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Tribune

Un Subsaharien au Maroc interpelle le ministère des MRE et le CCME

Lettre ouverte à Messieurs Abdellatif Maâzouz, Ministre Délégué auprès du Chef du Gouvernement chargé des Marocains résidents à l’étranger; Abdelhamid El Jamri, Président du Comité pour les travailleurs migrants; Driss El Yazami, Président du Conseil National des Droits de l’Homme au Maroc et Président du Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger.

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Messieurs,

L’honneur m’échoit de présenter respectueusement aux hautes autorités que vous représentez la situation de mes frères africains venus des pays au sud Sahara, communément appelés ‘’migrants subsahariens au Maroc’’.

Je suis moi-même migrant camerounais, ayant vécu dix ans au Maroc. Je suis viscéralement attaché à défendre la cause des personnes déplacées*, que ce soit pour des raisons économiques, politiques, sociales, ou climatiques. Notamment, je porte et dénonce régulièrement les injustices que subissent les sub-sahariens dans des forums sociaux, des conférences et débats. Comme vous le savez, les migrants fuient la guerre, des conditions climatiques difficiles ou des situations économiques désastreuses. Quittant l’Afrique subsaharienne, ils souffrent ensuite profondément de la traversée du désert et cherchent finalement un temps de répit au Maroc. Mais dans le royaume, ils sont précarisés, marginalisés et, trop souvent, déshumanisés.

Tous les jours, des subsahariens meurent de vouloir rejoindre l’Europe dans un silence assourdissant et l’indifférence totale des autorités marocaines. Depuis les tragiques évènements de Ceuta et Melilla en octobre 2005 qui ont vu quinze sub-sahariens mourir sous les balles des gardes marocains et espagnols, des organisations d’accompagnement de migrants et de défense des droits humains au Maroc se sont mobilisées pour intenter une action en justice, sans qu’à ce jour n’aient pu être identifiés et condamnés les responsables de ces meurtres. En 2008, une embarcation de fortune a chaviré au large des côtes d’Al Hoceima, faisant plus d’une trentaine de noyés dont des femmes et des enfants, parmi la soixantaine de sub-sahariens présents à bord. Les rescapés ont témoigné de l’implication des gardes marocains dans le naufrage, et pourtant ceux-ci n’ont jamais été inquiétés de quelque manière que ce soit.

Dans ses multiples communiqués, le GADEM (Groupement Anti-raciste d’accompagnement et de Défense des Etrangers et Migrants au Maroc) fait état des violences et de la déshumanisation dont sont victimes les subsahariens dans le pays : en témoigne par exemple cet extrait d’un communiqué datant du 25/10/2011:

«Citant des informations de la MAP, le quotidien Al Massae rapportait dans son édition du 5-6 novembre 2011 le refoulement par les autorités marocaines, le 25 octobre, de 90 personnes et le 3 novembre, de 60 personnes qui tentaient de passer à Sebta (Ceuta) par la mer. Les nombreux témoignages recueillis par le GADEM permettent d'affirmer que leurs interceptions en mer alors qu’ils cherchaient à rejoindre Sebta ont été particulièrement violentes, et dans certains cas, mortelles. Ces opérations ont donné lieu à des violences disproportionnées et à de nombreuses exactions. D’autres événements similaires antérieurs et plus récents retracent le même type de pratiques par les autorités marocaines et/ou espagnoles qui portent une atteinte grave au droit à la vie de ces personnes.

Les 90 personnes refoulées le 25 octobre à la frontière algérienne sont les rescapés d'un naufrage provoqué suite à l'intervention conjointe des forces de sécurité espagnoles et marocaines pour intercepter leur embarcation qui tentait de contourner par la mer le grillage installé sur la côte entre Fnidq et Sebta. Si certains migrants ont réussi à rejoindre le territoire sous contrôle espagnol, 10 à 15 personnes seraient mortes noyées, selon des témoignages concordants.

Le 3 novembre, 74 personnes, ressortissants de différents pays d’Afrique subsaharienne, ont tenté de rejoindre Sebta à la nage. Ils ont été rattrapés par les bateaux de la marine marocaine, alors que des tirs de balles en caoutchouc de la Guardia civil retardaient leur progression et que des civils marocains, apparemment incités par les forces de l’ordre marocaine, leur jetaient des pierres depuis le rivage. Seules 13 personnes ont pu rejoindre les eaux jouxtant Sebta (…).

Les migrants interviewés par le GADEM, accusent des hommes en uniforme qui leur semblaient être des militaires marocains de les avoir frappés et d’avoir enfoncé la tête de certains sous l'eau jusqu'à la limite de la noyade avant de les ramener à terre, où ils les auraient dépouillés de leur argent et téléphones portables.

Après avoir été emmenés dans différents commissariats des environs puis regroupés dans celui de Tetouan, ils ont été transportés en bus vers le commissariats d’Oujda puis finalement refoulés à la frontière avec l'Algérie, à l'exception des 5 personnes, séparées du reste du groupe, car elles auraient été gravement blessées lors de l’opération d’arrestation».

Et l’horreur ne connait pas de trêve : le 23 décembre, alors que le monde entier s’apprêtait à fêter Noël et la nouvelle année, les personnes migrantes subsahariennes au Maroc étaient une fois de plus victimes d’une chasse à l’homme sans précédent, traquées telles des bêtes sauvages, sans respect de leurs droits et de leur dignité.

La police marocaine (en civil ou en tenue) a en effet multiplié les arrestations de sub-sahariens dans tout le royaume chérifien. Comme toujours, l’opération a débuté dans les quartiers périphériques des grandes métropoles où vivent les migrants et où la police passe le plus souvent à l’action en faisant du porte à porte. Cette fois encore, des centaines de personnes : femmes (dont certaines enceintes), enfants, demandeur d’asiles et réfugiés ont été arrêté comme des criminels. Sans ménagement, ils ont été menottés puis bastonnés. Ce à quoi s’ajoutent l’humiliation et le traumatisme d’une arrestation publique. Ensuite, sans avoir été présentées devant le juge d’instruction (comme le prévoit pourtant la loi), ils ont été directement reconduits à la frontière algérienne où les migrants sont alors victimes du jeu de ping-pong entre les deux pays. Le Maroc les renvoyant en Algérie et l’Algérie les repoussant vers le Maroc… Tout ceci ne serait qu’un jeu s’il n’avait provoqué la mort par épuisement de deux femmes : l’une du Congo Brazzaville enceinte de six mois, l’autre originaire de la République Démocratique du Congo, noyée avec ses deux filles.

Le lundi 16 janvier 2012, l’Association Rif des Droits Humains (ARDH) et l’Association Beni Znassen pour la Culture, le Développement et la Solidarité (ABCDS) ont demandé au Ministre marocain de la Justice et des Libertés et au Conseil National des Droits de l’Homme que soit menée d’urgence une enquête pour faire toute la lumière sur les trop nombreux cas de noyade de migrants, et sur la responsabilité des forces auxiliaires et de la marine royale dans ces évènements tragiques.

Devant l’ampleur du phénomène migratoire, ce ‘’grand défi de notre temps’’, il est désormais indispensable de porter l’attention de tous sur ces laissés-pour-compte qui ont cru pouvoir circuler librement sur Terre, comme le font tous les jours les capitaux internationaux, les richesses africaines et les touristes occidentaux. Est-ce vraiment utopique, pour un Africain, de souhaiter aller et venir librement sur cette terre ? De prendre son destin en main plutôt que d’attendre de recevoir une aide au développement qui ne tient pas ses promesses ?

Pour avoir rêvé de lendemains meilleurs, ces hommes, femmes et enfants, ont quitté leurs pays comme l’ont fait avant eux les Européens en quête de l’Eldorado ou les Marocains cherchant à améliorer leurs conditions de vie à l’étranger. Mais les subsahariens eux, aujourd’hui, sont pourchassés, emprisonnés, assassinés, stigmatisés, déshumanisés et chosifiés (pour exemple, voir l’article du quotidien marocain Al Massae n°1643 du jeudi 5 janvier 2012, rendant les subsahariens responsables de la propagation du virus du sida au Maroc). Et pourtant, pour nombre d’entre nous, le Maroc est plus qu’un pays de transit : certains y élisent domicile, s’y marient, y fondent une famille. Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, des subsahariens naissent, vivent et meurent au Maroc. Et considèrent les marocains comme des frères. Pourtant, ils éprouvent les pires difficultés à trouver un travail, à scolariser leurs enfants, à se faire soigner. Mais cela apparait-il dans les notes protocolaires adressées en haut-lieu? Il serait souhaitable que les stéréotypes d’image à l’encontre des migrants soient déconstruits et discrédités et, pour cela, que sa Majesté soit informée de la situation réelle des subsahariens vivant au Maroc.

D’ores et déjà, les migrants vivant au Maroc font entendre leurs voix : à l’occasion de la journée culturelle du 16 juillet 2011 à Rabat (dont le mot d’ordre était «Pour un Maroc riche de ses migrants»), ainsi que lors de la Journée Mondiale des Migrants du 18 décembre 2011, les diverses associations et collectifs de migrants ont affirmé leur loyauté au Maroc et leur souhait d’être régularisés. Pour que l’Afrique reste unie et indivisible. Car il est aberrant que les marocains reproduisent avec les subsahariens les erreurs des Européens en considérant les immigrés comme des citoyens de seconde zone. N’ont-ils pas eux-mêmes déjà suffisamment souffert, en Europe, de préjugés et de stigmatisations? Nous pensons que ce grand pays qu’est le Maroc et dont les dignes fils sont aujourd’hui représentants dans les hautes institutions internationales de défense des droits humains, devrait au contraire soutenir la cause de la liberté de circulation et d’installation des personnes sur son territoire. Le Maroc a été le premier à ratifier la Convention sur la protection des travailleurs migrants et de leur famille. Il a aujourd’hui l’occasion de montrer l’exemple en accueillant et en intégrant ces quelques 35.000 migrants sub-sahariens (chiffre communiqué par le Ministère de l’Intérieur).

C’est pourquoi je me permets de vous interpeller. Car, me semble t-il, il est grand temps d’agir pour que cesse l’absurdité de ces politiques migratoires sécuritaires xénophobes qui ne font qu’attiser la haine entre les peuples. L’Homme, qui soit maghrébin, sub-saharien ou européen, doit pouvoir aller et venir librement. C’est là un droit fondamental qui doit être affirmé et défendu, corps et âme.

Messieurs, j’en appelle donc à vos autorités respectives pour que, dès à présent, les migrants subsahariens au Maroc soient traités avec dignité. Pour cela, nous, migrants sub-sahariens, demandons au Maroc de garantir notre protection et de signer la Charte Mondiale des Migrants, proclamée à Gorée en février 2011 et définissant les droit des personnes en déplacement.

 En espérant que mon cri d’alarme trouve un écho favorable, je vous prie de croire, Messieurs, à l’expression de mes meilleurs sentiments militant.

Tribune

Fabien Didier Yene
Consultant en migration
Emission spécial MRE
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