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Interview

Coronavirus au Maroc : Ce que révèle la mortalité sur l’ampleur de la pandémie [Interview]

Au Maroc, ces deux dernières semaines ont été marquées par une importante hausse de décès quotidiens, liés à la pandémie du nouveau coronavirus. Enseignant chercheur en épidémiologie à l’Université du Massachusetts (Etats-Unis), Youssef Oulhote estime que contenir les infections dans l’espace et le temps est primordial, pour maîtriser la propagation du virus.

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Des soignants accueillent des patients infectés à la covid-19, près de Rabat, le 20 juin 2020. . Ph. Fadel Senna - AFP
Temps de lecture: 4'

Au vu de l'évolution du nouveau coronavirus à travers le monde, comment évaluez-vous la situation épidémiologique du Maroc ?

Pour avoir réellement une bonne évaluation, il faut d’abord avoir accès à des chiffres plus détaillés, au-delà du bilan quotidien du nombre d’infections, de guérisons et de décès. Il est important de savoir, par exemple, est-ce que le dépistage s’élargit uniquement aux cas contacts et aux cas suspects, à quel degré tous ces derniers accèdent aux tests… Toujours est-il, que ce qui est sûr, c’est le taux de positivité par rapport aux tests qui a augmenté significativement ces derniers jours, et dépasse maintenant les 5%, ce qui n’est pas un bon signe.

Deuxièmement, la mortalité devient aussi un point préoccupant. Nous sommes passés d'une période où nous avons enregistré 0 à 1 décès. Nous sommes montés à 5, puis à plus de 10 les derniers jours, parfois à 18 ou 19. Cela nous renseigne sur la circulation du virus, ces trois, voire quatre dernières semaines, si nous tenons compte de la période d’incubation, du temps jusqu’à la prise en charge hospitalière, ainsi que de la moyenne de la durée entre hospitalisation et décès, puis du délai de reporting, cet ensemble donne à peu près une image sur l’évolution de la circulation du virus, qui devient rapide.

On peut faire une estimation très approximative qu’il y aurait eu, il y a trois semaines entre 5 000 jusqu’à 10 000 infections quotidiennes, sur la base des chiffres de mortalité en hausse et du taux de létalité - (Infection fatality rate) qui inclut aussi les asymptomatiques et non détectés – qui devrait être inferieur à 0,5% dans les pays a population jeune, et dans des conditions normales de non-surcharge hospitalière.

Un autre élément préoccupant est l’apparition du virus dans les petites villes, voire dans des villages. Ce point multiplie les inquiétudes sur la circulation du virus dans les campagnes, où il est encore plus difficile d’effectuer un dépistage élargi, détecter les cas positifs et les traiter rapidement.

Où en sont arrivés les tests concernant les vaccins et l’état des recherches sur le virus ?

Plus de 165 vaccins sont en cours de développement, dont une trentaine déjà en essai sur l’humain. De cette trentaine, Quelques-uns (six) sont en phase 3 des essais pour évaluer leur efficacité et sureté à large échelle. Cela consiste à élargir considérablement les essais à des dizaines de milliers de personnes pour mieux mesurer l’efficacité d'un vaccin  (au moins 50% pour que le vaccin soit considéré efficace) et savoir à quel point son utilisation est sûre et qui ne risque pas de provoquer des effets secondaires importants, voir supérieurs à celles du virus chez un grand nombre de personnes. Les grands échantillons permettent également de détecter les sous-populations chez lesquelles le vaccin pourrait ne pas apporter une bonne protection.

Pour cela, il va falloir faire des tests sur des dizaines de milliers de personnes et attendre qu’elles soient infectées ou non, pour voir est-ce que le vaccin protège efficacement. L’aspect positif, concernant les recherches, c’est que plusieurs vaccins sont développés dans plusieurs pays en même temps. Cela étant dit, arriver à un vaccin efficace est une chose, mais organiser la production, la logistique et l’accessibilité en est une autre.

Dans le scénario le plus optimiste, disons qu’un vaccin efficace ne sera disponible au Maroc qu’en 2021. En attendant, laisser circuler le virus largement n’est pas éthique, mais enfermer les gens ne l’est pas non plus, sachant que le statut socio-économique est le plus important déterminant de la santé, surtout pour les maladies chroniques. Si une personne perd son boulot durablement aujourd’hui, elle ne perd pas qu’un salaire, mais probablement des années en espérance de vie pour la personne et sa famille. Le confinement total et prolongé, s’il n’est pas accompagné par une distribution massive de ressources, est insoutenable pour les populations, et creuse également les inégalités. Il peut également provoquer des dégâts a moyen et court termes sur la santé mentale, surtout chez les enfants qui ont besoin d’interactions et d’apprentissages.

Le plus judicieux est d’équilibrer entre le fait de contrôler le virus pour éviter les surcharges hospitalières, pour que les citoyens continuent de vivre, tout en prenant en compte que le virus pourrait rester endémique, et revenir de manière saisonnière tous les ans. Les mesures à prendre pour les prochains mois, voire les prochaines années, dépendront notamment de la réponse immunitaire aux vaccins, parallèlement auxquelles il reste primordial de respecter les mesures de distanciation et les gestes barrières.

Quelles solutions et précautions peut-on adopter au Maroc, en attendant un éventuel vaccin ?

Il est important de maintenir la transmission au plus bas possible, surtout dans les villes où il existe peu ou pas de cas positifs. Il y a aussi des équilibres à instaurer et des choix à faire, selon les priorités, par exemple entre privilégier la mise en place de conditions pour assurer une rentrée scolaire dans de bonnes conditions sanitaires, une meilleure qualité de prise en charge hospitalière, ou une reprise des rassemblements importants qui peuvent résulter des activités dans les bars, les cafés et les mosquées.

Si on n’a pas une maîtrise de la transmission par milieu d’infection, on ne pourra pas rouvrir les écoles de sitôt, ou si on les ouvre on risque de les refermer. Pour ne pas arriver à cette situation, les décisions gagneraient à être prises de plus en plus localement, en fonction de la situation épidémiologique de chaque ville et de chaque village, pour contenir le virus et faire que les gens vivent le plus «normalement» possible, sachant qu’un retour complet à la vie normale ne sera pas possible, en tout cas sans un vaccin efficace et même au-delà, si le virus se transmet rapidement, tue les gens et l'économie à la fois.

L’important à savoir également est qu’en fonction des interventions qui seront faites et du respect des gestes barrières, la période de septembre – octobre pourrait connaître une hausse plus importante. En effet, les conditions seront plus propices à la propagation du virus (air hivernal est plus sec, grippe saisonnière, habitudes de rassemblement plus fréquent dans les intérieurs pour se prémunir du froid).

Il faut aussi adapter la vie à l’ensemble de ces éléments, pour ramener le taux de transmission au plus bas : plus on diminue le Rt (le taux de transmission à l’instant t), moins on aura à vacciner de gens au départ pour stopper la propagation, ce qui aidera à déployer le vaccin plus rapidement et plus efficacement. Partir d’un Rt de 2 nécessiterait la vaccination d’à peu près 50% de la population, mais partir d’un Rt de 1.2 nécessiterait la vaccination de seulement ~17%. C’est une grande différence pour la logistique et déploiement d’un vaccin.

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