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Grand Angle

Alcoolisme : Au Maroc, la lutte est d'abord celle du tabou

Les personnes dépendantes à l’alcool sont souvent rejetées par leur entourage, ce qui porte un coup à la motivation de s’en sortir. C’est pourtant l’une des clés de la prise en charge et du sevrage.

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Photo d'illustration. / DR
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Chose difficile, mais pas impossible, de soigner l’alcoolisme dans un pays où la consommation d’alcool est interdite ; à la fois par la loi et par la morale. Comme souvent avec les tabous, la honte et le secret masquent les travers d’une réalité qu’on voudrait plus propre. Pour Najwa Moussaïd, psychologue clinicienne et addictologue à Casablanca, les non-dits sur la consommation d’alcool au Maroc, et surtout ses dérives, «représentent forcément des obstacles à la prise en charge des personnes dépendantes à l’alcool».  

«Elles sont victimes d’une exclusion totale, en premier lieu par la famille», constate Najwa Moussaïd. Conjuguée à la honte, la stigmatisation est l’un des principaux freins à la prise en charge : stigmatisées, les personnes ne vont pas consulter, de peur d’être également jugées par le personnel soignant. Mais l’entourage peut être aussi le moteur de la guérison, du moins en partie. «Il arrive que ce soit l’entourage lui-même qui ramène la personne en consultation, mais il faut qu’elle soit motivée. Dans la prise en charge de l’addiction, la motivation est la première étape : plus la personne est motivée, plus elle a de chances de s’en sortir.»

Un autre frein à la prise en charge du patient, indépendamment de sa volonté, est celle de l’insuffisance des places dans les centres d’addictologie. Avec seulement 16 structures spécialisées, le Maroc n’est pas suffisamment équipé. «Quand les personnes attendent trop longtemps avant de pouvoir être prises en charge, elles perdent la motivation de s’en sortir. L’attente tue la motivation», tranche Najwa Moussaïd.

Preuve que les centres d’addictologie se font attendre : en 2014, l’Observatoire national des drogues et des addictions indiquait qu’entre 50 000 et 70 000 Marocains présentent un «usage problématique de l’alcool». La même année, le Rapport de la situation mondiale sur l’alcool et la santé, élaboré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), indiquait qu’au Maroc, l’alcool est responsable de 15,2% des décès d’hommes et 15,8% des décès de femme dans les cas la cirrhose du foie.

L’alcoolisme chez les femmes, un tabou encore plus fort

Les femmes sont en effet nombreuses à être dépendantes à l’alcool. Il n’y a pas de chiffres officiels sur la répartition genrée de cette maladie au Maroc, mais Imane Kendili, addictologue et présidente de l’Association marocaine de médecine addictive et pathologies associées (MAPA), assure que l’alcoolisme chez les femmes est sous-estimé.

«C’est un grand tabou, la symbolique est très forte : la femme, c’est avant tout la mère, la matrice», nous dit-elle. Les femmes sont aussi moins nombreuses à franchir la porte d’un cabinet médical ou à s’investir dans une cure de sevrage, craignant d’être plus jugées que leurs homologues masculins.

Une lecture nuancée par Najwa Moussaïd, qui assure recevoir «beaucoup plus de femmes que d’hommes». L’addictologue de préciser : «Je reçois un homme pour dix femmes. Je ne saurais vous dire précisément pourquoi, mais il est fort probable que les femmes se sentent plus à l’aise face à une autre femme. J’en reçois de toutes les régions – certaines viennent de loin car les consultations en addictologie ne sont pas suffisamment répandues – et de tous les milieux ; peut-être plus celles issues des classes populaires, très traditionnelles. Elles ne parlent pas tout de suite de leur addiction ; ce n’est que lorsqu’une relation de confiance s’établit qu’elles se confient sur leur dépendance.»

Si les hommes sont généralement plus touchés par l’alcoolisme que les femmes, des actions sont menées à l’échelle mondiale, y compris au Maroc, pour atteindre une proportion de consommation d’alcool similaire chez les deux sexes. «D’ici 2025-2030, on s’achemine vers un ratio de 1», précise Imane Kendili.

Un réseau à l’échelle locale et régionale

Au Maroc, des actions de sensibilisation sont déjà mises en place auprès des plus jeunes, notamment dans les lycées. «Les jeunes sont surtout concernés par des problématiques de poly-consommation : à l’alcool s’ajoute le cannabis, la cocaïne ou les comprimés psychotropes», souligne Imane Kendili. Najwa Moussaïd de compléter : «L’addiction à l’alcool s’accompagne souvent de troubles de la personnalité et peut engendrer la consommation d’autres psychotropes : on parle alors de comorbidité*.»

De plus, le ministère de la Santé et la MAPA ont noué des partenariats public-privé pour permettre à des addictologues, psychiatres et psychologues de travailler bénévolement dans le secteur public, dans des centres de santé mentale et d’addictologie de la région de Casablanca, où la demande, élevée, se heurte à l’insuffisance de personnel médical pour y répondre. «C’est bien mais ça ne sera jamais suffisant. L’alcoolisme est une maladie chronique. Soigner l’addiction ne suffit pas : il faut prévenir la rechute.»

A l’image de l’Association de lutte contre le sida (ALCS), dont les bureaux sont répartis dans tout le Maroc, Imane Kendili préconise la mise en place de sections locales et régionales. «Le challenge, c’est d’avoir un programme coordonné dans plusieurs villes et régions, tout en travaillant avec le ministère ; une toile de sensibilisation pour réunir tous les différents acteurs, y compris les anciens consommateurs qui peuvent parrainer des personnes dépendantes. Il ne faut pas l’oublier : en matière de ressources humaines, tout le monde doit mettre la main à la pâte.»

(*) En médecine, la comorbidité désigne la présence d’un ou de plusieurs troubles associés à un trouble ou une maladie primaire.

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