La position pragmatique d’Ahmed Raïssouni, président de l’Union internationale des oulémas musulmans (UIOM), sur les crédits accordés dans le cadre du programme «Intilaka», lancé le 4 février par le roi Mohammed VI, irrite plusieurs salafistes du royaume.
Ce weekend, l’ancien chef du mouvement Unicité et réforme (MUR) a affirmé que ces prêts accordés dans le programme «Intilaka» sont «conformes à la charia». «Il est clair qu'il ne s'agit pas d'une initiative commerciale et lucrative comme les banques ont coutume de le faire. Le taux d’intérêt y est inférieur et procure un bénéfice dérisoire aux banques et autres institutions», a répondu le religieux à une question sur ce sujet. Selon lui, «cette approche est à saluer».
Ainsi, Raissouni a estimé que si les jeunes «n'ont pas d'autres sources alors ils peuvent contracter ce prêt».
Des salafistes appellent Raissouni à «reconsidérer» sa fatwa
Mais sa position pragmatique irrite déjà certains salafistes du royaume. Hammad Kabbaj, salafiste proche du PJD, a pointé du doigt un «chevauchement» entre plusieurs concepts dans l’avis d’Ahmed Raissouni. Il s’est dit «étonné» de voir l’avis sur le taux d’intérêt «passer de l’interdiction» pure dans l’islam vers son «analyse» suite à cette nouvelle fatwa. Et d’affirmer que ce taux d’intérêt «s'inscrit dans le cadre d'un système capitaliste mondial sauvage (…) et s'impose aux États et aux sociétés». «Les banques sont sa puissante armure à travers laquelle il exerce cette tutelle et ce terrorisme», fustige-t-il.
S’interrogeant sur «comment faire la distinction entre un intérêt élevé et un intérêt faible», le salafiste considère qu’un «taux d'intérêt bas» ne transforme pas la transaction, qu’il qualifie dans ce cas d’«injustice avérée». Et d’appeler Raissouni à «reconsidérer et revoir» sa fatwa, étant donné que «l'usure, même avec un taux d’intérêt de 0,5%, demeure interdite».
Pour sa part, le salafiste Hassan Ali Kettani a affirmé que «la fatwa du Dr Ahmad Raissouni, que Dieu lui pardonne, n'est pas conforme aux textes juridiques ni aux rapports des juristes islamiques». «Espérons qu’il la reconsidère», ajoute-t-il.
Sur sa page Facebook, Hassan Ali Kettani a également partagé plusieurs avis d’islamologues dénonçant les intérêts bancaires.
Des prêts avec un taux considéré comme «rentable»
De son côté, Mohamed Talal Lahlou, professeur d’économie islamique, réputé proche du PJD, a publié une tribune sur le site Howiya Press, pour répondre à ceux «qui ont tenté de justifier les prêts».
Il y affirme que le taux de 2% est «considéré comme un taux très normal, voire rentable», expliquant que les institutions accordant ces crédits n’étant pas sans but lucratif, «les intérêts sont rentables».
Pour lui, «ces prêts sont destinés à la promotion économique», alors que l’explication des avantages, comme présentée par Raissoini, est une «sorte de normalisation avec ce qui est interdit» par l’islam, ajoute-t-il. Il critique aussi «le rétrécissement et la marginalisation des alternatives dans les transactions de la finance islamique». Et de dénoncer un raisonnement qui «augmente le pouvoir d'un système autoritaire et d’usure», ayant «plongé le monde dans les guerres, les crises financières et bancaires».
Pour le moment, seul Mohamed Abdelouahab Rafiki, alias Abou Hafs, a soutenu la fatwa du président de l’UIOM. Sur sa page Facebook, il l’a même qualifiée d’«étape avancée» émanant d’une «voix consciente».
«J’espérais que cette opinion lance une discussion délibérée et objective sur les transactions bancaires modernes et sa relation avec le concept traditionnel de l'usure, et non seulement pour considérer ces prêts», a-t-il ajouté.