Samedi matin, les corps de sept citoyens marocains ont été découverts sur la plage de Aïn Harrouda, dans la préfecture de Mohammedia. Lundi matin, les autorités locales et la police ont retrouvé cinq nouveaux corps sans vie, au large de Casablanca, au niveau de la plage Nahla dans la commune de Sidi Bernoussi. Ces drames alertent sur le retour en force de la tentation pour le hrig chez des jeunes prêts à tout pour rejoindre l'eldorado européen. Les réseaux mafieux en profitent parfois pour vendre de fausses traversées qui se révèlent parfois dramatiques.
Mohamed Benaïssa, président de l’Observatoire du nord pour les droits de l’Hommes (ONDH), explique à Yabiladi que cette tendance est relativement nouvelle et «encore peu connue des acteurs concernés par la question migratoire, car on entend encore peu parler des victimes». Il nous rappelle d’ailleurs que «la problématique a été révélée l’an dernier, avec un premier drame au large de Kénitra».
Pour le militant, l’émergence des traversées depuis l’Atlantique est symptomatique d’une détresse de plus en plus répandue chez les jeunes qui, d’une part, rêvent d’une vie meilleure et d’autre part, se confrontent à des injustices quotidiennes, à un difficile accès à leurs droits et à des horizons fermés. Il ajoute que «la demande de migration s’est tellement accrue chez les jeunes, par l’échec de l’éducation et de l’emploi, qu’ils ne réalisent pas que les réseaux de trafic en profitent pour s’enrichir et innover dans des entreprises périlleuses.»
Des nouvelles formes de migration coordonnée
«Il existe des canaux dits traditionnels de trafic, où ce voyage s’opère en échange d’une grosse somme d’argent, par le biais d’embarcations pneumatiques, en bois, ou d’autres matériaux plus sophistiqués, en coordination avec un réseau organisé de passeurs. Mais aujourd’hui, de nouvelles formes ont émergé», constate le président de l’ONDH. On assiste à une «industrialisation» des opération de hrig. «Nous remarquons désormais un phénomène de trafic par le biais des réseaux sociaux, où des personnes prennent contact avec les jeunes pour leur proposer ce voyage, sur des pages spécialement dédiées, où on leur explique les conditions, on leur propose de ne payer qu’une fois arrivés à destination, etc.», nous explique encore Mohamed Benaïssa.
«Dans certains cas, ces réseaux peuvent prendre en otage des jeunes en pleine forêt dans le nord du Maroc et faire croire à leurs parents qu’ils sont arrivés en Europe afin de leurs soutirer de l’argent.»
Très souvent, les victimes «ne font pas part de leurs mésaventures aux autorités locales ou même aux associations», constate le militant en évoquant «une omerta sur ces situations que les associatifs tentent en tout cas d’accompagner». «Par le passé, nous avons pris connaissance de cas de Marocains et même de Subsahariens qui ont été arnaqués en étant transportés d’une côte marocaine à l’autre avec l’ordre de rester cachés durant la nuit, mais ils découvrent au final être restés dans le pays», souligne encore Mohamed Benaïssa.
Détournement de la détresse des jeunes
Coordinateur de l’association Pateras de la vida, Fouad Akhrif nous fait part de «situations humaines pires encore». «Il existe des passeurs qui prennent l’argent des jeunes candidats à la migration mais au lieu de les conduire à destination, ils les livrent à la police», nous affirme-t-il. «D’autres encore s’organisent entre eux pour se procurer une petite embarcation pneumatique, voler un moteur dans le port ou l’acheter et entreprendre le voyage par eux-mêmes», explique le militant.
«Des mafias actives dans plusieurs villes recueillent les candidats à la migration et organisent des traversées qui tournent mal en pleine nuit, lorsque le conducteur somme parfois certains locaux de redescendre à cause de la surcharge, sous la menace d'un arme blanche et sans remboursement.»
En espérant limiter les conséquences de cet investissement basé sur le trafic des jeunes, Fouad Akhrif nous explique travailler sur la sensibilisation. «Nous entreprenons ces actions auprès des enfants, des adolescents, dans les écoles, les petites villes et les villages», explique-t-il à Yabiladi. «Nous travaillons aussi avec les centres de mineurs en Espagne, les migrants subsahariens au Maroc, ...», ajoute-t-il.
Mais cet accompagnement et cette sensibilisation se heurent à une grande détermination des jeunes, convaincus de trouver une vie meilleure ailleurs même en partant de rien. «Il est pratiquement impossible aujourd’hui de convaincre un Marocain que la migration n’est pas une solution», affirme Fouad Akhrif. Et d’ajouter que «beaucoup restent persuadés que partir en Europe peut se faire facilement, du moment qu’une pateras, un kayak ou même une moto aquatique est disponible pour rallier le continent européen, perçu comme le bastion des droits humains, où les injustices sociales vécues ici n’existeraient pas ou peu».
Le coordinateur de Pateras de la vida estime que cet état d’esprit traduit «l’urgence d’investir sur les capacités de ces jeunes pour les sortir de leur désoeuvrement». Dans ce sens, Fouad Akhrif insiste sur «l’impératif de la lutte contre le chômage chez les jeunes pour leur permettre d’avoir un toit, un accès aux services publics, une possibilité d’améliorer leur niveau d’instruction et donc une dignité».