Ce vendredi, le président français Emmanuel Macron a exposé les axes principaux du projet de loi contre le séparatisme. La majorité de ces dispositions sont centrées sur la gestion du culte musulman. Sauf que leurs principes ne se limitent pas à l’espace public et aux institutions religieuses, puisqu’ils proposent aussi un renforcement du contrôle de l’enseignement cultuel en dehors des circuits étatiques. Cette question a suscité les inquiétudes de certains chercheurs et acteurs associatifs, qui avertissent sur des dépassements susceptibles de porter atteinte aux libertés.
Au sein de la communauté musulmane, les réactions ne sont pas pour autant accordées. En effet, le Conseil du culte des musulmans de France (CFCM) n’a pas ouvertement exprimé d’éventuelles réserves. Ce vendredi, les responsables religieux ont seulement fait savoir qu’ils allaient recevoir un texte de l’exécutif contre les «séparatismes». Contactés par Yabiladi, les représentants de l’institution musulmane sont restés injoignables.
Directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Jawad Bachar a exprimé pour sa part son désarroi. Contacté par Yabiladi, il considère qu’«il n’y a pas d’ambiguïté» sur le fait que ce texte «vise ouvertement les musulmans» du pays. «Dans son essence, il menace la liberté de conscience» en matière d’éducation notamment, ce que le militant estime «encore plus inquiétant». «Jusque-là, nous avons souvent dénoncé des lois liberticides. Mais ce texte constitue clairement une islamophobie d’Etat», a-t-il dénoncé sans ambages.
«Le discours de Macron encourage l’entrisme systématique dans la gestion du culte et des associations cultuelles, qui proposent aujourd’hui des cours d’arabe ou d’éducation islamique (…) L’éducation à domicile sera quasiment interdite, sauf pour des raisons sanitaires, ce qui porte un coup aux libertés les plus basiques.»
Une primauté de la surveillance aux dépends de la justice
Sociologue et réalisatrice de documentaires, auteure de «Derrière le niqab» (éd. Armand Colin), la sociologue Agnès De Féo abonde dans le même sens. «Si jamais c’est encore pour se défouler sur les musulmans, c’est catastrophique», a-t-elle déclaré à franceinfo. La chercheuse estime que le séparatisme est d’abord «une création des gouvernements successifs, qui ont légiféré contre le voile, à partir de 2004». Agnès De Féo a souligné d’ailleurs que «cette loi a exclu les jeunes filles voilées de l’école, sous prétexte qu’elles avaient un signe ostentatoire de religion», ce qui a poussé à la création des écoles privées «pour répondre à cela».
S'appuyant sur les statistiques du CCIF, Jawad Bachar déclare pour sa part que «60% des actes islamophobes émanent des services publics et des institutions». «Pour nous, c’est cela, le véritable séparatisme», affirme-t-il.
Dans ce sens, Agnès De Féo a souligné auprès de franceinfo que «le président n’a jamais parlé du problème de l’islamophobie, publique, dans les médias, chez des députés ou des élus». Notant de «nombreux amalgames» dans les propositions d’Emmanuel Macron, elle a par ailleurs reproché au président d’avoir «fait le jeu de la paranoïa française contre toutes ces manifestations qui sont inoffensives au départ, comme la barbe ou le port du voile, qui vont déchainer les passions contre des individus qui n’ont rien demandé».
Pour Jawad Bachar, renforcer les prérogatives des préfets au détriment des juges, dans ce contexte, constitue «une offensive administrative sans précédent», qui appuie une démarche sécuritaire «assumée» et affaiblit le rôle des magistrats en tant que garants de l’égalité, des libertés et de l’accès à la justice. Il alerte sur ces principes qui risquent d’«accentuer le contrôle et la surveillance sur les citoyens de confession musulmane et notamment les activités associatives, à l’appréciation de la police», avec peu de possibilités de recours.
Cet entrisme a «déjà existé», selon Jawad Bachar. Il se dit inquiet de le voir «formalisé» par un nouveau projet de loi «discriminatoire». Le militant remet cette évolution de traitement dans le contexte de l’état d’urgence de 2015, au lendemain des attentats de Paris, lorsque les prérogatives des préfets ont déjà été renforcée. Avec ce texte, il craint que la situation d’exception devienne «la normalité». Dans un contexte plus récent, il s’agit également pour Jawad Bachar d’une continuité du discours du président de la république au sujet de «la société de la vigilance».
«Lorsqu’on analyse le jargon d’Emmanuel Macron sur la gestion de l’islam, on observe que ces démarches se sont effectuées étape par étape, en fonction de l’actualité», estime-t-il, reprochant au chef d’Etat de s’inscrire dans «une logique d’extrême droite». Il questionne également l’objectif de ce projet de loi, «à un peu plus d’un an des élections présidentielles», rappelant qu’il s’agit ici d’une démarche menée d’abord par les précédents gouvernements.
«A l’approche de nouvelles présidentielles, Nicolas Sarkozy a mené des politiques d’extrême droite en abordant la question de l’identité nationale. Mais n’a pas été réélu pour un deuxième mandat. Manuel Valls a fait la même chose, sous la présidence de François Hollande, en stigmatisant les musulmans à travers ses déclarations, mais il perdu les primaires socialistes. Emmanuel Macron est dans la même dynamique. Mais les résultats précédents montrent l’échec de cette démarche.»
Une normalisation du discours fascisant
Dans ce contexte, le directeur exécutif du CCIF appelle à «une véritable mobilisation de l’ensemble des associations antiracistes et les organisations défenseuses de toutes les libertés, car c’est la communauté musulmane qui est visées aujourd’hui, mais d’autres le seront demain». En effet, Jawad Bachar avertit sur une «normalisation dangereuse du discours fascisant». «Rappelons-nous que dans les années 1930, nous avons fait face à la même rhétorique, à la même terminologie du discours et on reproduit la même politique, mais cette fois-ci à l’égard des personnes de confession musulmane», a-t-il alerté.
Jawad Bachar, rappelle aussi l'intervention du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à la Grande mosquée de Paris, «où il déclare naturellement que des mesures seront mises en place visant les musulmans, mais qui ne toucheront pas les autres communautés». De ce fait, il plaide pour «un esprit collectif, avec l’ensemble des autres communautés, afin de dénoncer ces projets». Il affirme que les réseaux associatifs de différentes tendances cultuelles et de défense des droits humains «sont en train de se mobiliser contre cette situation dangereuse».
Le militant met en garde également sur une extrapolation touchant les débats sur la migration, à travers «des discours médiatiques incitant à la haine» sur certaines chaînes de télévision. «Malheureusement, cela participe de manière claire à asseoir cette orientation politique», poussant les gouvernement à «empêcher la montée de l’extrême droite au pouvoir mais en s’alignant sur ses thématiques favorites», selon Bachar.