Après la sortie de ses deux premiers films, «Solei-man» et «Palestine», le réalisateur, scénariste et acteur marocain Mohamed El Badaoui montre au public marocain son nouvel opus, «Lalla Aïcha», projeté pour la première fois dans le pays, dans le cadre du Festival international du film de Marrakech (FIFM) qui se tient en ce moment dans la ville ocre.
Le film a rencontré un vif succès auprès du public, qui s’est mis dans la peau de «Lalla Aïcha», le temps d’une projection. Mariée et mère de cinq enfants, cette femme subvient aux besoins de sa famille grâce à la pêche maritime, que pratique également son époux. Cependant, l’arrivée de dauphins en grand nombre sur les côtes a confronté le couple à une pénurie de poissons. Sans alternative pour nourrir les enfants, il remue ciel et terre pour trouver un nouveau travail, mais en vain.
Le personnage de cette mère a été incarné par Angelina Molina, montrant ainsi le visage de toutes ces femmes rurales qui défient quotidiennement les pressions sociales pour remplir leurs responsabilités familiales et assurer une vie digne à leurs enfants auxquels elles tiennent tant.
Né en 1979 à Al-Hoceïma et vivant à Madrid, le réalisateur Mohamed El Badaoui livre avec beaucoup d’humanité un tableau intimiste et émancipateur de femmes de sa région. Ainsi, il traite de problématiques socio-économiques de son pays, tout en accordant une grande place aux femmes, qu’il dit vouloir «réhabiliter» à travers ce film, dans une société masculine qui ne reconnaît pas assez leur rôle», nous explique-t-il.
Un ancrage personnel dans le Rif
Dans un entretien accordé à Yabiladi, le cinéaste indique s’être rendu dans sa région natale, le Rif, pour le casting de ce film, puis pour son tournage. C’est ainsi qu’il a fait appel à des acteurs issus de cette même région.
«J’ai parcouru les rues, les marchés et les écoles, pour choisir des acteurs qui ont été accompagnés et formés pour les besoins de ce film, comme la culture cinématographique n’est pas assez répandue dans ces villages. J’ai trouvé des talents qui n’avaient besoin que d’un coup de pouce», nous confie-t-il après la projection.
C’est ainsi que Mohamed El Badaoui note que son approche cinématographique ne se limite pas à faire un film, mais à avoir un impact social et économique au niveau local, tout en participant à développer culturellement la région du Rif. C’est ce même procédé de travail qui a distingué ses précédents travaux. D’ailleurs, «Soleil-man» raconte l’histoire d’une femme abandonnée par son mari et qui s’occupe seule de son enfant atteint de cancer.
«Pour moi, c’est une fonction centrale du cinéma que d’aborder la situation des femmes dans notre pays. Si les professionnels du septième art ne le font pas, qui le fera ?», s’interroge le réalisateur. Dans ce sens, il souligne que ses films ne se cantonnent pas à des problématiques qui ne concernent que le Rif. «Mes films sont faits dans le Rif, mais abordent une thématique globale et destinée à faire parler des causes de toutes les femmes du Maroc», nous précise l’artiste.
Un cinéma marocain ouvert sur l’universel
C’est par ce même principe que Mohamed El Badaoui conçoit un cinéma «multiculturel», notamment par le biais des langues utilisées dans ses scénarios, en plus de son recours principalement à l’expression scénique et corporelle en tant que langage universel.
«Je veux que mon cinéma soit ouvert à toutes les cultures et à toutes les langues. C’est pourquoi, mes personnages parlent aussi bien amazigh, qu’arabe, français ou espagnol. Et même s’il y a un échange verbal dans tout scénario, j’essaye d’y recourir au minimum et de mettre en avant les émotions que peuvent dégager les acteurs sans avoir besoin de parler.»
Dans le même registre, Mohamed El Badaoui estime que «le cinéma marocain a progressé de manière significative, avec l’émergence d’une nouvelle génération de réalisateurs qui ont une vision cinématographique résolument différente de ce qui a été fait par leurs prédécesseurs». Pour lui, «le Maroc a soif de cinéma avec de nouveaux visages et de nouvelles façons de faire».
«Par mon travail, j’essaie de montrer par exemple de nouveaux acteurs et de me détacher de ce que la culture orale a eu comme effet sur les scénarios au Maroc : trop de recours aux dialogues et peu de direction d’acteur.»
Avant «Lalla Aïcha», Mohamed El Badaoui a montré ses deux premiers long-métrages au Festival international du film du Caire en 2012 et au Festival international du film de Rabat, le mois dernier. Concernant ses projets futurs, il nous confie travailler sur la production d’un nouveau film, dont le tournage commencera en juin 2020 en République dominicaine.