est ainsi que les ministères actuels de l’Electricité, de l’Industrie et des Transports menacent de licenciement les militants syndicaux et interdisent explicitement cette activité dans les entreprises du secteur public, en s’appuyant pour cela sur le code du travail de l’ancien régime. Ce code y interdit toute grève et punit ses auteurs par la peine de mort. Les autorités utilisent pour ce faire la loi n° 150 du précédent régime. Le plus scandaleux est la décision n° 8750 du 8.08.2005, édictée par Ibrahim El Djaafari, Premier ministre actuel. Cette décision considère comme illégaux tous les syndicats et toutes les institutions sociales, sans motif légal.
La FCOSI a transmis un mémorandum de protestation contre cette mesure au Premier ministre et à l’Assemblée nationale. Il faudrait ajouter la menace permante que font peser les milices armées islamistes sur les luttes syndicales. Ces milices, qui font fonction de gardes privées des directions d’entreprises, intimident et menacent les syndicalistes. A titre d’illustration, ces milices avaient menacé les travailleurs grévistes de la société du gaz du Sud de lancer contre eux une grenade, que l’un de ces mercenaires avait dégoupillée.
N. D. : Quelles sont les rapports actuels entre sunnites et chiites dans le sud de l’Irak ?
A. A. K. : Les forces de l’islam politique continuent d’imposer leur hégémonie à Bassora. Les agressions se poursuivent tout au long de l’année. L’explosion d’une mosquée chiite dans la région de Samarra, ne visait qu’à provoquer un nouveau bain de sang, en plus de l’incendie des des lieux sacrés des sunites et des chiistes, et l’assassinat de sunnites et de chiistes en train de prier.
Interview menée par Nicolas Dessaux Traduite de l’arabe par Hakim Arabdiou