Comme le cancer, les pays pauvres et ceux en développement sont les plus concernés par le surpoids et l’obésité. Pour lutter contre ces deux phénomènes, la Banque mondiale appelle ces pays à taxer les aliments mauvais pour la santé, en l’occurrence ceux trop gras, trop sucrés ou trop salés, selon un rapport publié jeudi 6 février et relayé par Le Monde notamment.
Le surpoids et l’obésité ont longtemps été perçus comme un problème de santé caractéristique des pays riches. Cependant, des données récentes montrent que depuis 1975, l’obésité a presque triplé et est désormais à l’origine de 4 millions de décès dans le monde chaque année. En 2016, plus de 2 milliards de personnes dans le monde (44%) étaient en surpoids ou obèses et, preuve que les pays riches n’en ont plus le monopole, plus de 70% de ces personnes vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. «De manière quelque peu inattendue, 55% de la hausse mondiale de l’obésité est recensée dans les zones rurales, mettant en évidence l’énorme potentiel économique négatif et les impacts sur la santé», souligne la Banque mondiale.
D’après les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les femmes sont plus concernées par l’obésité et le surpoids. Au Maroc, 66% des femmes sont obèses ou en surpoids, selon le rapport de la Banque mondiale. «Les femmes sont effectivement plus touchées car elles font moins d’activités physiques et ont plus tendance à consommer des produits gras et sucrés», commente auprès de Yabiladi Jaafar Heikel, spécialiste en maladies infectieuses et santé publique et professeur de médecine préventive. Dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (MENA), le Koweit est le pays où le taux d’obésité et de surpoids chez les femmes est le plus élevé (77%), tandis que Djibouti enregistre le taux le plus faible (46,1%).
Elargir le modèle de taxation à d’autres aliments
La Banque mondiale incorpore à son rapport la notion de «double fardeau de la malnutrition (double burden of malnutrition – DBM)», caractérisée par la «coexistence de plusieurs problèmes nutritionnels graves chez les individus, les ménages et/ou les populations, et ce tout au long de la vie». Le DBM désigne la coexistence de la malnutrition et d’un problème de surpoids ou d’obésité. Il peut également faire référence aux maladies non transmissibles liées au régime alimentaire et à d’autres formes de malnutrition comme l’anémie et l’émaciation. Au Maroc, le niveau de «double fardeau de la malnutrition» est jugé «modéré» sur une échelle de quatre niveaux : très élevé ; élevé ; modéré ; faible voire nul.
Pour lutter contre l’obésité et le surpoids, la Banque mondiale préconise d’élargir le modèle de taxation à certains aliments, et plus seulement les boissons. Une mesure dont Jaâfar Heikel ne doute pas de l’efficacité «même si les acteurs de l’industrie agroalimentaire vous diront le contraire», ironise-t-il. D’après ses estimations, la taxation des boissons sucrées permettrait d’en réduire de «8 à 15%» la consommation.
«L’obésité et le surpoids sont des problèmes de santé publique au Maroc. Bien sûr que cette mesure en elle-même ne réduira pas le taux d’obésité, mais elle y contribuera.»
La loi de finance 2020 a fixé la taxe intérieure de consommation (TIC) de 30 DH par hectolitre (hl) pour les boissons ou limonades contenant de 0 à 5 g de sucre par 100 ml ; 40 DH par hl pour les boissons ou limonades contenant de 5 à 10 g de sucre par 100 ml ; 45 DH par hl pour les boissons ou limonades contenant plus de 10 g de sucre par 100 ml. Jaafar Heikel suggère que l’argent prélevé à travers ces taxes «soit injecté à un fonds de solidarité, de prévention et de lutte contre les maladies non transmissibles pour tous les Marocains, particulièrement pour les populations les plus vulnérables». Il plaide également pour faire de la prévention auprès de l’industrie alimentaire «pour qu’elle réduise la teneur en sucre dans un certain nombre de produits».
Un coût lourd pour l’économie marocaine
Jaafar Heikel dit également avoir tenté de sensibiliser les médias, sources d’influence très importantes auprès des plus jeunes, en l’occurrence la chaîne de télévision 2M et la Société nationale de radiodiffusion et de télévision (SNRT). Il leur a proposé de diffuser des messages sanitaires dans les publicités «à l’instar de ce qui se fait en France», du type «manger cinq fruits et légumes par jour», qui avait été développé par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES). Une suggestion qui s’est toujours heurtée au refus des chaînes publiques «pour des raisons économiques», estime Jaafar Heikel.
Au vu des chiffres sur l’obésité et le surpoids au Maroc, cette suggestion n’est pourtant pas de trop : selon la dernière enquête épidémiologique de prévalence des facteurs de risque des maladies non transmissibles du ministère de la Santé, réalisée en collaboration avec l’OMS, l’obésité touche 20% de la population marocaine. Elle est trois fois plus fréquente chez les femmes 29% que chez les hommes (11%). Signe également que l’obésité pèse lourd sur l’économie marocaine : selon une étude du cabinet McKinsey publiée en 2014, l’obésité coûtait déjà environ 24 milliards de dirhams par an aux finances publiques du royaume.