Alors que le groupe médiatique a déjà convaincu 80% de ces salariés de renoncer à des montants variant entre 20 et 50% de leurs salaires, Horizon Press vient d'imposer aux journalistes récalcitrants une réduction de salaire de moitié.
Dans un courrier adressé ce jeudi à une vingtaine de salariés et signé par Adil Besri, le groupe a brandi l’article 185 du Code de travail. Un article qui permet ainsi à un employeur, voulant «se protéger des crises périodiques passagères», de répartir la durée annuelle globale de travail sur l'année selon les besoins de l'entreprise ou de «réduire la durée normale du travail pour une période continue ou interrompue ne dépassant pas soixante jours par an». Des modifications conditionnées toutefois à une «consultation des représentants des salariés et, le cas échéant, des représentants des syndicats au sein de l'entreprise».
Dans sa lettre adressée au personnel, le groupe annonce avoir ainsi procédé à une réduction du temps de travail, qui passe désormais à 4h par jour, à compter du 25 avril. «Cette baisse du temps de travail s’accompagnera par une baisse des rémunérations en conséquence», poursuit les auteurs de la lettre qui brandissent, encore une fois, le «respect absolu de la loi». Cette réduction du temps de travail s’étalera sur 60 jours, soit du «25 avril au 24 juin 2020», poursuit la lettre.
Le SNPM vent debout contre la décision d’Horizon Press
Horizon Press y dit aussi «rester avant tout un groupe humain» et disposé à «étudier avec diligence les cas particuliers des collaborateurs pour qui cette mesure peut aggraver d’avantage (sic) leur situation».
«Je suis PDG d’une entreprise. Mon rôle est que la société tienne le coup pendant cette crise», nous répond ce vendredi Moncef Belkhayat, PDG du groupe. Il répète ne pas «comprendre pourquoi le gouvernement a décidé de suspendre la presse écrite», rappelant «le droit fondamental du citoyen d’être informé». Moncef Belkhayat tire aussi sur la FMEJ, qui n’a «pas réagi à cette décision».
La nouvelle décision intervient alors que le groupe Horizon Press a adressé, la semaine dernière, une lettre virulente au Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), ce à quoi le syndicat vient de rétorquer. «L’histoire retiendra que vous êtes les premiers à prendre de telle mesures arbitraires, sans fondement juridique, au moment où d’autres groupes médiatiques, moins importants en termes de ressources, restent inébranlables en cette période particulière», rappelle le SNPM dans son nouveau courrier adressé le 10 avril à Moncef Belkhayat et consulté par Yabiladi.
Le syndicat lui rappelle aussi avoir «veillé à ne pas diffamer le groupe», et «contacté des responsables et des investisseurs pour les avertir de la dangerosité d’une telle mesure». «Nous avons espéré recevoir une réponse digne des circonstances que nous traversons, mais nous avons été déçus par la réponse du groupe», poursuit le SNPM.
«Toute réunion entre les représentants du groupe et ceux de notre syndicat serait inutile, s'ils se contentent de justifications et explications de la démarche arbitraire», tranche le syndicat, qui dit aussi qu’il se réserve le droit «d’ester en justice» et de «défendre les droits matériels et moraux des salariés».
«Ce n’est pas leur journal, c’est le mien !», déclare Moncef Belkhayat
D’ailleurs, Moncef Belkhayat persiste et signe s’agissant du SNPM. «Je menace aussi le syndicat des journalistes avec un bras de fer qui ne va pas s’arrêter», déclare-t-il, en accusant aussi «de manière formelle les vingt personnes ayant refusé de signer» d’avoir «sorti des vidéos YouTube touchant [sa] personne et des articles qui [l]’insultent».
«Je leur dis : Vous n’êtes pas en chômage technique. Que le bras de fer continue et s’il faut tuer ce journal, je le tuerai. Je vais aller avec leur bras de fer jusqu’à la nuit des temps et nous verrons jusqu’où cette histoire va nous mener, quitte à tuer le journal.»
Le PDG d’Horizon Press dit aussi être «dans un combat entre un libéral et des communistes». «Ce n’est pas leur journal, c’est le mien et un journaliste est un employé d’une structure», abonde-t-il, en rappelant que «l’entreprise ne leur appartient pas». «Tant que nous respectons la loi, personne ne peut me forcer à quoi que ce soit. Et jusqu’à présent, je respecte la loi», insiste-t-il encore.
Et d’annoncer à ceux ayant soutenu, selon lui, le groupe en ces temps difficiles : «Dès que l’entreprise se portera mieux, je leur rendrai cet argent sous forme de bonus.»
Les salariés et l'Etat... mais pas les actionnaires ?
Il faut souligner que les journalistes ne sont pas les seuls à faire les frais de la crise, puisque l'Etat est également mis à contribution. En plus de la subvention à la presse dont bénéficie chaque année Horizon Press, du report de cotisations sociales permis par l'Etat en cette période de crise sanitaire, l'entreprise de presse a déposé ce mercredi auprès de la banque, une demande de crédit avec la garantie de l'Etat.
Ainsi, la demande pour un dispositif «Damane Oxygène» (CCG) s'élève à 5,4 millions de dirhams pour trois mois. Elle est justifiée par une baisse de revenus de 80% par rapport à avril 2019, et de prévision de chiffre d'affaires en baisse de 65% sur l'année 2020 (CA de 25 MDH en 2019). «C’est un prêt sur lequel l’entreprise n’a pas encore eu de réponse», nous confirme Moncef Bekhayat.
Une demande de financement qui se base notamment sur une masse salariale déclarée pour les 3 mois justifiant le montant du crédit. Cependant, les 2,8 millions de dirhams sur avril-mai-juin correspondent en réalité aux salaires versés au premier trimestre. Le directeur général, Adil Besri, qui signe le document, semble ainsi avoir omis de répercuter l'importante baisse de salaire consentie ou imposée aux salariés, avant le dépôt de la demande de prêt.
Or, puisque Adil Besri s'engage dans sa demande à affecter exclusivement l'utilisation du prêt «Damane Oxygène» pour la couverture des besoins en fonds de roulement et des charges courantes de l'entreprise durant la période de crise, une réponse positive du banquier devrait en principe bénéficier aux salariés de manière rétroactive.
Dès lors, la question posée porte sur l'absence d'implication des actionnaires qui sont les seuls à ne pas consentir de «sacrifice» pendant cette crise. Ni Moncef Belkhayat (51%), ni Moulay Hafid Elalamy (34%) n'étaient donc en mesure d'assurer le fond de roulement du mois d'avril en attendant l'octroi du prêt garanti par l'Etat ?