Si l’islam a été répandu aux Îles Maldives grâce à un marchand marocain d’origine amazighe, connu sous le nom d'Abou Al Barakat Youssef Al Barbari, son arrivée en Australie reste différente.
La religion doit sa diffusion aux Malais indonésiens, qui se sont établis au XVIe siècle dans le Territoire Nord de l’Australie méridionale et en Australie occidentale. «Après eux vinrent des Chinois, puis des Indiens et des Afghans, suivis dans ces derniers temps par des Arabes, des Egyptiens et des Turcs», écrit Ismail H. Okday dans «L'Islam en Australie et en Océanie» (Editions Brill, 1954).
Mais ces premiers musulmans feront face à un large mouvement racial initié par les Australiens blancs et l’Eglise. «Les Australiens blancs craignant une majorité asiatique de gens de couleur et l’église chrétienne voyant sa rivale, la religion musulmane, se répandre dans les contrées australes, poursuivent en commun une politique australienne blanche sans se rendre compte des conséquences qui pourraient surgir d’une telle politique», poursuit Ismail H. Okday. S’en suit alors une «extermination presque complètes des aborigènes, des nègres australes» et des personnes jugées «non blanches», au fil de plusieurs siècles, avec notamment l’application de loi «Coloured Races Restriction and Regulation».
Une religion ayant résistée à l’acharnement de l’Eglise et des Australiens blancs
La politique d’une Australie blanche se poursuivra et sera appliquée même aux Indiens qui avaient eux aussi introduit l’islam, après les Malais et les Chinois. Et malgré les efforts des Australiens blancs pour freiner la migration des populations de couleurs, l’islam «ne se répand pas seulement en Australie, mais aussi dans les îles de l’Océan Pacifique par l’immigration des peuples asiatiques, africains et les fugitifs musulmans des pays russes et balkaniques», poursuit l’auteur.
D’environ 19 500 musulmans recensés en 1897, ce nombre passera à 180 000 en 1952. Ils étaient 602 200 musulmans australiens en 2016 selon les statistiques des autorités australiennes, représentant 2,6% de la population de ce pays/continent entouré par les océans Indien et Pacifique.
Mais cet épanouissement de la religion musulmane après des siècles de lutte est surtout dû à une transformation majeure de l’islam durant l’époque d’après-guerre mondiale, le tout grâce à un personnage : Friedrich von Frankenberg alias Sheikh Momin. Considéré comme l’un des fondateurs du courant soufi en Australie, ce baron d’origine allemand veillera à la propagation du courant soufi parmi les musulmans de ce pays/continent.
En octobre dernier, le média public australien Australian Broadcasting Corporation (ABC) lui a consacré un portrait reconnaissant sa contribution dans l’épanouissement de l’islam, surtout pour la période de l’après-guerre mondiale.
Né le 2 janvier 1889 d'une australienne et issu de l'aristocratie allemande du côté de son père, il entame une «quête de sens» après son enrôlement dans l'armée allemande pendant la Première Guerre mondiale. Il «priait» d’ailleurs pour qu’il soit «libéré de l'armée» afin de «consacrer sa vie aux questions spirituelles», a confié Celia Genn, vice-présidente de la Sufi Society of Australia et doctorante en histoire du soufisme australien, à ABC.
Le baron Friedrich von Frankenberg. / DR
Comment une «quête de sens» se termine par un redynamisme de l’Islam
Mais avant de se rendre en Australie vers 1927, sa quête d’une «direction spirituelle» le conduira en France où il rencontre le soufisme, courant se voulant comme moyen d’établir un lien spirituel intérieur entre le musulman et Dieu par la méditation. Il y rencontre, en 1925, Inayat Rehmat Khan Pathan, considéré comme le fondateur du soufisme dans l’Occident (Londre 1914). «La formation à la découverte de la vie intérieure l’a vraiment marqué. Il était attiré par "l'unité des idéaux religieux… qui honore toutes les religions de la même manière" et souhaitait puiser dans la sagesse qui pourrait être gagnée en apprenant davantage sur les autres traditions religieuses», explique Celia Genn. Dzavid Haveric, chercheur associé à l'Université Charles Sturt, affirme pour sa part que cette pluralité sera le «thème qui a défini l'islam en Australie dans les années d'après-guerre».
Car à l’époque, «les bâtiments islamiques visibles tels que les minarets n'existaient pas», a expliqué le Dr Haveric. «La communauté musulmane était une communauté plutôt invisible.» Les principes du soufisme permettront ainsi à l’islam de continuer à se répandre dans le calme et se confirmer en tant que religion d’une partie de la population australienne, bien après le décès de Friedrich von Frankenberg.
Le baron Friedrich von Frankenberg (à droite). / B.Bruford
Des années après la Deuxième Guerre mondiale, l’Australie rompt enfin avec son passé discriminatoire en signant, en 1966, la Convention internationale des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Une ère du multiculturalisme naîtra alors avec l’installation, en Australie, de nouveaux migrants musulmans. Une population qui rencontrera un «islam plus pluraliste et plus sophistiqué», par rapport à leurs pays d’origine, précise Dzavid Haveric.
L’arrivée du baron aurait «redynamisé la religion musulmane», marquant ainsi le début d’un épanouissement multiethnique de l'islam en Australie, qui se développerait avec l’arrivée davantage de musulmans dans cette zone après la Seconde Guerre mondiale pour «former un groupe diversifié», conclut ABC.