Au Maroc, le phénomène de la violence numérique ciblant les femmes s’est largement répandu ces dernières années, jusqu’à s’imposer parmi les cas pris en charge au niveau des centres d’écoute et de protection des femmes victimes de violences. En effet, ces derniers accueillent de plus en plus de plaignantes faisant état d’abus via les technologies de communication.
Face à cette nouvelle donne et en l’absence d’une vue d’ensemble sur l’ampleur des dégâts causés par «les voyous des nouvelles technologies», sept ONG marocaines ont effectué récemment une étude sur le phénomène, en coordination avec Mobilising For Rights Associates (MRA).
Consultée par Yabiladi, il en ressort que plus de 50% des utilisatrices ont été victimes de cyberviolences au moins une fois dans leur vie et que ces attaques sont principalement à caractère sexuel.
Une violence de grande ampleur
L’étude indique que 38% de ces cas sont ceux de harcèlement avec des propos provocateurs par voie électronique. 17% sont des intimidations et des chantages par le biais des technologies de l’information et de la communication. Les rumeurs et diffamations constituent 10%.
Par ailleurs, 9% s’avèrent être des attaques ciblées camouflées en fausse annonces, tels que les propositions d’emploi. 6% de ces attaques se font par acquisition et piratage de données personnelles, prise de contrôle à distance sur les outils d’information et de communication (6%), recours à des spams ou malware (5%), diffusion d’informations personnelles (4%), ou encore le piratage de photos et de vidéos (3%)
Cette étude ne s’est pas uniquement intéressée aux attaques via Internet, mais également celles qui passent directement par les opérateurs téléphoniques, nous explique Bouchra Abdou, directrice générale de l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC), qui a fait partie des ONG ayant grandement contribué à ce travail. Pour cause, l’ATEC fait partie des premières organisations à avoir accueilli, dès 2016, des femmes victimes de violence numérique.
«Depuis une première campagne menée à cette époque, nous avons accueilli de plus en plus de femmes dans cette situation. Beaucoup de femmes ne savaient pas que la loi pouvait et devait les protéger contre ces attaques ciblées, mais nous les sensibilisons tout au long de l’année sur l’importance de dénoncer ces usages, surtout qu’ils émanent principalement de l’entourage le plus proche : un mari, un amant, un frère, un ex-mari, un cousin ou même une cousine, qui peut documenter sur vous un contenu censé être privé et vous atteindre à travers cela», souligne la militante.
Les opérateurs face à leurs responsabilités dans les cas de violence numérique
«La violence numérique subie par les femmes se fait via Internet mais aussi à travers les différents outils technologique de communication, notamment le téléphone. Nous sommes donc parties à la rencontre de femmes victimes, mais aussi de responsables des opérateurs au Maroc (INWI, Orange, Maroc Télécom)», indique Bouchra Abdou quant aux démarches entreprises dans cette analyse.
A travers ce travail, elle dresse d’ailleurs le constat que les opérateurs de télécommunication sont peu sensibilisés à leur responsabilité et à leur possible rôle dans la lutte contre la violence numérique. «Lorsqu’un agresseur harcèle sa victime par des appels répétés et menaçants, il se sert forcément d’un numéro de téléphone enregistré auprès de l’une de ces trois entreprises. De ce fait, nous appelons celles-ci à intégrer une section sur la protection contre les violences et le harcèlement dans leurs closes de contrat», indique la directrice générale de l’ATEC.
«De la même manière, les responsables des réseaux sociaux doivent sérieusement réfléchir à leurs engagements concrets en termes de protection des victimes de cyberharcèlement via leurs plateformes, car cela ne doit pas uniquement être tributaire d’un contrôle de la police, mais émaner d’une conscience sur ces questions», nous explique encore Bouchra Abdou, pour qui il s’agit d’«une responsabilité partagée entre tous les acteurs, les décideurs et les membres de la société civile».
«Autant la violence est toujours latente dans l’espace public et privé dans la vie réelle, autant son danger est grave via les nouvelles technologies, car celles-ci permettent à l’agresseur de suivre sa victime, de la traquer et de l’importuner là où elle se trouve et cela peut s’étendre à la vie réelle en finissant par des attaques physiques.»
Sur la base des cas accompagnés par l’ATEC, Bouchra Abdou assure que «la violence numérique, les intimidation et l’atteinte à l’image des femmes a coûté à ces dernières un poste, des études, une vie de famille stable, un domicile qu’elles ont été obligées de quitter». C’est ce qui en fait «une violence insidieuse dont on ne voit pas l’impact immédiat, mais qui touche directement tous les droits élémentaires des personnes».
Les responsabilités des administrateurs des réseaux sociaux
Bouchra Abdou estime que les responsables des réseaux sociaux sont des acteurs tenus d’intervenir pour faire face à la violence numérique. D’où l’impératif de «renforcer le contrôle sur les contenus qui s’avèrent être des attaques ciblées visant des personnes dans leur dignité et qui ont pour objectif de leur porter atteinte, notamment lorsqu’il s’agit d’actes de violence filmés, d’images censées être privées, ou de montage qui diffame les victimes».
«Je ne comprends pas comment il est aussi facile pour Facebook de traquer à quelques moments près la publication de pistes musicales soumises au droit d’auteurs et qu’elle mette un temps fou à supprimer des vidéos comme celle du viol et de la torture de Hanane, de tentatives de viol de filles mineures, de photos compromettantes prises à l’insu d’utilisatrices ou même de contenus appelant ouvertement au meurtre d’autrui, malgré l’outils de signalement.»
Bouchra Abdou insiste sur la mise en place d’outils d’intervention rapides, d’autant que la disparition de ces contenus des réseaux sociaux ne signifie pas toujours l’éloignement des menaces. «Ces contenus peuvent émerger une nouvelle fois, si un autre utilisateur mal intentionné a pu avoir le temps de les télécharger, d’où l’impératif de créer des mécanismes au niveau des plateformes des réseaux sociaux», indique la militante.
Au vu des usages sur les réseaux sociaux et en marge de la sortie de cette étude, l’ATEC a ainsi lancé une campagne de sensibilisation contre la violence numérique, en donnant la parole à plusieurs artistes marocains, entre acteurs, chanteurs, animateurs et comédiens.
«Chacun d’eux a des fans et un public, sur lequel il a une capacité d’influence. Donc nous souhaitons beaucoup que leur position permette de changer les mentalités à travers les messages que portent ces personnalités publiques contre le cyberharcèlement», nous explique Bouchra Abdou.
«Les hommes ne sont pas des ennemis de la femme et il faut donner de la visibilité à ceux qui accompagnent les femmes dans leur combat pour un changement égalitaire», conclut-elle.