Plus de 500 Marocains, bloqués jusque-là en France, ont pu regagner le Maroc, lundi, à bord de trois avions de la Royal Air Maroc (RAM). Ainsi, deux appareils ont quitté l’aéroport de Paris, avec à leur bord 150 personnes chacun, tandis qu’un troisième a été affrété pour Lyon. Mardi, un autre vol transportant des Marocains a atterri à Agadir en provenance de Paris.
Mais si les autorités marocaines affirment que ces vols ne rapatrient que les personnes vulnérables, inscrites sur les listes des consulats et qui disposent d’un visa de court séjour, la réalité sur le terrain est tout autre. En effet, plusieurs Marocains en situation difficile, souffrant de maladie ou âgées, attendent toujours un appel de leurs consulats respectifs pour leur annoncer une date de rapatriement.
C’est le cas notamment de Latifa Houssame, atteinte d’un cancer du poumon, pour lequel elle suivait une chimiothérapie au Maroc. Partie en France avec sa fille pour une visite familiale d’une dizaine de jours, elle n’imaginait pas que la pandémie du coronavirus l’obligerait de rester à Strasbourg pendant plus de trois mois.
Une chimiothérapie en France en attendant un rapatriement
«Ma mère et ma sœur sont venues me rendre visite le 7 mars pour dix jours et devaient rentrer après car ses séances étaient programmées, puisqu’elle a un cancer du poumon et donc des séances programmées», nous raconte ce mercredi son fils Abdellah.
Cette Marocaine avait alors tenté de contacter les autorités consulaires qui «lui ont dit qu’ils ne peuvent faire pour son cas». «J’ai donc mis cela sur les réseaux sociaux, ce qui a permis, après une large mobilisation, de bénéficier d’une prise en charge médicale», poursuit son fils, qui rappelle que le consulat de Strasbourg avait alors «promis qu’elle sera à bord du premier vol rapatriant des Marocains».
Mais le 22 juin, un appareil de la Royal Air Maroc est mobilisé à l’aéroport de Lyon, sans que Latifa et sa fille ne soient rapatriées. «Nous attendons toujours un retour. Le consulat dit ne pas avoir d’information actuellement», déplore Abdellah.
«Nous constatons qu’ils ont appelé beaucoup de gens à Paris. Il n’y a pas que les personnes prioritaires, car il y a aussi des jeunes. Nous avons peur que les autorités finissent avec la France et passent à un autre pays, que ma mère reste bloquée ici ou que sa prise en charge soit interrompue.»
Une tristesse et de l’angoisse qui pèsent lourds, compte tenu de l'état de santé de Latifa. «Ce jeudi, elle effectuera un scanner, et vendredi, elle aura une séance de chimiothérapie, mais depuis trois ou quatre jours, elle est angoissée car elle n’a pas encore été appelée, ce qui est mauvais pour elle», décrit son fils.
Des Marocains bloqués à l'étranger, rapatriés ces derniers jours. / DR
Une rémission fragile d’un cancer du sein
C’est le cas aussi pour la maman d’Oumayma, bloquée à Nancy et en rémission d’un cancer du sein. «Elle commence à faire des crises de nerfs et souffre du syndrome du gros bras, qui devient rouge et gonflé. Elle est aussi hypertendue», s'inquiète sa fille.
Cette jeune étudiante ajoute que sa maman est inscrite sur la liste des personnes à rapatrier, mais n’a toujours pas reçu d’appel. «Ils rapatrient les personnes qui ne sont pas souffrante», fustige-t-elle.
«Je suis toute seule ici et je ne sais pas ce que je dois faire. Ma mère me dit que si elle ne meurt pas de son cancer, elle mourra d’angoisse et de tristesse.»
La Marocaine souligne la mobilisation du consul en personne, pour tout ce qui est soin et prise en charge. «Ma mère est venue me rendre visite pour une semaine, car j’étais souffrante. Fonctionnaire, elle a dû prendre un congé», raconte-t-elle. Bloquée donc à Nancy, elle prend contact avec le consulat qui promet de les recontacter.
Mais une complication au niveau de son bras compliquera son état de santé pendant le mois de Ramadan. «Face au refus des pharmacies en France de lui fournir des médicaments sans ordonnance, ce sont les autorités consulaires qui se mobilisent pour lui fournir ces produits nécessaires», poursuit Oumayma.
«Tout le monde a le droit de rentrer chez lui. Ma mère ne peut plus patienter. Elle est vulnérable et fragile et je ne veux pas qu’un malheur lui arrive.»
Bloqué à Dijon, Houcine Zamharir est âgé de 102 ans. Parti rendre visite à sa fille et ses petits-enfants, le doyen des Marocains bloqués attend lui aussi le rapatriement avec impatience. «Dès que mon grand-père s’est retrouvé bloqué ici, nous avons contacté le consulat de Dijon, il a été inscrit sur la liste. Mais on nous a dit qu’il est inscrit aussi sur la liste de Lyon pour les personnes qui seront rapatriés et nous avons donc fait le déplacement à Lyon», nous raconte Soulayman, son petit-fils.
Une opération de rapatriement. / DRUne opération de rapatriement. / DR
Âge avancé et vulnérabilité économique
Sur place le 22 juin, jour où un avion de la RAM a été affrété à l’aéroport de Lyon pour rapatrier un premier groupe, le centenaire découvre alors qu’il ne pouvait embarquer car il n’était pas sur la liste.
«Déjà le consul de Dijon ne savait pas ce qui se passe pour le consulat de Lyon. En plus, mon grand-père a déjà parlé avec le vice-consul d’ici à plusieurs reprises et il n'en sait pas plus que nous», déplore le Franco-marocain. «Heureusement que sa fille et ses petits-enfants l'accompagnaient», rappelle-t-il.
A propos de son grand-père, Soulayman décrit un chibani «fatigué», qui suit un traitement pour la prostate et surtout qui «déprime». «On lui dit à la télévision que ce sont les personnes malades et âgées qui seront rapatriées les premiers, alors que ce n’est pas le cas pour lui», déplore le petit-fils.
Abderrahim Boukdir, bloqué dans l’Ain depuis mars, n'a pas non plus été appelé. Hébergé chez une famille pendant trois mois, cette prise en charge s’est interrompue soudainement. La famille a décidé de partir en voyage puisque la France a déjà procédé à un déconfinement depuis mai dernier.
«Ils veulent quitter leur maison et partir en vacances», explique ce Marocain, qui se trouve actuellement sans abris et sans argent. Une vulnérabilité qui ne lui a toutefois pas permis d’être inscrit sur la liste des personnes qui seront rapatriées vers le Maroc.
«Au début, j’ai contacté le consulat qui ne répondait pas à mes appels. Je me suis dit que je patienterai quelques jours, tant que j’ai un peu d’argent et que je suis hébergé. Ils m’ont par la suite répondu en m’envoyant un document attestant que je suis bloqué ici, que j’ai envoyé à mon administration. Depuis, je n’ai plus eu de contact avec eux jusqu’à hier», raconte-t-il.
«Ils m’ont dit qu’il faut patienter et qu’ils vont voir ce qu’ils peuvent faire», enchaîne-t-il, sans savoir de ce que demain sera fait.
Le Marocain, qui se trouvait à bord d’un train à destination de Lyon au moment de notre appel, dit aussi ne pas savoir «où loger». «J’irai peut-être au consulat pour voir ce qu’ils me diront», lâche-t-il sans grande conviction.