Depuis son dépôt, le 28 mars 2019, par le ministre de l’Immigration, de la diversité et de l’inclusion, Simon Jolin-Barrette, puis son adoption, le 16 juin dernier à l’Assemblée nationale du Québec, la Loi sur la laïcité de l'État, dite Loi 21, continue de diviser au Canada. Une division qui se poursuit même après son entrée en vigueur en ce mois de janvier.
Déclarant l’État du Québec comme «laïc» dès son premier article et interdisant le port de signes religieux aux employés de l'État en position d'autorité coercitive, soit les juges, les policiers, les procureurs, les gardiens de prison, entre autres, ce texte concerne aussi les enseignants du réseau scolaire public.
Mais le texte a été fortement contesté par les Canadiens. En décembre, des groupes contestant le texte québécois ont saisi la Cour suprême du Canada afin qu’elle se penche sur le refus de la Cour d’appel du Québec de suspendre l’application de la Loi 21. En octobre, des opposants à cette loi ont manifesté dans quatre villes du Québec : Montréal, Québec, Sherbrooke et Gatineau, appelant à sa suspension. De plus, d’autres Etats ont dénoncé le texte, à l’instar du conseil municipal de Calgary en septembre puis du conseil municipal de Toronto, qui a lui aussi adopté une motion condamnant la loi 21 du Québec.
Même après l’entrée en vigueur de ce texte le 1er janvier, les réactions se poursuivent. Dernière en date : celle du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) qui a réaffirmé, la semaine dernière, que ce texte «sème la division au sein de la société québécoise», rapporte Journal Metro. «Le gouvernement du Québec a mis en œuvre des politiques qui sont profondément problématiques», a déclaré Sarah Abou-Bakr, coordonnatrice du plaidoyer du CNMC au Québec. Hormis la Loi 21, elle cite aussi le «test des valeurs» récemment adopté et qui découragera, selon elle, les immigrants qualifiés.
«Cette réaction, qui exprime la vision d’une grande partie de la communauté musulmane résidante au Québec et ailleurs au Canada, se veut une défense légitime d’une communauté qui sera touchée principalement par le contenu législatif de cette loi», nous déclare Hicham Mouatadid, chercheur et analyste maroco-canadien en politique appliquée.
«Une loi qui va discriminer plusieurs personnes»
Il rappelle que le CNMC «continue d’agir à la fois politiquement et juridiquement pour faire entendre sa position et sa contestation envers cette nouvelle adoption législative». «Certes, le dilemme politique et l’enjeu démocratique dans un tel contexte repose plus sur l’interprétation éthique de la règle de droit que sur le mécanisme systémique de la démocratie. Or, si la violation des droits humains constitue la base solide et référentielle du CNMC dans son combat à soulever la fragilité et la non-démocratisation de l’esprit de la loi 21, les adeptes de cette dernière justifie sa conformité aux valeurs de la province d’accueil et la voix de la majorité à l’Assemblée nationale du Québec», ajoute-t-il.
«Si la moi 21 a été adoptée de façon légitime par l’Assemblée nationale du Québec, le CNMC, qui milite pour une vision beaucoup plus proche du modèle anglo-saxon, contrairement à la culture politique québécoise qui puise sa philosophie culturelle d’un modèle européen, va devoir fournir beaucoup d’efforts afin de sensibiliser la classe politique québécoise. Surtout que la scène politique au Québec est dominée actuellement par un fort trait de repli identitaire à l’égard de plusieurs sociétés politiques aujourd’hui.»
Pour le chercheur, «c’est une loi qui va discriminer plusieurs personnes dont la philosophie existentielle est en divergence avec l’esprit de cette loi adoptée». «Maintenant, concernant le jeu démocratique, la loi reste très légitime», ajoute-t-il. Et de préciser que ce texte controversé «s’inspire d’un modèle de laïcité à l’européenne et se veut protecteur d’une vison socio-culturelle beaucoup plus traditionnelle qu’ouverte». «Mais je pense que pour un territoire d’accueil comme le Québec, ce modèle de laïcité pourrait être revu afin de le rendre beaucoup plus avantageux pour cette province», conclut-il.
Le débat, qui continue ainsi de faire des vagues, au Québec comme ailleurs, concerne particulièrement les membres de la diaspora. Forte de plus de 150 000 âmes, la majorité de la communauté marocaine est, en effet, établie au Québec.