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Interview

Maroc : Les pédiatres sonnent l’alarme pour un déconfinement des enfants [Interview]

Pédiatre et président de la Société nationale de pédiatrie, Dr. Hassan Afilal alerte sur la santé mentale des enfants, dont beaucoup restent confinés depuis trois mois. Le pédiatre réanimateur alerte sur les lourdes séquelles de cet enfermement prolongé.

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Photo d'illustration / DR.
Temps de lecture: 3'

Pourquoi est-ce urgent d’alerter aujourd’hui sur l'urgence d'un déconfinement des enfants ?

La Société nationale de pédiatrie a lancé cette alerte, car nous avons remarqué que durant cette période de confinement, commencée en mars, les enfants ont développé des troubles comportementaux. Beaucoup de pédiatres ont reçu des parents qui consultent fréquemment pour ça, dans un contexte où ce confinement est à nouveau prolongé.

Nous avons remarqué par exemple que les enfants développaient des irritabilités, de l'agitation, une tristesse, une agressivité, un stress et une incompréhension de ce qui se passait. Cela a impacté la structuration de leur sommeil, dans la mesure où ils n’arrivent plus à distinguer le jour de la nuit, se réveillent en plein cauchemars…

Ces troubles sont devenus généraux chez les enfants. Des études à l’échelle internationale montrent qu’un tiers des enfants de moins de dix ans sont très touchés par le confinement sanitaire, qui a généré ces troubles comportementaux. Il est donc important pour nous d’alerter le ministère de la Santé sur la question et plaider pour l'assouplissement des mesures auprès d’eux.

En attendant que ces sorties pour les enfants soient possibles, comment décrivez-vous ce qu’ils vivent actuellement ?

L’enfant ne comprend pas ce que nous sommes en train de faire. Beaucoup de parents n’expliquent pas souvent ce qu’est le confinement. Les adultes vivent eux-mêmes une situation de stress et développent des attitudes agressives, sans savoir comment s’y prendre avec les petits, ce qui impacte doublement ces derniers.

On parle beaucoup des morts, des malades et des guéris, mais les enfants sont dans un état de stress permanent. On n’en parle pas, alors que le confinement se prolonge. Nous risquons donc de voir les séquelles après l’urgence sanitaire, si une démarche d’anticipation n’est pas entreprise pour adapter ces mesures aux plus petits.

Beaucoup ne comprennent pas par exemple pourquoi ils ne peuvent plus voir leurs amis. Evidemment, il faut maintenir les mesures barrière, mais il faudrait que les enfants puissent sortir. Cela peut se faire avec une permission de sortie pendant une période de la journée, avec un parent, en plus d’une positivité dans les réponses aux questions de nos petits. Ces questions doivent être traitées en amont, afin de sortir du confinement sanitaire avec le minimum de dégâts.

Que recommandez-vous pour atténuer les effets psychiques et physiques du confinement sur les enfants ?

Nous demandons à ce que le ministre de la Santé prenne en considération cette question et qu’il les laisse sortir. Mais à la maison déjà, il faut structurer la journée des enfants et l’organiser avec les rythmes normaux du quotidien, même si on ne sort pas. Toujours est-il que l’idéal serait qu’ils puissent sortir, parce que c’est le soleil qui régule le calcium et la vitamine D, nécessaires à la bonne croissance des enfants. Nous recommandons aussi que les maisons soient bien aérées et ensoleillées, surtout si les enfants qui y habitent sont asthmatiques.

Il y a beaucoup de facteurs mentaux et organiques, faisant que l’enfant doit garder un lien avec l’extérieur. Il est important d’expliquer positivement tout ce qui passe aux enfants, et les sensibiliser notamment sur le port de masque à partir de six ans, lorsqu’ils sont dehors.

En préparation des mesures de l’état l’urgence sanitaire, les professions médicales ont été consultées pour leurs observations ou recommandations. La dimension de l’enfance a-t-elle été abordée ?

Les mesures sanitaires prises en amont ont été judicieuses et pertinentes. Elles ont permis au Maroc d'éviter une catastrophe liée à la pandémie du coronavirus. Cependant, la dimension de l’enfance n’a pas été évoquée en profondeur. Ce point a été malheureusement oublié.

Comme nous avons estimé que l’enfant n’était ni contaminant, ni vecteur, il a tout simplement été relégué au second plan. On ne lui a pas donné toute l’importance qu’il fallait, notamment au niveau psychologique, sachant que le stress post-traumatique qui suit le confinement risque d’avoir des conséquences sur une longue durée. Cela peut nécessiter à une prise en charge par un psychothérapeute, psychiatre ou pédopsychiatre.

Comment organiser les sorties des enfants, sans que les mesures à cet effet ne donnent lieu à des limitations des espaces de jeu, comme nous l’avons observé dans d’autres pays ?

Il faut nous déconnecter de certains pays voisins. Toutes les mesures de confinement et de déconfinement prises là-bas ne peuvent être duplicables ici, puisque les liens sociaux entre les adultes et les enfants ne sont pas les mêmes.

Les liens familiaux avec les plus petits sont encore forts au Maroc, ce qui fait que nos enfants sont aujourd’hui encore plus impactés par le confinement, surtout qu’ils ne voient plus leurs proches et, de surcroît, ne peuvent plus sortir pour évacuer cette pression dans le jeu et les activités en plein air.

L’isolement créer l’aliénation, ce qui est extrêmement terrible pour le psychique de l’être humain. Les enfants sont d’autant plus touchés qu’il n’y a pas de compréhension de cela.

Article modifié le 11/06/2020 à 18h48

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